Quel avenir pour les partis politiques en RDC ?
Plus d’une année après les élections générales de décembre 2018 en République Démocratique du Congo, les plateformes électorales d’hier ne veulent disparaître.
Bien au contraire, la tendance est celle d’une mutation en grands partis politiques. Nostalgie, besoin d’équilibre politique, préparation d’une victoire écrasante en 2023 ou désir de consolider sa puissance dans la sphère politique congolaise, toutes les raisons sont bonnes pour que ces plateformes électorales demeurent ensemble et deviennent des partis politiques.
Joseph KABILA le projetait depuis belle lurette sans que cela soit vraiment pris en considération. Et pourtant, de fil en aiguille, son idée se conforte et produit un effet de contagion inimaginable il y a encore quelques années.
Heshima magazine se lance dans un décryptage de la situation afin d’en étudier la faisabilité et l’opportunité.
Le FCC de la plateforme en parti politique
Réunir tous les partis politiques en un seul grand parti sous l’égide d’un leader qui va en incarner les valeurs idéologiques, KABILA s’en est jamais caché : c’est son désir politique le plus ardent ; il l’a même évoqué lors de son dernier message à la nation comme Président de la République, le 23 janvier 2019, la veille de la passation des pouvoirs historique entre lui et son successeur Félix Antoine TSHISEKEDI.
Pas de minute à perdre, quelques jours après cette cérémonie, l’homme a convoqué ses collaborateurs du FCC en une séance de travail à Kingakati au cours de laquelle il leur a annoncé la mutation du Fcc de plateforme électorale en une plateforme politique. Les enjeux étant majeurs : la proposition d’un premier ministre, la désignation des membres du gouvernement, etc ; il fallait constamment des rencontres. Quoi de mieux qu’un cadre permanent.
de concertations autour des mêmes intérêts ?
Démarche plutôt couronnée de succès compte tenu de la configuration de la classe dirigeante congolaise depuis quelques mois, et le génie KABILA ne se voyait pas s’arrêter en si bon chemin. Décembre 2019, l’ancien Chef de l’Etat de la RDC annonce encore à ses partenaires au sein du FCC son souhait de transformer la plateforme politique en un grand parti politique.
Une décision loin d’être anodine. Tenez, en octobre dernier, le Secrétaire permanent du PPRD en la personne de RAMAZANI SHADARY dans son rôle d’itinérant, a sillonné les provinces de l’ancien Katanga ; fustigeant la gestion du partenaire TSHISEKEDI et annonçant surtout la candidature de Joseph KABILA comme Président en 2023. Coup sur coup, l’animal politique SHADARY avait frappé fort au point de pousser beaucoup de gens à exprimer leurs inquiétudes quant à l’avenir du Front Commun pour le Congo.
Cela était sans compter sur la volonté de Joseph KABILA à demeurer puissant sur la scène politique congolaise. Fin novembre 2019, le FCC programme un séminaire à Mbuela Lodge de Kisantu dans la Province du Kongo Central, ce site qui est presque devenu le camp de base du FCC.
Tous les cadors du FCC ont effectué le déplacement de Kisantu, qu’ils occupent des fonctions importantes ou qu’ils doivent gérer des situations urgentes, tous ont rallié Mbuela Lodge.
Sur place, le décor est planté sous la supervision du Coordonnateur de la plateforme Néhémie MWILANYA ; les auspices peuvent démarrer, pensaient tout le monde lorsque l’Autorité morale KABILA fait son entrée dans la salle de réunion : ovation comme à chacune de ses apparitions.
Toutes tendances confondues, les membres du Fcc ont, de fil en aiguille jeté leur dévolu sur Joseph KABILA. Ils l’ont adopté et ont appris à l’aimer au-delà du fait qu’il garantit leurs intérêts, c’est un sentiment d’appartenance à sa vision qui anime tous ces leaders politiques à ce jour, pense un membre requérant l’anonymat.
Cette incertitude n’allait plus durer longtemps, le 07 janvier dernier, au cours d’une conférence de presse, Alain ATUNDU LIONGO, communicateur du FCC a solennellement annoncé la décision de Joseph KABILA de transformer le Front commun pour le Congo en Parti politique. D’après Alain ATUNDU, cette initiative a pour vocation de ‘’donner corps à l’ambition nationaliste du Président KABILA” consistant à travailler avec toutes les forces nationalistes pour l’intérêt de nation.
D’où, le projet de la création d’un grand parti politique incluant toutes les bonnes volontés et tous les nationalistes dans un grand regroupement politique bien structuré. Est-il nécessaire de rappeler qu’une ambition sans projet est une simple profession de foi » renchérit l’homme d’Etat.
