Les spéculations autour de l’avenir de la Constitution de 2006, longtemps restées dans l’ombre, se sont désormais transformées en un projet tangible porté par le pouvoir en place. Le Président de la République, Félix Tshisekedi, a été celui qui a levé le voile sur cette intention de modification constitutionnelle lors de son discours à Kisangani, suscitant une agitation considérable sur la scène politique congolaise. Cette annonce a plongé le pays dans une dynamique de discussions enfiévrées, sans que l’on sache précisément où cela mènera, ni ce que contiendra exactement ce projet.
Le 23 octobre, à Kisangani, lors d’un meeting populaire, Félix Tshisekedi a annoncé la création d’une commission multisectorielle chargée de rédiger une nouvelle Constitution en 2025. Le président a justifié ce projet par la nécessité d’adapter la loi fondamentale aux « réalités congolaises », affirmant que la Constitution actuelle, rédigée sous l’influence étrangère en 2006 et modifiée en 2011, ne reflétait pas adéquatement les spécificités du pays.
Volonté réelle de recentrage national ou stratégie pour pérenniser le pouvoir ?
Le discours de Tshisekedi laisse entrevoir une volonté de modification en profondeur du texte constitutionnel, afin qu’il « reflète mieux les habitudes et spécificités de la nation congolaise » et corriger les aspects considérés comme inappropriés dans la gouvernance du pays. Il s’est ainsi attaqué à l’influence étrangère dans l’élaboration de la Constitution actuelle, soulignant que celle-ci avait été imposée dans un contexte de pression internationale. Ce discours pourrait en effet avoir une résonance favorable auprès d’une population qui pourrait se sentir exempte de la tutelle des puissances étrangères. Cependant, si l’intention semble axée sur un renouveau institutionnel, elle suscite aussi de vives interrogations.
Étant à son second et dernier mandat, l’annonce de Tshisekedi a immédiatement déclenché des débats animés. Le projet de changement constitutionnel ne manque pas de susciter des doutes et des suspicions, notamment au sein de l’opposition et de la société civile. La campagne en faveur d’une nouvelle Constitution, menée par Augustin Kabuya, Secrétaire général de l’UDPS, met en lumière l’enthousiasme des partisans du président, mais soulève également des inquiétudes sur les véritables motivations derrière ce changement.
Les raisons apparentes et cachées du changement constitutionnel
De fait, dans les circonstances actuelles du mandat du Président de la République, l’une des premières interrogations qui surgit est liée à la possibilité que ce changement de constitution serve d’outil pour maintenir le président Tshisekedi au pouvoir. Certaines rumeurs avancent que l’objectif caché de cette réforme serait de modifier l’article 220 de la Constitution, permettant ainsi à Tshisekedi de se présenter à nouveau après la fin de son mandat, une manœuvre que l’opposition, soutenue par l’Église catholique, dénonce vivement. Toutefois, dès lors qu’il est question de la rédaction d’une nouvelle Constitution, toutes les supputations sur son intention de vouloir déverrouiller l’intangible article 220, n’ont plus de raison d’être.
Cependant, bien que l’on puisse légitimement s’interroger sur la volonté du président de se maintenir au pouvoir, il pourrait tout aussi bien respecter l’engagement qu’il avait pris sur la limitation des mandats, engagement qu’il avait combattu sous le régime de Joseph Kabila. On pourrait alors supposer que ses intentions sont motivées par une volonté sincère d’améliorer la gouvernance des institutions congolaises. Néanmoins, le changement de Constitution ouvre potentiellement la voie à des modifications des règles du jeu, permettant à Tshisekedi de « réinitialiser les compteurs » et de se présenter, à moins que la nouvelle loi ne prévoie explicitement le contraire.
L’éventuelle modification de la Constitution pourrait ainsi redéfinir les conditions de l’exercice du pouvoir. Par exemple, un allongement de la durée des mandats présidentiels, de cinq à sept ans, offrirait au président actuel la possibilité de briguer un troisième mandat et, en cas de succès, de cumuler 24 ans de pouvoir. Mais au-delà de cette option, une autre hypothèse émerge : celle de préparer le lit de son dauphin. Dans le cas où la nouvelle loi imposerait à son tour un mandat limitatif, rien n’exclut qu’à son issue le pouvoir en place assure la relève en préparant la succession de l’héritier désigné.
Toutefois dans l’hypothèse de la place qu’un dauphin pourrait occuper dans les intentions du chef de l’Etat, deux cas de figure peuvent se présenter : soit le président respecte la limite de ses mandats constitutionnels et se désiste au profit du remplaçant qu’il aura désigné, soit il rempile, mais, cette fois-ci affecté par les limites physiques (n’oublions qu’il a dû subir au moins deux interventions médicales qui ont alerté l’opinion !), il s’assurerait d’une continuité en douce de son pouvoir en le cédant par exemple à un vice-président comme cela est prévu aux Etats-Unis. Contrairement au président du Sénat qui exercerait provisoirement les fonctions du président de la République en cas de vacance pour l’une ou l’autre raison, le mandat du vice-président est conduit jusqu’au terme de celui du président élu.
