L a nature est ainsi faite qu’elle considère une maternité « normale », l’engendrement d’un seul enfant contrairement à certains animaux dont la portée est biologiquement nombreuse. Certes, en elle-même la naissance dans toute sa maturation relève des merveilleux mystères de la vie, alors quoi de plus incroyable lorsqu’au lieu d’un enfant, celui-ci partage avec un autre le ventre d’une mère tout au long de sa grossesse et surprendre le monde à la suite de l’accouchement ! En RDC, la société accorde à cet événement une double portion de joie au moment de la venue des jumeaux, appelés les mapasa dans plusieurs langues du pays, ou selon les spécificités locales comme bana ba mahasa pour les Balubas… Chacun d’eux est gratifié d’une appellation qui le distingue, telle que fixée dans la tradition, selon leur ordre d’arrivée dans leur nouvelle demeure terrestre avec un statut exceptionnel.
Les Bakongos désignent ainsi les jumeaux par les noms de Nsimba et Nzuzi, l’aîné et le suivant, peu importe le sexe. La distinction se présente comme suit chez les autres peuples : Mbuyi et Kanku (Balubas du Kasaï), Kyungu et Kabange (Balubakats souvenons-nous du post-nom du président honoraire Kabila !), Mboyo et Boketshu (Mongos ainsi que les Nkundo, Ekonda et Ntomba avec qui ils sont apparentés), Ngoy et Mukonkole (Basongyes), Omba et Shako (Tetelas), Maboso et Mangongo Mbuzas), Cikuru et Cito (Bashis), Kakuru et Katoto (Bahunde), Nguru et Kakuru (Nande), Embo et Empi (Ambuun), Mbo et Mpia (Basakatas et Sengele), Pi et Mbou (Bambalas)…
Il n’est pas exclu d’observer des particularismes selon les tribus. Les Bayaka opèrent une différenciation par rapport au sexe des enfants : lorsqu’il s’agit de jumelles, celles-ci sont nommées Nsimba et Nzuzi selon leur ordre d’arrivée tandis que lorsque ce sont des garçons, ils répondent successivement aux noms de Nkosi et Makanzu. Jadis, les Bayombe faisaient aussi la singularisation entre les sexes : lorsqu’il s’agissait des filles, elles répondaient aux noms de Nsimba et Nzuzi contre Kumbu et Nyimi pour les garçons. Depuis, ils se sont rangés à la logique des autres Bakongos. On remarque aussi tout de suite la proximité des dénominations selon les liens culturels et linguistiques entre peuples comme chez les Bahunde, les Bashi et les Nande. Il en va pareillement pour les Ambuun, les Basakatas et les Bambalas. Il serait intéressant dans le même ordre d’idées le rapprochement entre le nom de Mbuyi et Mboyo, aux voyelles près.
On peut en outre imaginer des cas de récurrence, où les naissances gémellaires se répètent. Rebelote pour les noms avec une précision renouvelée : chez les Bayakas après une deuxième naissance gémellaire, ce sont les noms de Mvunzi et Musenga qui sont donnés. Il est à noter que ces appellations valent également pour les triplés ou les quadruplés et autres, dont les suivants, ont également un nom propre. Ainsi, le troisième né d’un même accouchement est appelé Katumwa (littéralement celui qui bénéficie du privilège de ne pas être commissionné, tellement il est choyé !) chez les Bakongos, Katuma chez les Balubas et Kambungu chez les Bayakas. Dans l’entre-temps, l’enfant qui naît à la suite d’un prochain enfantement gémellaire, porte aussi un nom qui le situe de manière particulière dans la fratrie : (N)’Landu (Bakongos), Mfutila (Bayakas), Kabanga (Balubas), Tsita (Bahunde), Ciza (Bashi), Kitsa (Nandes)…
C’est dire qu’à défaut d’un registre familial répertoriant toutes ces naissances, ces différentes dénominations représentent à elles seules un livre généalogique grandement ouvert offert par la culture africaine pour détecter les jumeaux, à défaut de les reconnaître par leur ressemblance faciale. Néanmoins, il convient de préciser que certaines personnes peuvent porter les noms décrits ci-haut sans le mériter par la naissance, mais tout simplement par héritage d’un géniteur ou d’une personne qu’on a voulu honorer.
Prestige pour les parents
Dans cette configuration familiale inhabituelle, les enfants ne sont pas les seuls à se démarquer par leur désignation. Il en va à l’identique à l’endroit des parents. Au départ, il convient de considérer, à quelques très rares exceptions, que toute naissance est la bienvenue et honore ses géniteurs. Pour en témoigner, généralement au Congo, un parent n’est pas nommé par son nom du moins dans le voisinage de son lieu d’habitation , mais par celui de son enfant, principalement l’aîné : plutôt que de dire Monsieur un tel ou Madame une telle, c’est Papa ou Mama na X peu-ton entendre pour pointer ou appeler une personne. Automatiquement, le prestige dévolu aux jumeaux rejaillit sur ses géniteurs au point de détrôner l’aîné qui jusque-là servait de référence identitaire des parents. Ce qui n’est que justice à leur égard pour avoir pu donner la vie à ce genre d’enfants. Par une grâce singulière ou un talent propre dont le secret est tenté d’être percé. Surtout, lorsque le résultat est récurrent. Les différents noms des parents des jumeaux sont successivement et de manière non limitative : Kabodi pour la maman chez les Bayaka, Shambuyi pour le père et Muambuyi pour la mère chez les Balubas, titre de reconnaissance arboré avec fierté et tout autant abordé avec considération: cela devient même son nom, Tata ou Mama na mapasa chez les Bakongos, Iseotonga (père) et Yaekotonga (mère) chez les Mongos, Buka ou Is’eyafe (père) et Amba (mère) chez les Nkundo, Ekonda et Ntomba.
Pouvoirs des naissances gémellaires
Sans vraiment pouvoir se départir sur la part du mythe ou de la réalité, les jumeaux sont considérés comme des êtres provenant du monde des esprits. Leur naissance revêt de ce fait un caractère spécial à la limite du sacré. On leur prête des pouvoirs surnaturels avec une capacité de susciter des bienfaits comme du tort. De ce fait, ils sont choyés et on se montre prévenant face à leurs caprices pour ne pas les contrarier de peur d’attirer leur colère avec les conséquences fâcheuses qui en découleraient mais plutôt bénéficier des bénédictions qu’ils peuvent déverser.
Cérémonies traditionnelles
La venue au monde des jumeaux s’accompagne de cérémonies festives et de rites traditionnels, témoignage de l’accueil grandiose réservé à ces êtres chers. S’il y a encore quelques décennies, cet événement se déroulait de manière remarquable, même en pleine capitale, au fil du temps les bienséances se sont imposées sur les mœurs. Innocemment en effet, en guise de signe distinctif les parents avaient le visage couvert de points d’argile blanche le mpemba, deux par deux pour signifier leur nouvelle condition. Mais note plus indécente, la fête était l’occasion de danses et de chansons obscènes, allant jusqu’à mimer des scènes sexuelles attestant de l’exploit de ce fait marquant. La circonstance fait l’objet de nombreuses visites de la famille et des amis, censés déposer sur un plateau approprié les présents à l’adresse des jumeaux. D’autres pratiques sont en outre observables jusqu’à ce jour comme par exemple le port d’habits semblables à tous points pour toujours les maintenir unis. Jusqu’à ce que l’usure du temps coupe le cordon fraternel qui rend les jumeaux inséparables pour les conduire à voguer, chacun sur sa voie.
Noël NTETE