Témoignages DE VICTOR BATUBENGA MBAYI, ANCIEN CHEF DE SERVICE
Dans ce récit, l’inspecteur général des finances, chef de service honoraire, revient sur les difficultés que ce service d’audit supérieur a connues pour avoir, enfin, la main libre aujourd’hui. L’autre retraité, Pierre Ngoma, partage aussi son expérience…
Je suis actuellement inspecteur général des finances, chef de service honoraire. J’ai commencé ma carrière à 25 ans. Je ne suis pas à confondre avec Victor Batubenga Panda Madi, qui est actuellement chef de service adjoint. Je suis à l’Inspection générale des finances depuis l’âge de 25 ans. J’ai commencé ma carrière en 77. J’ai gravi tous les échelons à l’Inspection générale des finances jusqu’au niveau de chef de service. J’ai été recruté par la Coopération française en 77. Nous étions 25 à l’Inspections des finances. Après, nous avons fait des stages à l’Inspection des finances en France. J’étais notamment à l’Inspection des finances en France, à la Direction de trésorerie générale de Dijon, à la direction interrégionale de la douane à Kotor, et puis j’ai été à la direction provinciale des impôts toujours à Dijon.
Quand on arrive à l’Inspection générale des finances, on se rendra toujours compte des intérêts qui sont en jeu. C’est en commençant à travailler qu’on se rend compte qu’on gère beaucoup d’intérêts et fatalement on a sur le dos les opérateurs économiques, les gestionnaires de l’Etat. Ce n’est pas un métier facile. Je pense que dans tout cela, je peux avoir un objectif qui est celui de faire correctement mon travail et de surmonter tous les obstacles, parce qu’il y en a effectivement. Il y a des moments où, des dossiers que vous croyiez avoir bien traités vont nécessairement heurter certains intérêts et tout dépend alors du traitement qui sera fait par la hiérarchie. Quelque fois, il y a des surprises désagréables.
Je crois qu’au départ, quand nous sommes arrivés en 77, l’objet de l’Inspection générale des finances remonte à 1968. C’est Paul Muchiete qui était ambassadeur en France. Lorsqu’il est devenu ministre des Finances qu’il décidera finalement de créer un corps spécial d’inspecteurs des finances et va faire appel à la Coopération française pour copier le modèle français. Généralement, en France, c’est un service autonome.
Et, il avait voulu que ce service soit autonome A l’instar de la France, il avait voulu que ce service soit autonome. C’est ainsi que le corps spécial d’inspecteurs des finances dépendait directement du ministre des finances. C’est des gens qui avaient une situation financière confortable. Je sais qu’à l’époque, l’inspecteur des finances gagnait pratiquement trois fois le traitement du secrétaire général. Je pense que jusque-là, le statut permettait d’avoir un statut spécial. Les statuts de la Fonction publique permettaient d’avoir des statuts spéciaux. A l’époque, l’Inspection avait un statut spécial mais, à un moment donné, on a élaboré un statut qui a réduit le corps spécial des finances en une direction de ministère des Finances.
C’est là où commençaient les problèmes parce que lorsque vous traitez un dossier, il faut passer par le secrétaire général et s’il y a des intérêts qui ne permettent pas qu’il les transmette au ministre des Finances, il va les bloquer à son niveau. Il était difficile d’avoir les résultats tangibles. Je pense que le fait de réduire l’Inspection en un service public comme les autres n’était pas avantageux pour les gens qui y travaillent. Il y avait vraiment une démotivation. Je peux dire qu’à un moment donné, on se demandait si le service n’allait pas disparaître.
Par ce qu’il y a eu des périodes, je sais que la dernière période, les inspecteurs, comme ils ont cette facilité d’aller en détachement, préféraient être plus à l’extérieur que travailler à l’Inspection générale des finances. Il y a des périodes où on a eu moins de 15 inspecteurs des finances opérationnels. Toutes ces périodes-là n’étaient pas propices à un bon épanouissement de l’agent qui y va travailler. Finalement, il y a eu une deuxième période où pour des raisons politiques, après Sun City, on va décider de rattacher l’Inspection générale des finances à la Présidence de la République.
