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RDC : Kabila peut-il faire confiance à ses opposants d’hier ?

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En République démocratique du Congo (RDC), une nouvelle coalition d’opposition est en voie d’être créée. L’impulsion est donnée depuis un mois par l’ancien président de la République, Joseph Kabila. Pourtant, Moïse Katumbi, Martin Fayulu, Delly Sessanga ou encore Claudel Lubaya ont tous été – à une certaine époque – contre la politique de l’ancien chef de l’Etat. Traineront-ils longtemps à ses côtés ? Décryptage. 

Si quelqu’un pouvait mieux décrire la classe politique congolaise, c’est bien Joseph Kabila. Pendant ses 18 ans au pouvoir, l’homme a vu défiler devant lui presque toutes les catégories d’hommes politiques. L’écrasante majorité a un seul point commun : la versatilité. Les politiciens qui sont passés maitres dans cet exercice ont une imparable justification : le dynamisme politique. C’est ce à quoi s’apprête à vivre le farouche opposant, Martin Fayulu. En effet, après avoir rencontré Moïse Katumbi, Claudel Lubaya ainsi que d’autres hommes politiques congolais en Ethiopie, Joseph Kabila s’apprête à échanger avec le leader de l’Engagement pour la citoyenneté et le développement (ECIDé). L’idée, selon certains proches de l’ex Raïs, c’est de fédérer les forces de l’opposition pour faire face à la « dictature » instaurée par le régime de Félix Tshisekedi en République démocratique du Congo (RDC). Mais cette alliance tiendra combien de temps quand on sait la nature des politiques en RDC ?     

Les proches de Fayulu justifient ce rapprochement

Devenu très médiatique grâce à son bagou, Prince Epenge, porte-parole de la coalition LAMUKA et proche de Martin Fayulu ne manque pas de tournures pour justifier le rapprochement entre son leader et l’ancien président Joseph Kabila. « Il s’agit de la vie de la Nation », fait-il remarquer sur les ondes de Top Congo FM. « Martin Fayulu est disposé à rencontrer tout Congolais qui pense comme lui que Monsieur Felix Tshisekedi est en train de mettre en péril l’unité du Congo avec son projet d’obtenir un troisième mandat en déchirant la Constitution […] », a-t-il ajouté dans un autre média. Prince Epenge insiste sur la volonté de son leader de fédérer toutes les forces politiques et sociales afin de barrer la route à tout projet de changement de la Constitution voulu et soutenu par le camp au pouvoir.   

Fayulu rumine encore son élection « volée »

Candidat malheureux de la présidentielle de décembre 2018, Martin Fayulu n’a jamais accepté sa défaite malgré le « pardon » qu’il a accordé à ceux qui ont « volé » sa victoire. En février 2023, au dernier jour de la visite du Pape François en RDC, le leader de LAMUKA s’était fendu d’un tweet politique après la messe géante organisée à l’aérodrome de Ndolo : « J’ai accordé le pardon à ceux qui ont volé la victoire du peuple », avait-il écrit. Ce dernier a toujours pensé que l’ancien président de la République et le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de l’époque, Corneille Nangaa, avaient orchestré cet « hold-up électoral ». Il soupçonnait le président sortant, Joseph Kabila, et son successeur, Félix Tshisekedi, d’avoir signé un accord politique, qualifié quelques jours après d’un « compromis à l’africaine » par le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian. Loin d’être nostalgique de cet épisode, Prince Epenge ne veut nullement ressusciter la polémique autour des résultats de l’élection présidentielle de 2018. D’après lui, pour le moment, « Félix Tshisekedi fait partie du problème » et que face à cette crise, Martin Fayulu est prêt à rencontrer quiconque pense comme lui. 

