D’une manière générale, de tout temps, la culture de pratiquement toutes les communautés humaines a reprouvé et interdit l’inceste, cette relation sexuelle entre proches parents. Néanmoins, le fait est bien réel. Deux histoires caractéristiques, parmi tant d’autres, peuvent le témoigner.
Ainsi la mythologie grecque décrit l’épopée d’Œdipe dont les parents se sont décidés d’abandonner car un oracle avait prédit son avenir au cours duquel il serait amené à tuer son père pour épouser sa mère. Malgré cette douloureuse séparation, les circonstances ont fait que bien des années, la prophétie finit par s’accomplir : ne connaissant pas son père, Œdipe donne la mort à son père lors d’une bagarre, épouse sa mère sans non plus savoir qu’elle était sa génitrice, ni elle son fils. Cependant, une fois informé de la réalité des faits, il se crève les yeux pour se punir de l’infamie commise.
Une autre narration nous vient de la Bible où est relatée, dans la Genèse, l’épisode de la destruction de Sodome et de Gomorrhe durant lequel la femme de Lot perdit la vie, muée en statue de sel pour s’être retournée sur le spectacle par curiosité. Cette perte conduisit les deux filles de Lot à enivrer de vin leur père afin de coucher avec lui pour perpétuer leur race, effectivement présente ultérieurement dans le Livre Saint, dans la lignée des Moabites et des Ammonites.
Ces deux situations indiquent à elles seules que les rapports incestueux ne sont pas normaux, perpétrés à l’insu des protagonistes sinon s’ils doivent malgré tout se dérouler, ils sont tolérés de manière exceptionnelle pour des raisons tout autant exceptionnelles.
Degré de parenté
S’il est vrai que les deux évocations ci-dessus peuvent choquer en raison de la proximité du lien de parenté entre les personnes incestueuses, un certain nombre de cultures ont pratiqué l’inceste entre membres de famille dont le degré de consanguinité est plus distendu.
C’est ainsi qu’entre frère et sœur, la relation est relativement mieux admise et des exemples dans le vécu de l’Humanité le confirment. Des analyses génétiques déterminent notamment que le Toutankhamon serait le fils du pharaon Akhenaton et de l’une de ses sœurs. Aujourd’hui, un pays comme l’Allemagne, sans que cela ne soit encore légal, le Conseil d’éthique allemand, un organe consultatif a proposé, il y a de cela au moins de six ans, de dépénaliser le mariage entre frères et sœurs adultes librement consentants.
Toutefois, lorsque les liens familiaux sont plus lâches, les liaisons incestueuses sont parfois reconnues, comme par exemple entre cousins germains, spécialement dans une société matriarcale dans laquelle les uns sont rangés dans la lignée matrilinéaire et les autres dans la ligne patrilinéaire, et donc considérés comme des composantes de deux entités distinctes.
Dans cette optique, il ressort en effet que des prétextes socio-économiques peuvent justifier ce genre de comportement en société comme celle de la conservation du patrimoine au sein de la famille. Pareille pratique est toutefois réduite par des explications sanitaires car l’espèce humaine contrairement à certains animaux, comme l’espèce canine, est vite victime de dégénérescence à partir des croisements consanguins : les examens génétiques pensent d’ailleurs que le décès prématuré de Toutankhamon aurait pour cause le paludisme car n’ayant pu résister aux tares de son atavisme.
En même temps, une position familiale encore plus éloignée, ne justifie pas non plus l’inceste. On peut ainsi citer le cas de celui qui pourrait survenir entre l’enfant d’un conjoint actuel (homme ou femme) né d’un conjoint précédent, c’est-à-dire le (beau)- père ou la (belle)-mère adoptive, dont l’un n’est pas son géniteur, ou autre cas, les membres de deux belles-familles avec qui les liens de part et d’autre se sont raffermis.
Une pratique honteuse
Bien que rejeté par la grande majorité des cultures parce que jugé amoral, l’inceste n’en reste pas moins une réalité qui se vit dans certaines familles. En France, où les statistiques sont disponibles, son estimation porte sur 5% d’enfants victimes de cet état de choses.
