Interview

Interview O’Neige N’sele Mimpa : « Le travail des femmes est invisibilisé »

Deuxième femme à occuper, 30 ans après, les fonctions de Vice-ministre des Finances en République démocratique du Congo, O’Neige N’sele Mimpa pense que le pays ne peut pas se priver de plus de la moitié de l’intelligence de son peuple constitué en majorité des femmes. Dans une interview exclusive accordée à Heshima Magazine, elle étale sa perception de la question des droits des femmes en RDC et l’apport de son association. Elle appelle aussi à ne pas faire ombrage au travail des femmes qui sont présentes aujourd’hui dans plusieurs métiers.

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HM: Madame O’Neige N’sele, vous êtes aujourd’hui Vice-ministre des Finances, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

 Mon parcours professionnel est particulièrement marqué par le secteur bancaire dans lequel j’ai évolué pendant plus d’une décennie, bien que j’aie fait mon entrée dans le monde professionnel au travers du secteur des télécommunications. Du point de vue académique, je suis détentrice d´une licence en Informatique Appliquée de l’Institut Supérieur d´Informatique Programmation et Analyse, puis d´une double maîtrise en Management et Administration des Entreprises de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne en France et de la Georgetown Business School des Etats-Unis d’Amérique. 

HM: Vous êtes la première femme de l’histoire à occuper ce poste en RDC, comment, en tant que femme, vivez-vous cette expérience ? 

En réalité, je suis la deuxième femme Vice-ministre des Finances, 30 ans après Madame Nelly Kiwewa qui a occupé ce poste de novembre 1991 à août 1992. Cependant, plusieurs personnes ne se souviennent pas d’elle. Le travail des femmes n’a pas toujours été mis en avant, surtout dans le domaine politique majoritairement représenté par les hommes. Ce que je souhaite, c’est qu’après moi une autre femme occupe le poste de vice-ministre, si pas celui de ministre des Finances. On pense bien souvent, que certains métiers ne sont réservés qu’aux hommes alors que l’histoire nous prouve le contraire. Nous avons eu des reines, des sociétés matriarcales qui sont aussi le terreau fertile de la richesse culturelle de notre pays, de nos racines, de nos ancêtres. Les femmes ont un rôle important à jouer dans notre société et à tous les niveaux. Ai-je besoin de dire qu’elles sont d’excellentes gestionnaires, qu’elles travaillent en même temps qu’elles élèvent leurs enfants ? Je suis moi-même une femme active et à la fois mère. Nos femmes congolaises sont des « warriors ». Je les croise au marché, sur les routes, dans les champs et dans tous les autres corps de métier. Elles occupent des métiers masculins mais on fait mine de ne pas le voir. Le travail des femmes est invisibilisé. 

Quand une femme bêche la terre et plante des pommes de terre au Kongo Central est-ce qu’on dit qu’elle fait un métier d’homme ? Aujourd’hui, nous devons intégrer dans la mentalité de nos jeunes filles qu’il n’existe pas de filières qui soient réservées aux garçons seuls : Informatique, mathématique, agriculture, aviation, politique, tout est ouvert. Notre pays a besoin de têtes bien faites et bien pensantes. Qu’avons nous à gagner en nous privant de la moitié de l’intelligence de notre pays ? Nos filles doivent être instruites au même titre que les hommes et nous devons les encourager à se surpasser.

Nous avons besoin de toutes les forces vives de la nation, nous avons besoin d’union et d’être à l’écoute des zones les plus reculées et isolées de notre pays. Il faut des femmes qui se mettent en avant, en vue de briser la barrière du genre. Cette barrière qui nous sépare de la réalisation de notre plein potentiel. Comment je vis cette expérience ? La charge est à la fois noble et lourde. Je garde la tête froide, l’œil dans le viseur. Le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, me donne l’opportunité de travailler pour une cause qui dépasse ma vie et celle de ma famille. Tous les matins, quand je quitte la maison c’est pour mon pays.

