RDC : Vers une société civile politisée
Depuis janvier 2019, la République Démocratique du Congo connait une nouvelle ère politique marquée par une première alternance historique au sommet de l’Etat. C’est un opposant, Félix Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO, fils d’opposant, un des plus célèbres en la personne d’Etienne TSHISEKEDI wa MULUMBA, qui a succédé à Joseph KABILA KABANGE.
Pour la communauté, cette victoire de l’opposition est le fruit d’une lutte de longue haleine des politiques, mais aussi le résultat d’une lutte acharnée de la société civile.
L’histoire de la société civile n’est pas aussi récente qu’on peut le penser. Déjà en mars 1914, un décret-loi accordait la personnalité civile aux organisations de la société civile bien qu’étant l’affaire des seuls occidentaux à cette époque. C’est en septembre 1965 que naît véritablement la société civile congolaise grâce à la promulgation d’un nouveau texte portant son organisation et fonctionnement. Mais c’est en début de l’année 2000 que la société civile congolaise prend réellement de l’ampleur à la suite des nombreuses guerres ayant occasionnées des millions des pertes en vies humaines.
A la suite de la modification de la constitution en 2011 pour une élection présidentielle à majorité simple pour un seul tour, la société civile prend un nouveau tournant : une montée en puissance des Mouvements citoyens, une branche plus jeune et plus radicale de la Société civile qui accuse le Président KABILA de tripatouillage de la loi fondamentale en vue de s’assurer la victoire de la présidentielle prévue en novembre de la même année.
Tour à tour, des jeunes en furie, lancent des mouvements ‘’Lutte pour le changement (LUCHA)’’ en 2012, né de la contestation de la modification de la constitution et des résultats électoraux de novembre 2011 et ‘’Filimbi’’ (sifflet) en 2015 qui rappelle à l’ancien Chef de l’Etat la fin de son de son deuxième mandat et l’impératif constitutionnel d’organiser des élections présidentielle et législatives pour décembre 2016 auxquelles il ne peut être candidat.
Autour de l’année 2015, ces mouvements citoyens sont venus rendre encore plus épicée la sphère sociopolitique congolaise.
Cependant, comme les différentes organisations de la société civile précédentes, même ces mouvements citoyens n’ont pas su étouffer la question de la politisation de la Société civile congolaise.
Une affaire de connotation !
Les organisations de la société civile ont vu leur nombre croître en RDC, et elles sont légion. La libéralisation de l’espace politique congolais en 1990 a largement favorisé la floraison de toutes ces organisations qui, selon leurs animateurs, portent les aspirations de la population congolaise. Il est cependant curieux de constater que les organisations de la société civile dont le travail porte sur la justice, la démocratie ou encore la bonne gouvernance, tombent de fois dans une partialité très flagrante. Il est même de fois visible d’entendre des personnes se poser la question : « De quelle société civile sont-ils ? Du pouvoir ou de l’opposition ? », des questions qui en disent long sur la perception de ladite « société civile » en République Démocratique du Congo.
En RDC, dans le souci de plus de neutralité, certaines structures ou postes sont exclusivement réservés à la société civile. L’un des cas le plus probant est celui du juteux poste de Président de la Commission électorale nationale indépendante pour lequel se bousculent toutes les organisations, comme des vrais acteurs politiques. Combien de fois certaines d’entre elles n’ont-elles pas appelées à la démission de Corneille NANGAA, dans la logique de l’expression ôte-toi de là que je m’y mette.