C’était une décision d’autorité. Mais, ça n’a pas fait longtemps, on a fait juste 9 mois à la Présidence de la République parce que le ministre des finances n’était pas à l’aise. Il savait qu’à tout moment, on pouvait larguer une mission de contrôle et le contrôler lui aussi. Alors que dans la première période, l’Inspection générale des finances exerçait son contrôle par délégation du ministre des Finances. Or, 90 % des dépenses passent par le ministre des Finances.
Donc, les pouvoirs de l’Inspection générale des finances étaient vraiment réduits. Parce que c’est la personne qui était au-dessus du contrôle. Ce qui fait que le ministre des Finances qui est passé à l’époque a tout fait pour faire passer un autre texte. Et, nous revenions de nouveau à la situation de direction. Et, cela perdurait jusqu’en 2003 et je vous l’avoue que tout ce que j’ai décrit comme désavantage c’était de nouveau arrivé. En plus, il y a un phénomène qui a toujours été remarqué ce que la Fédération des entreprises du Congo (FEC) s’arrangeait toujours de placer quelqu’un qui leur est favorable à la tête du ministère des Finances. Ce qui fait que toutes les initiatives qui venaient de l’Inspection et qui étaient capables de ramener beaucoup de recettes au niveau de l’Etat étaient étouffées par ce pouvoir économique. Je vais vous dire qu’en fait, lorsqu’on voit l’évolution de l’Inspection générale des finances au Sénégal, ils ont une Inspection générale d’Etat du temps de Senghor qui était rattachée au Président de la République.
Et, les inspecteurs d’Etat avaient cette facilité de discuter des rapports qu’ils faisaient avec le président de la République. Parce que, dans nos régimes où le pouvoir est présidentialiste, lorsque vous travaillez à un niveau inférieur, il est très difficile de faire remonter l’information jusqu’au Président de la République. Et, cette inspection-là, jusqu’aujourd’hui, continue à fonctionner.
Nous, on n’a pas eu beaucoup de choix parce que le seul service de contrôle que nous avions c’était l’Inspection générale des finances et, c’est en fait un besoin qui a été ressenti au niveau de la Présidence. Vous vous rappelez, à un moment donné, on avait parlé de ministre des Finances qui s’octroyaient de 30 à 40% de commissions et, avec ça, on ne pouvait pas avoir un budget conséquent. Je me rappelle que chaque fois qu’on a eu à le rappeler, on rappelait toujours que nous n’avions pas les mains libres pour faire le travail tel que nous aurions voulu le faire.
Je pense que la position idéale c’est d’avoir une inspection rattachée au Président de la République. Mais là, c’est un problème de choix. Là où il y a l’Inspection générale d’Etat, elle est rattachée soit, au Président de la République, soit au Premier ministre. Mais, en plus, ils ont aussi une inspection des finances qui dépend cette fois-là du ministre des Finances. En fait, ça devient cette fois-là un contrôle interne au niveau du ministère des Finances. Et, l’Inspection générale d’Etat, en ce moment-là, exerce un pouvoir supérieur, elle est directement rattachée à la Présidence.
Pour évaluer le travail qui est fait au niveau de l’Inspection générale des finances, on a des rapports qu’on faisait au Premier ministre, à la présidence, pour leur dire que le budget qu’on avait était insignifiant. Il suffisait de donner des moyens à l’inspection générale des finances, on pouvait les truquer.