Loin de faire l’unanimité au sein du Fcc, cette décision de Joseph KABILA attise la flamme. Des questions de positionnement des uns et des autres se posent déjà, surtout au sein du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie, Pprd où le calcul sur le partage du gâteau bien trop petit, revient souvent à la table.
Les plus forts au sein du Pprd ne le seront peut-être pas tous au sein du grand parti Fcc. Certains perdront de leur envergure au profit des autres et vice-versa. Rien de très rassurant.
KATUMBI déterminé à ne pas manquer le coche !
Cela était pressenti des nombreux mois plus tôt, la création du Parti politique de Moïse KATUMBI CHAPWE. L’homme fort du grand Katanga a levé toute équivoque en annonçant, décembre dernier, la création d’ « Ensemble pour la République », un parti qui se présente de l’opposition républicaine et exigeante, et membre de Lamuka.
Sans surprise l’ancien gouverneur du Katanga est d’office Président dudit parti alors que Pierre LUMBI OKONGO, coordonnateur de G7 en assure le secrétariat général.
Ce dernier sera appuyé par Salomon KALONDA IDI, Christophe LUTUNDULA, Olivier KAMITATU, Christian MWANDO et d’autres personnes qu’il compte proposer au président du Parti.
En tout, pas moins de 6 partis politiques ont accepté de s’affilier à ER (Ensemble pour la République), et connaissant le sens de management de Moise KATUMBI, il n’y a pas l’ombre d’un doute : l’homme va débaucher à gauche et à droite.
Longtemps considéré comme le successeur naturel de Joseph KABILA alors qu’il était encore membre de la majorité présidentielle, Moïse KATUMBI a vu ses chances s’égrainer une à une à cause de ce que certains considèrent comme un manque de tact et d’autres une chasse aux sorcières.
Soutien malgré lui de Martin FAYULU qu’il appuie au sein de la plateforme Lamuka lors de la présidentielle de décembre 2018, Katumbi a attendu patiemment l’occasion de se présenter à la présidentielle. La délivrance d’un nouveau passeport, l’autorisation de retourner en RDC et l’accalmie concernant ses démêlées judiciaires, l’ancien Gouverneur du Katanga jouit d’un environnement rêvé pour préparer sa mouture en vue de la présidentielle de 2023.
Pas la peine de se leurrer estiment des analystes politiques avertis, la création d’Ensemble pour la République vient mettre à mal d’autres formations politiques, aussi vieux et emblématiques qu’ils soient. Le Mouvement de la Libération du Congo (MLC) de Jean- Pierre BEMBA GOMBO dont la carrière politique est désormais liée à la Cour Pénale Internationale tend lentement mais sûrement à disparaître. A Kinshasa, il faut passer par l’avenue de l’Enseignement à Kasa-Vubu pour voir une image de BEMBA pour en ressasser les bons vieux temps quand le Chairman avait encore pignon sur rue à Kinshasa. L’hypothèse contraire confirmerait sans nul doute la thèse de la disparition de ce parti qui a tenu tête à KABILA en 2006. Une bonne affaire pour KATUMBI dont la proximité avec le fils de SAOLONA ces deux dernières années peut lui être favorable, lui permettant du coup de gagner du terrain dans les provinces de l’ancien Equateur où le FCC de KABILA compte sur des valeurs sûres comme MAKILA SUMANDA, BUSSA TONGBA ou encore Jean Claude BAENDE et EGWAKE YANGEMBE.
Mais aussi dans une partie de Kinshasa où BEMBA reste encore le chouchou du peuple.
Lamuka ferait aussi les frais. Sur ce coup, les avis divergent tout en donnant la faveur des pronostics à KATUMBI. FAYULU s’est, certes forgé une réputation et une forte personnalité. Il ne peut plus dépendre d’un politique, KATUMBI soit-il peut-on entendre dans des forums de discussions à Kinshasa, appelés communément Parlement debout.
Arrivé second de la dernière présidentielle avec plus de 6 millions de voix, le Député national a gagné du terrain et ne cesse de clamer la vérité des urnes. Une attitude qui a même concouru à la fragilisation de ladite plateforme avec de nombreux départs réels (MBUSA NYAMUISI, MATUNGULU) et tacites (BEMBA et KATUMBI) qui soutiennent le nouveau Président de la République Félix Antoine TSHISEKEDI tout en se disant de l’opposition républicaine et exigeante.
Il ne reste plus qu’Adolphe MUZITO, l’actuel coordonnateur de Lamuka se veut fidèle à son frère FAYULU dont il partage les origines tribales, l’accompagnant partout où il faut clamer la vérité des urnes.
Mais jusqu’où iraient ces deux hommes ? Résisteront-ils à la vague KATUMBI-KABILA-CACH ou devront-ils se faire une raison pour adhérer chez le plus convaincant pour le bien du Congo ? Reste à savoir.
