Culture congolaise Kintuidi, ou le mariage consanguin chez les Yansi
L’ethnie Yansi est localisée dans l’actuelle province du Kwilu, laquelle est issue de l’ancienne province du Bandundu. On les retrouve plus précisément dans les territoires de Bagata, Bulungu et d’Idiofa. Etymologiquement, la dénomination « Yansi » se décompose d’une part, par le radical « yan » qui peut se traduire par « parole » et d’autre part, par la particule adverbiale « si », « shi » ou « zi » qui se conçoit comme une expression de confirmation du mot qui lui est collé pour en appuyer le sens.
Dans cette optique, les Yansi peuvent se définir comme un peuple qui accorde à la parole donnée et aux engagements pris toute l’importance qu’ils méritent faute d’encourir de lourdes sanctions surnaturelles, s’ils ne sont pas respectés.
Cet héritage ancestral témoigne dès lors d’une volonté à tout crin d’autonomie, sinon de vivre en autarcie en étant réfractaire aux influences extérieures. C’est ainsi qu’à l’époque de l’indépendance, pour se démarquer d’autres composantes du pays, cette communauté, assez nombreuse dans la capitale, s’était regroupée dans un parti politique à caractère ethnique, l’Abazi.
Il convient de noter également du point de vue ethnologique que c’est un peuple qui se classe dans le matriarcat.
Le Kintuidi
Dans ce contexte, on peut aisément comprendre l’adoption d’us et coutumes correspondants à cet état d’esprit, parmi lesquels s’aligne le « kintuidi » (ou « kintwidi » ou « kintshuidi » ou encore « kinsudi »), étant entendu qu’il s’est établi des connotations propres selon les variantes parmi les Yansi.
D’une manière générale, cette pratique concerne les relations conjugales impliquant la lignée maternelle, d’un grand-père maternel en passant par l’oncle maternel à une fille, soit du grand-père à la petite-fille (la « mutsil») ou de l’oncle à la nièce. Ainsi, du fait d’une prédestination fixée par la coutume, un grand-père a droit à percevoir la dot de la fille aînée de sa première fille tandis que cette première fille est réservée prioritairement à une union avec le frère de sa mère, c’est-à- dire son oncle maternel. Cette relation touche plus singulièrement la fille aînée d’un couple, les autres filles pouvant éventuellement échapper à cette contrainte, moyennant des rites appropriés.
Différents cas de figure d’alliance peuvent se présenter. Par exemple, lorsque l’oncle est trop vieux, il a la latitude de « céder son droit d’époux » à son fils ou à un neveu, ce qui conduit dans le cas d’espèce au mariage entre cousins, qui par ailleurs n’exige pas de dot par compensation automatique étant donné que l’alliance a eu lieu au sein de la famille.
Un autre cas de figure est le rachat de la dot. Le « Kintuidi » n’est en effet pas figé. Il est tout à fait possible de s’en défaire sous certaines conditions en respectant les règles énoncées par la coutume. Ainsi, cette dernière impose à celles qui veulent s’écarter de ces commandements de se plier au rituel du double paiement de la dot. C’est-à-dire que l’homme qui voudrait épouser une « Kintuidi » devra au préalable s’acquitter du paiement de la dot auprès du grand-père maternel ou de l’oncle censé épouser la fille et tous deux ayant-droits de premier ordre et ensuite aux parents de la fille.
Les conséquences peuvent être trop lourdes pour les filles qui refusent de fléchir devant cette exigence, conformément à la tradition qui reconnait au peuple Yansi la capacité de rendre fatal le non-respect à la parole donnée par la soumission aux traditions. Toute désobéissance expose de la sorte tout coupable à une série de souffrances survenues de façon tout aussi mystérieusement : il peut s’agir de la maladie, d’infertilité voire même de décès. Une autre caractéristique à noter est celle souvent constatée de voir qu’il est arrivé à plus d’une femme mariée à un étranger à la famille, d’être sous l’emprise d’une force attractive inexplicable qui ramenait la déserteures sous le toit conjugal de son ayant droit coutumier !
