Interview

Comprendre le Service National: Entretien Exclusif de JP Kasongo Kabwik

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Heshima Magazine : L’opinion congolaise entend souvent parler d’un Service national paramilitaire en RDC. Pouvez-vous expliquer les raisons de sa création ?

Général Major Jean-Pierre Kasongo Kabwik : Avant de vous parler des raisons de sa création, je vais d’abord définir le Service National. Qu’estce que c’est ? Le Service National est un service paramilitaire créé par le Décret-loi 032 du 15 Octobre 1997 qui le définit comme un service paramilitaire d’éducation, d’encadrement et de mobilisation des actions civiques et patriotiques en vue de la reconstruction de notre pays. Comme service paramilitaire, le Service National est à cheval entre ce qui est civil et ce qui est militaire.

HM: Cette initiative de feu Laurent-Désiré Kabila avait quelle motivation ?

Les raisons essentielles, c’est pour mobiliser les actions civiques en vue de la reconstruction du pays. C’est-à-dire, en 1997, lorsque feu le président Laurent-Désiré Kabila prend le pouvoir, il trouve que le pays avait besoin d’être reconstruit, c’est ainsi qu’il va créer un service qui va s’occuper de la mobilisation de toutes les forces, toutes les énergies des fils et filles du pays en vue de contribuer à la reconstruction.

Le Service National a plusieurs missions, je citerai entre autres la création des centres de production à travers le pays, l’encadrement de la jeunesse pour la pousser à contribuer à la production agricole, organiser la jeunesse en vue de la défense de la nation, de la patrie… Il y a plusieurs autres missions qui sont dévolues au Service National. Par exemple, le Service National contribue à la constitution d’une réserve stratégique dans plusieurs domaines et, principalement, dans le domaine de l’autosuffisance alimentaire. Il y a une nécessité de constituer des réserves stratégiques, un stock qu’on met à part, en cas de besoin, en cas de crise, en cas de pénurie, on peut aller récupérer quelque chose pour servir la nation. 

HM: En tant que numéro un de ce service pouvez-vous nous dire combien de Kuluna sont actuellement transférés au centre pilote de Kanima Kasese?

 Il faut avouer que le Service National a connu un moment de léthargie pendant plusieurs années. A sa création, ce service avait donné de l’espoir au peuple congolais parce que plusieurs actions avaient commencé à être menées. Avant la guerre d’agression de 1997-1998, on avait entendu parler du Service national en ce sens que plusieurs activités avaient été créées notamment dans l’encadrement de la jeunesse où plus ou moins 7 000 jeunes avaient été envoyés à Kaniama Kasese pour être encadrer. Plusieurs tonnes de maïs et des produits vivriers sortirent du centre.

Après 1998, avec la guerre d’agression, je comprends qu’il n’y ait plus assez de moyen pour financer le service jeune qui venait à peine d’être créé. C’est pour ça qu’on n’avait plus entendu parler du Service National pendant plusieurs années. Le voilà maintenant en train de faire parler de lui.

HM:  Depuis quand occupez-vous les fonctions de commandant du Service National ? 

Si ma mémoire est bonne, j’ai été nommé au Service national le 15 juillet 2018. J’ai été reconduit à ce même poste, curieusement presque à la même date. Je crois le 14 ou le 15 juillet 2020, deux ans après.

HM: Cela fait 4 ans depuis que vous occupez ces fonctions. Quelle est votre vision pour ce service ?En tant que son commandant, je n’ai pas une vision pour le Service national. Lorsqu’il a été créé, on lui a doté des missions. La vision, c’est celle du commandant suprême. Au-dessus de moi, il y a un commandant suprême, c’est comme dans les Forces armées. Donc, il y a un commandant suprême des Forces Armées de la République démocratique du Congo (FARDC), de la Police nationale et du Service national. Je mets en œuvre la politique et la vision du commandant suprême du Service national qui est le Chef de l’Etat.

Cette vision, c’est comme je vous l’ai dit, le Service national contribue efficacement à la reconstruction et au développement du pays dans plusieurs domaines. Sur le plan agricole, il contribue efficacement à l’autosuffisance alimentaire. Sur le plan de l’encadrement de la jeunesse c’est un service qui permet d’éradiquer, entre autres, le banditisme urbain, notamment par l’encadrement de la jeunesse désœuvrée, à laquelle on donne du travail. 

HM : Concrètement, combien de jeunes délinquants avez-vous transférés de Kinshasa à Kaniama Kasese ?

A ces jours, nous avons réussi à transférer plus ou moins 2.000 jeunes désœuvrés qu’on  appelle « Kuluna » de la ville de Kinshasa vers Kaniama Kasese. Parmi eux, 33 sont des femmes. Ils évoluent bien. Ceux qui avaient été transférés, le 04 novembre 2020, ont parachevé leur formation paramilitaire. Ils viennent de parachever la professionnalisation, c’est-à-dire, selon les instructions du Commandant suprême, en dehors de la formation paramilitaire, [il y a] de l’encadrement civique et patriotique. C’est-à-dire : il fallait laver leurs cerveaux, leur dire que la nation a besoin d’eux et qu’ils peuvent faire beaucoup de choses pour leur Nation. En plus de la formation à l’autodéfense, ils subissent la professionnalisation afin d’apprendre un métier de telle sorte que lorsqu’ils sont réinsérés dans la société, qu’ils soient utiles et qu’ils oublient leurs anciennes pratiques.

HM: Quelles sont les différentes activités qui sont organisées dans le centre de Kaniama Kasese ?