Pendant ce temps, l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (Udps) de Félix Antoine TSHISEKEDI et son allié l’Union pour la Nation Congolaise (Unc) de Vital KAMERHE ne semblent pas du tout inquiets, cherchant au maximum à marquer les esprits en RDC par une gestion efficace. Les membres de ces deux partis jadis de l’opposition réunis au sein de la coalition Cap pour le Changement (Cach) depuis novembre à Nairobi au Kenya, estiment qu’ils seront redevables au peuple congolais, le souverain primaire par qui passe toute élévation. « Si nous gérons bien, nous n’aurons pas besoin des calculs politiques pour gagner en 2023, le Peuple va certainement voter pour notre gestion », lâche, l’air guilleret, un membre de la ligue des jeunes de l’Udps.
Voilà une affirmation qui n’est pas tout à fait chimérique tant Félix TSHISEKEDI jouit d’une grande popularité à travers le Congo où chacun de ses passages est suivi par des cris « le peuple d’abord, béton, … ».
Cependant jusqu’à quand tiendra encore ce mariage ? La présidentielle de décembre 2018 est aussi celle des accords secrets ou mal interprétés. Comme renseigné dans les lignes précédentes, la coalition Cach est issue des accords de Nairobi, dont quelques-unes des clauses ont été rendues publiques.
Concernant le soutien de KAMERHE, l’accord stipule qu’en 2023 la gymnastique devra être contraire. Félix TSHISEKEDI devra porter la candidature de Vital KAMERHE. Une brèche a, quand même été laissée ouverte rendant possible des négociations pour que TSHISEKEDI brigue un nouveau mandat. Seulement que cela devra préalablement passer par des séances de travail.
Des avis plus pessimistes ne donnent pas du crédit à une poursuite du mariage FATSHIVIT (Félix Antoine TSHISEKEDI-Vital KAMERHE).
En analysant, certains politiques émettent plutôt des réserves quant à la loyauté de KAMERHE dont ils craignent un éventuel rapprochement avec le Fcc en cas d’échec de son mariage avec TSHISEKEDI.
Ces experts de la politique congolaise soutiennent que le président de l’Unc aurait gardé des bons contacts avec des membres influents du camp KABILA ; il vient toujours à la rescousse de KABILA quand ce dernier semble aux abois. En 2016, il a accordé de la légitimité au Dialogue de la Cité de l’Union Africaine en y prenant part active, et il a contribué au rapprochement de TSHISEKEDI et KABILA après la dernière présidentielle.
Et comme l’actuel Directeur de Cabinet de TSHISEKEDI a toujours entretenu des relations en dents de scie avec Moïse KATUMBI, il serait peu probable de les voir pactiser pour la Présidentielle de 2023. Contrairement à Félix TSHISEKEDI dont la relation fluide et calme avec le président de Mazembe peut contribuer à une bonne entente politique en vue d’un prochain ticket gagnant, ce, avec la possibilité que KATUMBI aide Félix à passer Président en 2023 en remportant même les législatives. Il faut noter que KATUMBI compte une centaine de Députés nationaux. Ce sera donc un scénario à la POUTINE-MEDVEDEV.
C’est depuis 2011 que KAMERHE attend une victoire historique pour entrer au Palais de la Nation, ces mouvements de fonte et dissolutions des partis politiques en prévision de 2023 : une opportunité ou un risque pour lui ? L’avenir le dira.
La RDC sur les pas de l’Occident !
Après les présidentielles de 2006, 2011 et 2018 au cours desquelles la Centrale électorale comptait une bonne vingtaine de candidatures et des dizaines des partis politiques, la fusion ou la fonte des partis politiques pourrait aboutir à des élections plus restreintes avec trois grandes formations politiques : le Fcc, Ensemble pour la République et Cach.
Une logique habituelle dans certains pays comme les Etats-Unis d’Amérique où les candidats présidents sont soit républicains soit démocrates sans compter les indépendants proches des deux courants. Il y a aussi la France où les partis politiques sont plus nombreux, même si les principaux proviennent soit du Parti socialiste soit des Républicains ou encore s’en rapprochent.
La logique occidentale des partis politiques découle même des courants sociologiques de Karl Marx, de Max Webber ou encore des auteurs contemporains séparant les capitalistes des socialistes.
Ainsi, en fonction de cette logique se forment des idéologies politiques avec des convictions inamovibles de génération en génération. Chose qui n’est pas encore vécue en RDC où la stabilité politique navigue au gré des intérêts.
Vivement 2023 et cette éventuelle première expérience des grands partis politiques
Christian Mupakani Atemvul