 HM Vous défendez également les droits des femmes et vous participez à plusieurs programmes de lutte pour l’égalité des chances aussi bien dans le secteur public que privé. Comment évaluez-vous cette question d’équité du genre en RD Congo ?

 La place de la femme dans le monde professionnel privé et public devrait être une affaire de tous et non le cheval de bataille des femmes uniquement. L’une des raisons qui m’a motivée à participer au Programme de la Mc Kinsey Academy sur la thématique «Unlocking Women Potential », traduit en français par « Libérer le potentiel des femmes », était d’échanger avec des professionnels qui mènent des études sur la condition féminine, dans le but de leur donner des outils adéquats permettant l’éclosion de leur potentiel et les qualifiant ainsi à assumer des postes à resposabilité dans la société. En RDC, c’est vrai que nous avons encore du chemin à parcourir, mais nous évoluons plutôt bien. A titre d’exemple, le Gouvernement au sein duquel je suis membre, est composé à 27% de femmes comparé à autrefois. Tout le mérite revient au Président de la République, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, qui a tenu à reconnaître le mérite des femmes dans la gestion de la Res Publica. Ceci lui a valu d’être désigné comme Champion de la masculinité positive par le bureau de l’Union Africaine. 

Le Premier ministre et Chef du Gouvernement, Jean Michel Sama Lukonde n’hésite pas à donner à la femme sa place dans l’action du Gouvernement de la République. Au sein du Ministère des Finances, je travaille dans un climat d’harmonie avec le Ministre des Finances, Nicolas Kazadi Kadima, qui est un homme « genré » et respectueux de la femme. Dans l’exercice de nos fonctions, les compétences et le sens élevé de responsabilité sont le leitmotiv de notre collaboration. C’est pour moi un honneur de travailler dans un environnement qui prône et plébiscite la femme, en dehors des stéréotypes de la société. Le plafond de verre congolais commence peu à peu à se fissurer. Nous sommes sur la bonne voie. 

HM: Vu le parcours que vous avez eu jusqu’ici en tant que femme, avez-vous rencontré des obstacles ?

 Les obstacles, on en rencontre toujours, et à tous les niveaux, que l’on soit Homme ou Femme. Cependant, en tant que Femme, il est vrai que nous subissons d’autres types d’inégalités, d’ordre culturel ou religieux. C’est à nous qu’incombe la responsabilité de nous faire valoir par le biais de nos compétences, et de nous faire respecter à juste titre, afin que soit intégré dans l’imaginaire collectif que nous ne sommes en rien moins méritantes que l’autre sexe. Mais comme je le dis souvent : C’est de bonne guerre.

 HM :Croyez-vous à l’effectivité de l’égalité des sexes dans un contexte de poids de la tradition en RDC ? 

Déjà pour commencer, nous devons retenir que l’égalité des sexes est un droit fondamental à la personne et elle ne l’est pas plus ou moins dans une communauté que dans une autre. La femme congolaise doit se défaire de ce déterminisme social qui lui a longtemps fait croire qu’elle est inférieure à l’homme, et cela passe par son éducation. C’est à juste titre que le Gouvernement au sein duquel je suis membre, a œuvré pour la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement primaire, qui vise la réduction du taux d’abandon scolaire, de l’écart entre la scolarité des filles et celle des garçons, ainsi que du taux d’analphabétisme. 

Avant, les parents privilégiaient les garçons au détriment des filles pour des raisons économiques ; mais depuis que l’école primaire est gratuite, aucun parent n’a plus aucune excuse pour discriminer les filles. À présent que l’école primaire est ouverte à tous et toutes, nous devons changer les mentalités dans nos foyers. Permettre aux jeunes, filles et garçons, d’aller à l’école gratuitement c’est assurer l’avenir de toute une nation. Les jeunes sont notre miroir, ils sont notre avenir. Grâce à la gratuité scolaire que nous avons mise en œuvre, nous avons enregistré plus de sept (7) millions de nouveaux inscrits avec un taux élevé de jeunes filles. Cela me rend résolument optimiste. Le développement de nos communautés est une affaire de tous les âges et de tous les sexes. 