L’agriculture est la première activité qu’on a pu relancer dans le centre. Ce n’est pas la seule. Je vous ai parlé de la professionnalisation, nous organisons aussi d’autres activités, notamment dans cette phase de professionnalisation. Nous avons réussi à former des gens qui sont commis à la construction. Parmi eux, il y a des maçons, des ferrailleurs, des charpentiers…, avec comme mission, dans les jours qui viennent, de construire des bâtiments d’utilité publique. Ils sont déjà en train de les construire. Le centre dans lequel ils ont été formés est en train d’être construit par eux-mêmes. Autrefois, ils dormaient sous des tentes. Aujourd’hui une grande partie est en train de dormir dans des bâtiments en matériaux durables qu’eux-mêmes ont construit. Parmi eux, nous avons formé des menuisiers qui sont en train de fabriquer des bancs scolaires.

Et nous allons pouvoir les mettre à la disposition de plusieurs écoles. Ce qui va contribuer aussi à la politique de la gratuité de l’enseignement que le président de la République prône dans notre pays. Parmi eux, il y a des ouvriers agricoles, des agents commis à la mécanisation agricole. C’est une mécanisation bien spécifique. Il y a par exemple des opérateurs de tracteurs. Un opérateur de tracteur n’est pas le même que celui qui conduit un camion. C’est une particularité.

Nous avons des gens qui peuvent opérer avec une moissonneuse batteuse, nous avons des gens qui vont bientôt devenir des moniteurs agricoles, donc des gens qui peuvent encadrer les paysans dans l’agriculture. Il y a plusieurs activités en dehors de l’agriculture. Maintenant, nous venons de lancer un programme très ambitieux de reboisement pour lutter contre le réchauffement climatique. Nous le faisons à Kaniama-Kasese. Parmi eux, il y a des gens que nous avons formés pour faire de forages d’eau potable. Donc, il y a toute une panoplie d’activités qui sont organisées par le Service National.

HM: En encadrant ces jeunes délinquants, constatez-vous une amélioration dans leur comportement ?

Il y a ce que nous appelons au Service national l’encadrement civique et patriotique. Donc, ces jeunes compatriotes ont été reprogrammés mentalement. Plusieurs d’entre eux ne savaient même pas qu’ils étaient utiles à la société et qu’ils pouvaient aussi servir leur nation. Il fallait aller tout doucement avec eux, d’abord les mettre en confiance. Qu’ils comprennent qu’ils sont Congolais au même titre que les autres, bien que eux avaient choisi la voie de commettre de crimes, de violer les lois de la République. Il fallait d’abord les mettre en confiance en leur disant : « que vous êtes ici, on a encore besoin de vous et on aura encore besoin de vous, vous êtes utiles ».

On les a reprogrammés, il fallait laver les cerveaux, les endoctriner, leur faire voir que la nation a encore besoin d’eux. Nous leur avons dit : « Vous êtes suffisamment forts pour contribuer au développement du pays ».Ce n’est pas un travail facile. Car Il y en a, parmi eux, qui viennent de la prison, il y en a, parmi eux, depuis leur naissance, qui n’ont été que des enfants de la rue et qui n’ont bénéficié que de l’éducation diffuse. Des gens comme eux, il fallait les reprogrammer. Cela n’a pas été facile. Cela nous a pris beaucoup de temps pour le ramener à réfléchir comme des bons citoyens congolais.

HM: Dans l’encadrement de la formation de ces jeunes, quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Il y a des difficultés sur le plan de l’encadrement de ces jeunes. Il y a une forte résistance pour quelqu’un qui était habitué, le matin, il se réveille, il n’est soumis à aucune discipline, à aucune règle. Il va faire tout ce que bon lui semble et que si vous l’emmenez dans un centre où il doit se réveiller à 5 heures du matin, il doit se laver pour s’apprêter à faire la formation, où il sait que tout ce que nous faisons dans ce centre est soumis à un règlement, ce n’était pas facile. Pour quelqu’un qui doit savoir que pour manger, il faut de l’ordre établi, toute activité qui doit être faite doit se faire selon un règlement préétabli, cela n’est pas facile. Il y avait de la résistance.

Ça c’était la première difficulté. La deuxième difficulté, c’est un genre de crainte ou de peur. La troisième, c’est le manque de confiance en eux-mêmes. Ils se posaient souvent des questions : « est-ce que c’est faisable ? Est-ce que je serai utile à la société demain ? » Ces genres des questions influaient négativement sur la formation. Il fallait beaucoup de temps, les mettre en confiance, les réorienter. Aujourd’hui, ils sont en confiance et voient que l’avenir est rassuré ou garanti pour eux aussi.

HM: En août 2021, le ministre des Droits humains s’était opposé à ce transfèrement des « Kuluna » vers le centre pilote de Kaniama-Kasese. Il avait qualifié cette opération « d’attentatoire » aux droits humains. Pensez-vous que le traitement de ces jeunes dans ce centre répond aux nomes ? 

Il ne s’agit pas d’une question de violation des droits humains. La première chose, c’est que ces jeunes gens n’ont pas été emmenés contre leur propre gré. Lorsqu’on les emmenait à la police, il y avait plusieurs personnes de différents milieux.. Ils avaient le choix. Certains voulaient s’engager ainsi pour se donner une deuxième chance, afin de refaire leur vie en passant par la formation au Service National et d’autres qui estimaient qu’ils pouvaient faire face à la justice, ceux-là étaient orientés vers la justice. Et ceux qui venaient aussi au Service national, avant de les enrôler, ils signaient un acte d’engagement.

Donc, il ne s’agissait pas d’une question de violation des droits humains ni dans leur récupération, ni même dans leur acheminement, encore moins dans leur encadrement spécifique dans le centre. Ils sont convenablement pris en charge.

Olyncia Muhong Kashema

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