Début avril, la ministre d’Etat aux Affaires étrangères du gouvernement Ilunga Ilunkamba sortant, Marie Ntumba Nzeza déclare à radio Top Congo qu’en raison de l’absence de disponibilité empêchant le paiement des loyers des ambassades congolaises présentes à travers le monde, sans compter les loyers des habitations des diplomates, la menace de déguerpissement pèse sérieusement sur elle.
L’information de la ministre renseigne ainsi que son ministère ne bénéficie plus de dotation depuis huit mois pour approvisionner les postes diplomatiques en frais de fonctionnement, contrairement à ses prédécesseurs. Aurait-elle agit de guerre lasse après avoir « tout fait » pour régler ce litige à même faire subir « une grande humiliation pour la RDC » pour porter l’affaire sur la place publique.
Cette sortie médiatique donne à réfléchir lorsqu’on sait que la diplomatie relève du domaine de collaboration entre le président de la République et le gouvernement et que la cheffe de secteur appartient comme le chef de l’Etat au même parti politique, à savoir l’UDPS. Dans ces conditions, depuis la chute du gouvernement Ilunga par motion de censure dès le premier mois de l’année, la gestion de l’Etat est du ressort exclusif de la présidence de la République.
Au moins cette intervention aura eu le mérite de faire bouger les choses, car à peine le cri d’alarme de la ministre lancé, dès les jours suivants l’ordre de décaissement des fonds est tombé pour désintéresser les différents bailleurs des ambassades congolaises locataires. Cette démarche aura également eu le mérite de mettre le doigt sur le laxisme dans la conduite de la machine étatique de la part de certains services qui font porter leur manquement sur leur hiérarchie quitte à ternir l’image de marque du pays à l’étranger. En même temps, elle rappelle la situation récurrente de nos ambassades que l’on pensait pourtant réglée un tant soit peu.
Splendeurs et misères
Au lendemain de l’indépendance, la diplomatie est à l’instar d’autres pays un corps prestigieux placé en ordre utile dans la nomenclature des fonctions de l’Etat. Avec la touche particulière congolaise.
En recouvrant sa souveraineté nationale et internationale, le Congo cherche à se faire valoir à travers le monde et ne lésine pas de doter ses ambassades du personnel et des moyens conséquents pour son rayonnement. Il s’agit pour le pays de faire bonne impression sur l’échiquier international. Chaque ambassade compte en moyenne un peu moins de dix effectifs, mutés avec leur famille qu’il faut loger et qui sont rapatriés dans une périodicité triennale bien réglementée à la Centrale avec de nombreux biens acquis à l’occasion de leur séjour professionnel, avant de recevoir une nouvelle mutation.
En ces heures de gloire, l’ambassade et la résidence du chef de mission diplomatique brillent de tous leurs feux : le drapeau hissé aux deux endroits porte haut la puissance prétendue du pays qui n’en tire que respect et considération partant de cette enclave du Congo à l’étranger ; des réceptions y ont lieu… Le prestige du Congo, puis après du Zaïre est d’autant renforcé que le pouvoir en place ne lésine par sur les moyens pour effectuer des dons dans le cadre de la coopération sud-sud.
A cette belle époque du Congo, relayée par celle du régime de Mobutu où la fonction, de plus en plus politisée devient victime du favoritisme, du népotisme et du tribalisme. Dans l’entretemps, la gabegie financière qui commence à ronger le pays a pour répercussion de réduire en portion congrue le budget alloué à la diplomatie.
A l’époque fastueuse, succède la descente aux enfers à partir des années ‘80. La diplomatie congolaise jusqu’alors rayonnante ne cesse de perdre en éclat. Les salaires des diplomates et des engagés locaux ne sont plus versés. Les loyers de la chancellerie et des habitations ne le sont pas non plus et les arriérés s’accumulent jusqu’à conduire aux menaces de déguerpissement avant que cela ne se concrétise. Avant cela, ce sont les charges locatives qui pénalisent les diplomates devant endurer pour ceux mutés dans les pays du Nord, les rigueurs du froid lorsque le chauffage est coupé. Le rapatriement des diplomates et de leur famille devient difficile.
Faute de moyens pour le fonctionnement, le mot d’ordre pour chaque ambassade est « débrouillez-vous » article 15 à qui mieux mieux, même s’il est vrai que toutes les ambassades ne sont pas logées à la même enseigne, certaines étant plus choyées que d’autres pour des raisons politiques ou parce qu’elles sont génératrices de revenus par la vente des visas et autres documents.
Par la force des choses, les diplomates deviennent des commerçants d’imprimés de valeur, voire de certaines marchandises parfois prohibées comme les cigarettes sous le couvert de la valise ou de l’immunité diplomatique. D’autres diplomates doivent se reconvertir frauduleusement en nouvelles professions comme celle de taximan, de femmes de ménage… Un autre témoignage porte même sur la spoliation du patrimoine de l’ambassade dont le plus célèbre est celle de la vente du bâtiment situé au Japon par son ambassadeur de l’époque.