L’hypothèse de l’exclusion de candidats gênants
Il est également légitime de se demander si la nouvelle Constitution ne sera pas l’occasion d’introduire des mesures destinées à barrer la route aux leaders de l’opposition. Une des pistes envisageables pourrait être l’introduction d’une disposition exigeant que tout candidat à la présidence soit né de père et de mère congolais, une mesure qui pourrait viser à écarter des personnalités comme Moïse Katumbi, principal leader de l’opposition et ancien gouverneur du Katanga. Une telle mesure limiterait en effet la concurrence en excluant ceux qui ne remplissent pas ces critères, tout en favorisant les candidats favorables au pouvoir en place.
De même, l’idée d’introduire des critères supplémentaires, comme un leadership politique à l’échelle nationale ou un passé électif, pourrait aussi avoir pour objectif de limiter l’accès aux fonctions présidentielles aux seules figures politiques jugées loyales au régime. Un personnage comme le Dr Denis Mukwege, bien que figure emblématique et prix Nobel de la paix, pourrait ainsi se voir écarté, car n’ayant jamais été élu, ni porté à la tête d’un parti politique actif sur toute l’étendue du territoire.
Un autre argument qui s’introduirait dans la Constitution en gestation reposerait sur le fait de mettre de côté les candidats qui auraient eu maille à partir avec la justice ou des déboires avec le fisc. Ici, Martin Fayulu tomberait sous le coup, son hôtel ayant été scellé à une époque pour défaut de règlement de ses obligations fiscales. Il en va de même pour Adolphe Muzito impliqué dans une affaire de corruption en Belgique. Ou encore Augustin Matata, « auteur présumé de malversations financières de 208 millions de dollars de fonds publics destinés au projet de Bukanga-Lonzo », ainsi qu’a eu à le lui rappeler l’Inspecteur Général des Finances, Jules Alingete dans un tweet.
Le « virus du pouvoir » et les risques de tensions
En réalité, au-delà de l’examen des desseins qui peuvent être attribués au Président Tshisekedi, l’interrogation fondamentale est de percer les mobiles profonds du régime et du président de la République lui-même. De l’avis de plusieurs personnes, la volonté de tirer en longueur avec la mise en place de stratégies afin de se maintenir le plus longtemps au pouvoir est évidente. Cette démarche suscite des préoccupations légitimes concernant les risques de tensions politiques, sociales et sécuritaires que pourrait engendrer une telle réforme. En effet, la persistance au pouvoir d’un dirigeant, même élu démocratiquement, engendre fréquemment des dérives et des conflits, comme on l’a vu dans d’autres pays d’Afrique.
Dans ces conditions, l’opinion publique et la classe politique ne seraient-elles pas tenté de penser que le président Tshisekedi et ses inconditionnels à l’instar de leurs semblables d’Afrique, sont atteints du virus du pouvoir, cette tare qui se refuse à quitter leurs fonctions à leur terme sous divers prétextes fallacieux.
A part quelques rares exemples, parmi lequel on peut citer la passation pacifique de pouvoir effectuée par George Weah ou plus récemment par Mokgweetsi Masisi du Botswana, ailleurs, l’obstination avouée est de perdurer pour exercer. Cela s’est observé en Côte d’Ivoire où le Président Ouattara, principal opposant au régime de l’ancien président Laurent Gbagbo, s’est représenté pour un 3ème mandat ; au Togo, en Guinée ou encore au Gabon où cela s’est soldé par la destitution du Président Ali Bongo.
Et à chaque fois, ce processus se caractérise par des violentes manifestations, comme celles vécues en RDC à l’encontre des velléités de Joseph Kabila avant son départ. A ce sujet, la manifestation des jeunes de la Tshangu qui s’est déroulée le 31 octobre dernier sur le boulevard Lumumba est bien un signe annonciateur en cas de récidive. L’enjeu de l’alternance démocratique étant tellement crucial, on ne peut que se demander quelles sont les véritables chances d’accomplissement en toute quiétude de la procédure enclenchée par le chef de l’État actuel et de passer outre les mises en garde sur les risques de « balkanisation du pays » prédit par Olivier Kamitatu, la dénonciation « d’une démarche dangereuse sur le plan sécuritaire, social ou même politique » présagée par Donatien Nshole, ou encore les conseils du député national Ngoyi Kasanji, pourtant sociétaire de l’Union sacrée qui va jusqu’à rappeler les promesses du président Tshisekedi de respecter la limitation du mandat présidentiel et de conseiller quiconque l’induirait en erreur car « le pouvoir enivre si l’on s’y complait, mais il est temps de marquer autrement l’histoire et de créer un véritable État de droit ».
Dans un contexte où l’alternance démocratique est un enjeu majeur, les préoccupations concernant les intentions du président Tshisekedi sont légitimes. Si la modification constitutionnelle peut offrir des opportunités d’adaptation de la loi fondamentale aux réalités du pays, elle comporte également des risques importants de dérives autoritaires et de tensions politiques. Les observateurs se demandent si, à l’instar de nombreux autres dirigeants africains, Tshisekedi est pris par « le virus du pouvoir » et s’il est prêt à tout pour conserver son contrôle sur le pays. La réponse à cette question conditionnera probablement la stabilité de la RDC dans les années à venir.
HESHIMA