La conséquence la plus visible au niveau local est une atrophie complète des budgets provinciaux, dont les montants se situent généralement entre 100 et 200 millions de dollars, soit une vingtaine de dollars par habitant et par an. De tels budgets ne laissent aux gouverneurs et à leurs gouvernements que d’infimes moyens d’intervention une fois payés les salaires et les frais de fonctionnement et les condamnent finalement à l’inaction. Lors de la première Conférence des gouverneurs tenue à Kisangani en juin 2009, les gouverneurs des provinces les plus riches – le Katanga, le Kongo central et Kinshasa – ont tenté de porter ce problème sur la place publique, mais ont rapidement abandonné la partie devant le refus obstiné du Président de la République. C’est seulement le 23 février 2013, c’est-à-dire plus d’un an après la fin du mandat des députés et des gouverneurs que le Chef de l’État et son Premier Ministre ont consenti à signer l’ordonnance-loi qui met en place un système plus organisé de reversement.
Problèmes interminables
Les raisons objectives de l’échec constaté ne manquent pas. Très majoritairement composées de députés ne possédant aucune expérience parlementaire, les assemblées provinciales ont toutes connu des débuts difficiles. En fait, bien plus que les obstacles techniques et matériels rencontrés, c’est l’opposition constante et déterminée du pouvoir central et du Président de la République en particulier, qui a empêché les pouvoirs provinciaux de véritablement s’établir et de se mettre au travail. La lenteur avec laquelle les textes relatifs aux finances provinciales ont été préparés et adoptés, la réticence du pouvoir à les mettre en application, ne s’expliquent pas seulement par la complexité de la matière, par des dysfonctionnements administratifs ou par une méfiance somme toute normale de la part d’un pouvoir central vis-à-vis d’une politique nouvelle de décentralisation. Cette politique de captation des ressources financières au profit de l’État central et d’assèchement des provinces vise à maintenir intacts les flux et circuits financiers actuels et à continuer à en faire bénéficier le cercle restreint qui entoure le Président de la République.
Absence d’une assiette fiscale locale
Avec un taux de rétrocession faible, les provinces congolaises ne sont pas en mesure de mettre en œuvre leurs nouvelles compétences. Elles réagissent en partie en s’abstenant à leur tour fréquemment d’effectuer des transferts vers les ETD et en s’appropriant les taxes de ces dernières, ce qui entraîne des situations locales de détresse financière. Dans la commune de Lemba (250 000 habitants) à Kinshasa, les transferts totaux de la province se chiffraient à 55 millions de francs congolais en 2009 (environ 45 000 euros) contre 1 milliard budgétisé (soit un taux de réalisation de 0,55 %). Dans celle de Kimbanseke (1,4 million d’habitants), ils étaient de 9 millions seulement (environ 7 300 euros) en 2010, à comparer à un montant budgétisé de 6 milliards (soit un taux de réalisation de 0,15 %).
À Mbanza-Ngungu dans le Kongo central, le territoire reçoit en principe 1,5 million par mois de la province mais, en mai 2011, celle-ci n’avait encore payé que l’équivalent du mois de janvier. La gouvernance des entités territoriales…. Il ne s’agit pas seulement d’un manque d’argent mais d’un manque de prédictibilité des revenus : les transferts provinciaux arrivent à l’improviste et ne peuvent être budgétisés. Les provinces préfèrent de plus en plus y substituer des « dons », effectués « contre rétrocession » future.
Vu les larges compétences des communes, il existe donc un déséquilibre fiscal prononcé entre leurs ressources et leurs obligations. Ce conflit est résolu par le fait qu’elles s’abstiennent largement d’offrir les services dont elles sont responsables (hormis la production d’actes d’état-civil qui est rémunératoire). Environ 90 % des dépenses des communes de Kinshasa vont à leurs frais de fonctionnement, 3 % aux services sociaux, et 6 % aux investissements.
L’État self-service
Peu ou pas payés, les agents locaux font leur travail de manière à se payer eux-mêmes. Ils profitent de l’incertitude pour se forger des zones de liberté ou d’autonomie administrative dans lesquelles ils évoluent avec peu de contraintes et qui leur permettent de se « débrouiller ». Découplée du droit, cette autonomie se manifeste par une propension au parasitisme et à la prédation. À Lemba, la consultation de rapports financiers de 2009 et 2011 montre que les revenus de la commune financent en grande partie l’action de les obtenir. Ainsi, 30% des revenus des taxes d’étalage vont à l’« effort de collection » de ces taxes, et 10 % à la« dotation des percepteurs ». Le bourgmestre de Kimbanseke reconnaît que le « manque de motivation » (c’est-à-dire de moyens) encourage la prédation de ses agents. La cheffe de service du Fonds de promotion culturelle de Lemba (elle-même agent déconcentré), explique qu’« elle va sur le terrain », parfois aider de policiers, afin de taxer les gens pour les services culturels (inexistants) de la commune.
Raymond Okeseleke