Je pense que ce qu’on a aujourd’hui ne fait que conforter notre position pendant tous ces temps que nous avons été à l’Inspection générale des finances qui avait beaucoup de moyens. Il y a moyens qu’il y ait la peur du gendarme et que le travail se fasse convenablement et avec des résultats que nous avons eus. Vous savez, quand on a vécu toutes ces difficultés-là, voir aujourd’hui la facilité qu’a l’Inspection pour avoir les moyens, parce qu’on n’a jamais eu de problème au niveau du parlement. On nous donnait généralement un budget conséquent. Mais le problème, c’était le décaissement. Ce n’était pas facile. En tout cas, si on a une année exécuté convenablement le budget, c’est à 20%. Je crois que ceux qui ne tenaient pas à ce que l’Inspection travaille convenablement, savaient que le seul moyen de bloquer l’Inspection générale des finances était de ne pas lui donner les moyens. Il était pratiquement difficile d’effectuer des missions à l’intérieur déjà. Essayer de faire des missions à l’intérieur, toutes ces missions se faisaient sur place, quelques fois un peu au Bas-Congo et, c’était difficile d’atteindre quelque fois les provinces qu’on pouvait booster pour avoir beaucoup de recettes.
Je pense qu’il est sur la bonne voie. Personne ne peut dire le contraire, parce que moi-même j’avais eu des discussions avec le Président de la République. Il l’avait promis effectivement. D’abord, on avait un problème d’effectifs. On avait tenté de recruter depuis 2012. Il a fallu que le Président intervienne pour débloquer cette situation. Tout simplement parce que les gens ne voulaient pas d’un concours. Ils voulaient placer les leurs. Mais, de ce côté-là aussi, je crois que dès que le président a été informé, il a débloqué parce qu’on ne voulait pas faire ce concours au niveau de la Fonction publique parce que nous connaissons aussi tout ce qui a eu comme dysfonctionnement au niveau de la Fonction publique lorsqu’il s’agissait de recruter.
Nous avons recouru à un cabinet d’audit international et, eux aussi avaient pris toutes les précautions parce que la première série du concours qu’on a organisé, les superviseurs étaient venus du Cameroun. Même eux n’avaient pas confiance à leurs agents qui étaient ici sur place. On avait pris toutes les dispositions pour faire quand même les choses de manière efficace. Je pense que bientôt, on pouvait voir que ce choix était bien. Je crois qu’ils arrivent dans une conjoncture un peu compliquée. Ils n’auront pas le temps de faire le stage pratique. Il faudrait quand-même que la Direction y veille parce qu’aujourd’hui, les résultats qu’on a eu avec l’Inspection, c’est avec la formation. On avait notamment un contrat de partenariat avec un centre de formation en France, un centre de formation au Canada. Parce que ça nous permette aussi d’avoir, car aujourd’hui, on ne peut plus vivre en vase clos, vous aller être en contact avec les autres. Il y a notamment le forum des inspections générales d’Etat où j’avais cette facilité de rencontrer les responsables au niveau surtout de l’Afrique francophone.
Avec eux, on voyait ce qu’ils faisaient, qu’est-ce qu’on pouvait améliorer à notre niveau. On a eu aussi la chance d’être au niveau de la SADC parce que, qu’on le veuille ou pas, les Anglophones sont un peu en avance par rapport à nous dans l’audit. Alors, on a eu à travailler ensemble. On a eu finalement à obtenir que le corps de la SADC soit examiné par les organes de contrôle des pays de la SADC. Et, nous avons eu à travailler avec les gens de la SADC. Et les résultats ont été ressortis, je me rappelle qu’il y a eu le contrôle qu’on a fait, qui a été apprécié même au niveau international. Le travail qu’on fait ici, il faut d’abord savoir qu’on le fait pour toute la nation.
Si l’objectif est de s’enrichir, ces gens ne tiendront pas le coût. Parce que, le travail, tel qu’on le fait, vous voyez, toute l’attention est focalisée sur l’IGF. Le moindre faux pas sera tout de suite grossi pour diaboliser l’institution. Il faut d’abord que ceux qu’ils ont trouvés, les aînés qui les encadrent, puissent être des modèles. Ils doivent travailler avec intégrité et doivent aussi améliorer leur expertise pour pouvoir la transmettre convenablement aux jeunes qui viennent d’arriver.