Dès lors, cela s’expliquerait-il par instinct qui lierait un enfant et un parent, le premier ressentant un besoin de contact charnel avec son procréateur de sexe opposé, en voulant par exemple l’embrasser innocemment sur la bouche ou à pratiquer des attouchements des parties intimes ? Dans ce contexte, serait-il le dérapage d’une pulsion mal gérée par les parents ?
D’un autre côté, la justification culturelle viendrait-elle du fait de la propension à posséder ressentie par l’être humain, si pas exclusivement, mais même partiellement à travers l’appropriation corporelle d’une personne chère ?
Ou alors pour ce qui concerne les autres membres de la famille, le mobile viendrait-il d’une passion amoureuse impossible à réfréner entre par exemple le beau-frère et la belle-sœur, entre le père adoptif et la fille de son épouse et vice-versa ? Ou alors cette motivation serait le fruit du hasard d’une circonstance ?
Au-delà de ces aspects sentimentaux, ne devrait-on pas réfléchir sur d’autres considérations, notamment la promiscuité où les familles se voient obligés de partager un espace exigu. Des avantages pécuniaires pourraient aussi fonder ces agissements, celui disposant des moyens désirés par l’autre profiterait de l’occasion pour abuser de sa position dominante. Cependant, quel que soit le cas, dans ce rôle, la responsabilité met principalement en cause l’homme dans au moins 96% des cas, du fait de son impulsion naturelle en matière sexuelle tandis que les victimes se dénombrent parmi les enfants.
Sanctions diverses
Peu importe les motifs de l’inceste, cet acte est sanctionné de diverses manières selon la culture. Certaines tribus frappent dans ce cas le fautif de sanctions tirées de la puissance ancestrale en paralysant par exemple les attributs mâles. Ailleurs, c’est la réprobation de l’ensemble de la communauté qui fait l’affaire, notamment par le bannissement. Du point légal, l’inceste est inscrit dans la catégorie de délit pénal en tant qu’agression familiale aux conséquences néfastes. Toutefois, du fait des pesanteurs culturelles, il n’est malheureusement pas suffisamment dénoncé : il est couvert du sceau du secret familial.
Sa dénonciation est en effet perçue comme une intrusion dans la sphère familiale, laquelle cherche à se protéger de tout regard étranger, afin de ne pas la couvrir d’opprobre et de préserver malgré tout son existence. Dans ces conditions, on peut supputer que ce drame, de prime abord personnel, rejaillit en réalité sur la société, dès lors que le foyer est apprécié culturellement comme le fondement de cette dernière. Seul le courage peut alors être en mesure de briser cette ormeta, ce silence caractéristique de la culture de la mafia sicilienne dont on connait la rigueur et qui a poussé Camille Kouchner à intituler son livre La Familia Grande dans la même connotation. Dans ce bestseller qui défraie la chronique en France depuis le début de l’année, la fille du très médiatique Bernard Kouchner rapporte l’inceste dont a été victime son frère jumeau durant son adolescence de la part de son beau-père, un politologue de grand renom de l’élite française.
Ce geste intrépide a permis d’acculer le coupable ainsi que tous ceux qui se masquaient dans la complicité, et a eu par ailleurs pour effet de délier les langues d’autres personnalités, proies de ce type d’abus : dans cette foulée, la fille de Richard Berry, célèbre acteur français accuse à son tour son père d’avoir commis ce forfait à son encontre, bien que ce dernier nie jusque-là les faits. Pour le surplus, des mouvements des droits de l’homme, surtout d’obédience féminine s’attèle de plus en plus à prendre en charge cette question au vu des effets dévastateurs considérables endurés par les enfants martyrs générant en eux des troubles comportementaux graves tels que la dépression, la tentative de suicide, l’anorexie, des addictions…
Pour eux, il s’agit de renforcer en amont les missions de la brigade de protection des mineurs pour agir à titre préventif. Il convient également, de durcir les dispositifs légaux sur cette matière et obtenir des condamnations dissuasives.
Dans cet environnement culturel tel celui en cours en RDC, où règne la passivité, voire la soumission à l’égard de l’autorité et de la hiérarchie familiale, on a difficile à imaginer des actes de dénonciation de pareille malveillance et quand bien même cela pourrait être débattue, la palabre traditionnelle risque d’étouffer toute revendication.
Noël NTETE