Par essence, les organisations de la société civile ne calquent pas leur marche sur celle du gouvernement. Elles sont plutôt porteuses des aspirations de la population. Pourtant, en RDC, chaque bord politique dispose aussi des organisations de la société civile de son obédience. L’on se souviendra par exemple de la Lucha aile Bruno TSHIBALA. Une aile dissidente du mouvement citoyen Lutte pour le Changement qui se présentait sans gène comme soutien de l’ex Premier ministre Bruno TSHIBALA. Il y a aussi des organisations comme l’ACAJ, l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice, qui formulait des critiques très virulentes à l’intention du régime KABILA. Seulement, depuis l’accession de Félix TSHISEKEDI au pouvoir, elle a mis de l’eau dans son vin. Elle se contente plus de soutenir les initiatives gouvernementales, saluer les efforts fournis dans tel ou tel autre domaine… L’une des rares fois où elle est montée au créneau depuis l’avènement de l’ère TSHISEKEDI, c’est lors du scandale des 200 millions de la Gécamines. Mais cette fois encore, la virulence était orientée vers Albert YUMA, qui non seulement est le Président du Conseil d’administration de la Gécamines, mais aussi un très proche du Président honoraire Joseph KABILA.
Au gré des intérêts !
Il y a les organisations de la société civile qui s’alignent derrière une obédience politique, il y a aussi celles qui se muent carrément en parti politique. La Nouvelle génération pour l’émergence du Congo (NOGEC) était un mouvement citoyen très actif au sein de la société. Elle a même fait partie de ceux qui ont initié en décembre 2016 l’opération sifflet « match esili », pour signifier à KABILA que son mandat avait expiré. À la surprise générale, en juin 2017 la Nogec lance une nouvelle campagne « je suis jeune, je soutiens le Premier ministre ». Avec cette campagne, la Nogec devient une organisation de la société civile soutenant le Premier Ministre Bruno TSHIBALA.
Dans la foulée des nouvelles mises en place dans les entreprises publiques, certains membres de la Nogec se sont vus catapultés dans des Conseils d’administration ou ailleurs.
La transhumance de la Nogec ne va pas s’arrêter là. En avril 2018, la Nogec devient carrément une plateforme politique et fait partie aujourd’hui du Front Commun pour le Congo.
Avant la Nogec, la RDC a connu des cas d’école renforçant cette idée de société civile.
Connu pour sa lutte pour le bien-être de la population, Modeste BAHATI LUKWEBO était un des rares zaïrois à oeuvrer sans appartenir à un parti politique même quand le Maréchal MOBUTU a libéralisé ce milieu en 1990. Il a tenu tête et résisté à toutes tentatives de ralliement, l’avènement de Laurent-Désiré KABILA et de son fils Joseph ne changera pas grand dans la conception de cet originaire de Bukavu dans le Sud-Kivu. C’est même grâce au quota de la société civile qu’il a pris part au Dialogue intercongolais ayant abouti à une gestion collégiale de la RDC de 2003 à 2006 ; période pendant laquelle il a été Sénateur puis Directeur Général de la Société nationale d’assurances. Fort de sa popularité, il sera même élu Député national en 2006 en tant qu’indépendant avant de finalement se jeter dans la fosse de la politique à la veille des élections de 2011.
Il crée son propre parti Alliance des Forces Démocratiques du Congo, qui montera en puissance au point de faire de son initiateur un allié de taille pour Joseph KABILA KABANGE, dont il sera plusieurs fois Ministre et Ministre d’Etat.
Un autre exemple est celui de Martin FAYULU MADIDI, oui, le même qui clame la vérité des urnes après la confirmation de sa défaite à la présidentielle de décembre 2018 face à Félix TSHISEKEDI. L’homme, respecté grâce à son parcours des rares congolais ayant travaillé dans une multinationale, est entré dans la politique par la porte Société civile, celle-ci lui ouvrant la porte d’une candidature comme indépendant aux législatives de 2006 avant de devenir politique et de créer son propre label, Ecidé (Engagement pour la citoyenneté et le développement).
Alignées derrière une obédience politique, transformées carrément en parti politique, les organisations de la société civile congolaise, à quelques exceptions près, deviennent davantage des structures politiques à part entière ; un véritable passage obligé pour des aspirants politiques.
Olyncia KASHEMA