Relation incestueuse
Néanmoins, quels que soient les cas de figure et la justification traditionnelle qui peuvent lui être donnés, le « Kintuidi » en français facile est bel et bien une relation incestueuse. Face à cette liaison forcément fautive
dans un entendement commun, on se réfère à nouveau au ferme désir des Yansi de se mouvoir en vase clos.
Cette détermination permet en tout cas, pour ne se limiter qu’au phénomène du « Kintuidi », a expliquer ces motivations.
Plusieurs motifs peuvent élucider cet état de choses. Pour nombre de sociologues et anthropologues, les mobiles
sont à la fois sociaux, économiques et politiques. Sur le plan social, le « Kintuidi » se conçoit de par la volonté des membres d’une famille de préserver la pureté de leur lignée. Économiquement, ce genre de mariage est une
sorte de garde-fou visant à empêcher à ce que le patrimoine de la famille n’aille entre les mains d’une personne étrangère et le réduire. Politiquement, il est plus question de conserver le pouvoir en ordre utile de succession au sein du clan. Sans chercher à dédouaner les Yansi, de nombreuses similitudes dans ces actions sociales sont observables ailleurs dans l’espace et dans le temps. Depuis les temps immémoriaux et pour les mêmes raisons, combien de regroupements humains ne se sont pas comportés de manière identique aux Yansi ? La Bible, livre de référence des Chrétiens qui condamnent avec la dernière énergie les agissements incestueux indiquent pourtant ce style de vie illustré dans l’Ancien Testament, avec entre autres comme exemple l’envoi d’Isaac par sa mère auprès de son frère Laban pour qu’il marrie une de ses filles. En prime, il en a même eu deux, somme toute un double inceste ! L’histoire des monarchies occidentales en est un autre témoignage où des alliances maritales à des fins de puissance se nouaient dans les familles. Plus près de nous, en RDC et en Afrique certaines tribus persistent dans une certaine mesure dans ce mode opération. Ce régime a donc subsisté durant des générations, même s’il a été démontré scientifiquement que la consanguinité entraine des graves conséquences telles que les maladies génétiques rares les malformations congénitales, …
Une pratique en désuétudes
Avec l’ouverture sociologique consécutive à la rencontre et à la fusion entre diverses mœurs, le « Kintuidi » a tendance à disparaître sinon à s’effectuer en catimini, tel un secret de famille ou de clan à ne pas divulguer à cause de la honte au vu du mépris des autres sociétés qui en abhorrent la nature. De par sa proximité avec les grands centres urbains, notamment Kinshasa, les familles Yansi se sont confrontées à de nouvelles attitudes et la jeune fille qui devait subir d’anciennes attaches n’avait parfois même pas conscience de l’absurdité de la situation d’antan.
En outre, les motivations socio-économiques ne sont plus pareilles. La mixité tribale voire raciale dans les couples vient également tout bouleverser, même s’il est vrai que c’est la coutume de l’épouse qui est prioritairement prise en compte dans la conclusion des épousailles. A un niveau plus large avec la mondialisation et son accès à des nouveaux horizons, ce qui pouvait être considéré comme une particularité identitaire hier, ne l’est plus du tout aujourd’hui. Ce qui est désormais privilégié est le libre choix des individus dans les relations amoureuses pour leur épanouissement et le bannissement de toute forme d’imposition au détriment du primat social. Autres temps, autres mœurs !
De même l’éveil spirituel ambiant a largement contribué au changement de conception vis-à-vis de ce rituel.
Pour tout dire, à moins d’entamer un débat avec des traditionnalistes qui ne manqueront pas d’étaler leurs arguments de bonne ou mauvaise foi au sujet de la conservation ou de l’abrogation des valeurs africaines, le « Kintuidi » est certainement à ranger parmi les violences faites à la jeune fille et à la femme, à éradiquer pour ses méfaits patents, certainement supérieurs à ses bienfaits supposés.