Lubaya pactise à nouveau avec Kabila  

Ancien gouverneur du Kasaï Central sous le premier mandat de Joseph Kabila, André Claudel Lubaya avait fini par retourner le canon contre son ancien leader. Devenu député national, élu de Kananga pour le compte de l’opposition en 2011, ce président du parti Union des démocrates africains (UDA originelle) avait multiplié des Philippiques tout au long du second mandat de l’ancien président, le taxant parfois de criminel suite à la répression sanglante des manifestations populaires entre 2015 et 2018. Décryptant une interview-bilan de 18 ans de Joseph Kabila au pouvoir, Claudel Lubaya avait dénoncé un « mépris » de ce chef de l’Etat à l’égard des Congolais et de la classe politique. Il avait évoqué une forme de « connivence » de discours de dénigrement entre Joseph Kabila et les Rwandais au sujet de l’homme congolais. Il accusait également le chef de l’Etat de l’époque de ne s’être pas intégré en RDC, le qualifiant d’un homme resté « distant » et « méfiant » vis-à-vis des Congolais.

Aujourd’hui, le dynamisme politique lui fait changer de discours. Après avoir perdu son siège de député à l’Assemblée nationale et n’ayant rien obtenu comme poste de responsabilité de la part du président Félix Tshisekedi, Lubaya retourne dans les bras de Joseph Kabila. Cette fois, il multiplie des diatribes en direction de l’actuel chef de l’Etat.     

Katumbi, le Juda d’hier

En 2015, il est l’une des personnalités qui a le plus combattu Joseph Kabila. Avec sa métaphore d’un « troisième faux penalty », Moïse Katumbi était passé comme un opposant le plus farouche alors qu’il venait de quitter fraichement le parti de Joseph Kabila, le PPRD. Très apprécié par l’ancien chef de l’Etat, ce dernier avait vécu sa séparation d’avec Katumbi comme une trahison. Lors de sa dernière interview accordée en tant que chef de l’Etat à Jeune Afrique, à la veille des élections du 30 décembre 2018, celui qui est réputé taiseux va extérioriser son amertume au sujet de Katumbi : « C’est un peu un Juda Iscariote. Il m’a trahi sans même y mettre les formes, sans élégance. » Avec une telle opinion sur Moïse Katumbi, bâtir une alliance sincère entre les deux personnalités serait extrêmement difficile, même si l’ancien président reconnait qu’en politique, « il n’y a pas d’ennemi éternel ». Présenté comme un « diviseur commun » par l’éditorialiste Benjamin Litsani, Katumbi courtiserait désormais Martin Fayulu et Joseph Kabila. « Sous couvert d’une quête de pardon, il nourrit un calcul froid : s’appuyer sur la force combinée de Kabila, Fayulu et d’autres figures influentes pour s’élever, une fois encore, au sommet du pouvoir », note l’éditorialiste. Katumbi verrait donc d’un bon œil cette alliance, pourvu que cela lui serve de marchepied pour atteindre son ultime obsession : le fauteuil présidentiel.    

Kabila et Tshisekedi obligés de s’entendre

Après avoir réussi une alternance pacifique historique, Joseph Kabila et Félix Tshisekedi auraient pu continuer à cimenter la fragile démocratie congolaise ensemble. Les deux personnalités devraient mettre leurs égos de côté afin d’offrir à la RDC une stabilité politico-sécuritaire plus ou moins longue. D’ailleurs, Félix Tshisekedi ne cesse de le regretter publiquement. La coalition FCC-CACH a fait manquer au pays une expérience démocratique unique.

Mais à ce jour, Joseph Kabila se fait entourer des personnalités qui ont des agendas personnels. Quel serait alors son propre intérêt politique en réunissant l’opposition autour de lui ? Cette alliance aurait-elle simplement comme objectif de barrer la route à un éventuel troisième mandat de Félix Tshisekedi ? Pense-t-il créer avec ces opposants une alliance pérenne au sein de laquelle pourrait sortir un candidat commun de l’opposition pour la présidentielle de 2028 ?

Sauf un coup de théâtre, il serait difficile à l’ancien Raïs d’envisager revenir au sommet de l’Etat congolais par la voie des urnes, au regard de l’incapacité de son regroupement politique – FCC – à mobiliser les Congolais. Devant un tel tableau, toute alliance politique pourrait être profitable à d’autres présidentiables pour 2028. Dans ce cadre, Joseph Kabila devrait-il faire confiance à ses opposants d’hier ? Visiblement, l’alliance politique en cours de création ne pourrait qu’être circonstancielle car, il serait difficile à Katumbi ou à Fayulu d’accepter le leadership de Joseph Kabila dans le sens d’une reconquête du pouvoir.

Heshima

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