Tentative de renouveau
Le retour d’une stabilité relative dans la marche du pays s’observe au début de la première décennie de ce siècle. A l’époque du gouvernement Matata, le gouvernement décide d’éponger les importants arriérés afin de redorer l’image fortement ternie de la diplomatie congolaise durant de longues décades.
En 2010, une conférence diplomatique se tient. Afin d’endiguer toutes déconvenues, le gouvernement arrête des résolutions pour réussir le renforcement de la diplomatie congolaise et la rendre plus dynamique. Parmi les résolutions circonstancielles, il a été décidé de procéder à la fermeture des représentations diplomatiques de moindre importance et se concentrer sur celles qui sont déterminantes pour la coopération, Il était également question de diminuer sensiblement les effectifs et envisager le rapatriement du personnel.
En outre, l’option de l’acquisition d’un patrimoine propre est levée. Tel est le cas de la chancellerie de Berlin qui se voit dotée en propre d’un bâtiment dans le quartier cossu des ambassades. Il n’empêche, le constat de quelque récidive d’expulsion s’observe. C’est ainsi qu’en août 2015, à l’époque où Thambwe Mwamba trônait à la tête des Affaires étrangères en tant que ministre, l’ambassade de la RDC à Tripoli en Lybie se voit mise en demeure de délogement pour non-paiement de trois ans de loyer. Et comme toujours, ce n’est qu’à la suite de la décision comminatoire du bailleur que la réaction congolaise intervient pour enclencher le processus de désintéressement.
Cependant avec le temps qui passe, la question des ambassades ne cesse de hanter les esprits. Elle est d’ailleurs revenue sur le tapis à l’occasion des conclusions de l’Union sacrée de la Nation. En effet, évoquant le point de l’amélioration des finances publiques et du climat des affaires, le président de la République n’a pas manqué de souligner les revendications de ses interlocuteurs sur la nécessité de « réduire le nombre et le volume de nos représentations diplomatiques à l’étranger et les renforcer en capacités humaines en matière de coopération et de partenariats économiques. »
Des représentations fantomatiques
La cause est entendue. En réalité, le diagnostic porté sur l’efficacité de la diplomatie congolaise a toujours donné des résultats peu reluisants car le problème de la gestion et de l’utilité des représentations diplomatiques reste d’actualité.
Si à son époque fastueuse, le monde diplomatique pouvait faire la fierté du pays, la vraie interrogation est de méditer sur son rôle : il ne s’agit en rien de faire de la figuration mais de servir utilement à la République. Il s’agit dans cet ordre d’idées d’examiner si les deux grands axes de la diplomatie sont bien menés, à savoir d’une part celle de préserver les intérêts des Congolais vivants dans les pays où sont localisés leurs ambassades et d’autre part, les contacts que ces dernières sont censées nouer avec les partenaires et autres investisseurs des pays d’accueil.
Sur les deux registres, les postes diplomatiques ne parviennent pas à répondre aux espoirs placés en eux au point de donner image des représentations fantomatiques. Avec la présence massive des Congolais dans plusieurs pays du monde nos ambassades sont supposées être en mesure de les prendre en charge comme il se doit. Certes, bon nombre de Congolais ont fait le choix d’une autre nationalité ce qui ne rend pas leur présence chez elles nécessaire. Mais pour beaucoup, celles-ci représentent un lieu de refuge, qui malheureusement ne réagit pas à leurs attentes. On se souviendra à cet effet de l’absence de l’ambassade congolais en RSA lors de la chasse aux autres nationalités il y a quelques années. Le cas est d’ailleurs récurrent dans beaucoup d’autres pays. Sur le registre de la recherche des partenariats à conclure en faveur du développement du pays, la critique indique que les actions ne sont pas concluantes.
C’est dans cet ordre d’idées, qu’une collaboration institutionnelle peut être projetée et la réaction de la sénatrice Francine Muyumba, par ailleurs présidente de la commission des relations extérieures à la chambre haute du parlement à l’annonce par la ministre des Affaires étrangères du déguerpissement des chancelleries congolaises à l’étranger donne un éclairage dans ce sens.
Face au scandale du déguerpissement, la sénatrice préconise en effet une collaboration avec le parlement. « les membres du gouvernement doivent comprendre que la représentation nationale est là pour les accompagner, les assister afin de faire avancer des dossiers (…) car le parlement détient le pouvoir de contrôle sur le gouvernement ». Certainement que cette voie pourra aider à fortifier la mission des ambassades congolaises et ranger au passé leur image désastreuse.
Noël NTETE