HM :Vous êtes Présidente de l’Association dénommée « Centre d’Encadrement et d’Aide aux Initiatives de Développement » (CEDAID). Quelles sont les actions menées dans votre organisation et quels en sont les impacts directs et indirects ?

Comme vous pouvez le déchiffrer dans la dénomination de mon Association, notre vision n’est pas d’apporter une simple assistance aux populations, mais plutôt de promouvoir les initiatives de développement à la base et de les rendre durables. À ce titre, nous avons lancé des projets dans plusieurs secteurs, notamment : 

• 1) Agriculture : Nous encadrons et formons plus de 2.000 exploitants agricoles dont la majorité sont des femmes, dans un programme de modernisation des systèmes de production agricole. Il s’agit de les former aux nouvelles techniques et d’augmenter leur production par l’utilisation des intrants agricoles de qualité. Tout ceci en les fédérant autour des terres savanicoles grâce à la distribution des biofertilisants, dans le respect des normes environnementales et de protection des forêts. 

• 2) Infrastructures et Transport : nous réhabilitons un tant soit peu des voies de desserte agricole pour faciliter le transport et l’évacuation de la production des exploitants agricoles que nous encadrons, avec l’objectif de permettre la commercialisation de leurs produits. Ce qui a comme conséquence directe l’augmentation des revenus des ménages. Aussi, nous sommes en pleine phase de construction d’entrepôts pour permettre le stockage de la production agricole. Et enfin, nous mettons des tracteurs à la disposition des exploitants agricoles, afin de permettre l’évacuation de leur production malgré l’état des routes dans les milieux ruraux, en attendant la finalisation dans un contexte national des actions du gouvernement dans ce secteur. 

• 3) Santé : A côté des projets agricoles, des actions sont menées dans le domaine de la santé. Nous organisons régulièrement des caravanes médicales dans les milieux ruraux en administrant gratuitement des soins de santé primaires et en distribuant des médicaments aux populations locales. Nous avons récemment lancé les travaux de construction de deux centres hospitaliers dans le Kasaï Central et dans la province du MaïNdombe. Des projets supplémentaires viennent d’être mis en place, en l’occurrence : l’éducation à travers des programmes adaptés á notre population et vulgarisés grâce au relai de nos radios communautaires. Les forages des puits d’eau afin de desservir les populations en eau potable. Tous ces projets sont un moyen pour nous de contribuer au développement des milieux ruraux et péri-urbains, afin de permettre aux ménages de jouir pleinement de leur autonomie et de sortir les familles du seuil de pauvreté. Les activités de mon association sont déployées, dans un premier temps, dans les provinces du Kasaï Central, Maï-Ndombe, Kinshasa, Kwilu, Kasaï, et Kongo Central.

HM :Avez-vous des modèles aujourd’hui au sein de la gent féminine ? En quoi est-ce qu’elles vous ont inspirées ?

 En effet, j’ai plusieurs modèles mais je n’en citerai que quelques-unes. Premièrement, la Reine Ngalifourou qui est considérée comme la dernière souveraine d’Afrique noire, mère des Tékés, peuple dont je suis originaire. Elle a succédé à son mari après sa mort, et a participé activement à la vie politique du Congo. Elle a plusieurs fois rencontré le Général de Gaulle, et a aussi envoyé des soldats tékés se battre aux côtés des troupes françaises. Ce qui lui a valu la légion d’Honneur qui est la plus haute distinction française. Elle a régné plus d’un demi-siècle. C’était une dame de fer dont le courage et le leadership m’inspirent énormément. Je suis fière d’être une de ses descendantes et d’appartenir à ce grand peuple. Deuxièmement, je citerai aussi Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue chef d’Etat en Afrique, 24e présidente du Libéria avec sa célèbre maxime « Si vos rêves ne vous font pas peur alors ils ne sont pas assez grands ». J’ai fait de cette maxime un leitmotiv depuis mon jeune âge, au point de l’afficher sur le mur de ma chambre comme un poster. Cette vision claire des choses m’a porté durant mon parcours et résonne encore aujourd’hui face à mes défis et au dépassement de mes limites. A ces deux grandes dames s’ajoutent Michelle Obama, Kimpa Vita, Angela Merkel, Condoleeza Rise, Simone Veil, Margaret Thatcher, etc, tant de femmes dont la personnalité, le travail, le leadership et le courage forcent le respect et l’admiration de tous.

HM: Au-delà de ce qui est fait, qu’est-ce qu’il faut de plus pour une représentativité des femmes dans les postes de prise de décisions ?

 Nous devons avoir plus de modèles, plus de représentations qui poussent à renverser la tendance et faire basculer la balance en notre faveur. Des femmes qui se mettent en avant en vue de trouver des solutions aux problèmes que traverse la société. Les femmes doivent avancer ensemble et se soutenir, s’encourager plutôt que de se diviser. Comme il y a une fraternité, il nous faut construire une sororité. À nous de rassembler les femmes autour de nos problématiques et de nos défis communs. Quand mon agenda le permet, je participe à des sessions de mentoring auprès de jeunes filles pour leur insuffler la passion qui m’anime.

 HM :Avant d’entrer au gouvernement, vous étiez dans le secteur bancaire. Qu’est-ce qu’il faut faire aujourd’hui en RDC pour renforcer l’inclusion et l’autonomie financière des femmes ? 

Les femmes dans leur majorité déploient leurs activités commerciales dans les milieux ruraux et péri-urbains, très peu pénétrés par les banques classiques du fait de leur Business Model. Néanmoins, certaines Institutions financières offrent un service de microfinance en octroyant des microcrédits aux femmes, mais à des taux d’intérêts encore très élevés, ralentissant ainsi la croissance de leurs activités commerciales dû au fait des faibles marges bénéficiaires. Il serait indiqué de travailler pour : l’amélioration du taux de pénétration des institutions financières dans les milieux ruraux en y intégrant cette couche de la population. 

Plus d’éducation financière ; des offres diversifiées des produits financiers adaptés et accessibles ; avec un accent particulier sur le digital ; la mise en place des fonds de garantie publique et/ou privée en faveur des PMEs. Il sied de noter les avancées de notre Gouvernement à travers le Ministère des Petites et Moyennes entreprises dans ce domaine ; la réduction des taux d’intérêts appliqués aux crédits et bien d’autres actions concrètes afin de booster l’entrepreneuriat en général et celui des femmes en particulier. 

Néanmoins, l’un des objectifs du Gouvernement à travers le Ministère des Finances est aussi de répondre à un problème structurel de financement à grande échelle et à long terme en créant une Banque Nationale de Développement qui permettra de financer à des taux compétitifs des secteurs clés tels que les Infrastructures, l’Energie et l’Agriculture. L’étude de faisabilité est en train d’être finalisée. Il existe plusieurs autres actions prévues afin d’accompagner le secteur en général, visant la promotion de l’entrepreneuriat et l’inclusion financière en RDC.

 HM :Avez-vous quelque chose à ajouter ?

La femme possède une myriade de compétences qui lui confèrent une place décisive dans la construction d’un futur égalitaire. Il faut plus de femmes qui s’impliquent, chacune à son niveau, et prennent à bras-le-corps la responsabilité de renverser la tendance afin de réduire les inégalités du genre. Pour changer de paradigme, nous devons améliorer notre système commun de pensée. Si chaque femme pouvait, chacune à son niveau, prendre la responsabilité de mener des actions qui iraient dans le sens d’influencer positivement la vie d’autres femmes, d’améliorer leurs conditions et de marquer leur milieu de vie ; nous aurons ainsi raccourci le temps qui nous sépare encore de la victoire dans la lutte que nous menons depuis bien de décennies.

 Propos recueillis par Heshima 

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