Dans un contexte politique marqué par la division historique, certains leaders de l’opposition congolaise semblent vouloir dépasser leurs anciennes rivalités pour contrer le projet de réforme constitutionnelle porté par Félix Tshisekedi et son camp, l’Union sacrée de la Nation (USN). Le défi reste de taille : parviendront-ils à forger un front capable de défendre les principes républicains face à ce que beaucoup perçoivent comme une manœuvre pour prolonger indéfiniment le pouvoir présidentiel ?
Autrefois farouches opposants, Joseph Kabila, Moïse Katumbi et Martin Fayulu amorcent un rapprochement qui surprend. Après une rencontre avec Fayulu le 7 décembre 2024 à Genval (Belgique), Katumbi a, peu avant Noël, dialogué avec Kabila à Addis-Abeba (Éthiopie). Cette nouvelle dynamique, en marge des échéances électorales, vise avant tout à contrer un projet de modification constitutionnelle perçu comme dangereux pour l’avenir du pays.
Unis contre le changement de la Constitution
« Nous sommes réunis parce qu’un danger imminent menace le Congo », affirme Prince Epenge, porte-parole de Lamuka. Selon lui, cette alliance – loin d’être électorale – est une réaction de circonstance face à une tentative de manipulation institutionnelle. Pour Katumbi, il s’agit d’éviter une extension indéfinie du pouvoir de Tshisekedi, tandis que Fayulu insiste sur le fait que le président « joue avec le feu » et promet de s’opposer fermement à toute dérive. D’autres figures de l’opposition, telles que Delly Sesanga, Matata Ponyo ou Denis Mukwege, soulignent que la révision constitutionnelle n’est pas problématique en soi. Ce qui est en cause, c’est la méthode employée, qu’ils jugent frauduleuse et destinée à servir des intérêts personnels. « Nous combattons non pas une réforme, mais une tentative de fraude qui menace nos institutions », déclare Sesanga.
Une alliance contre-nature ?
Selon des proches des leaders, la coopération actuelle ne viserait pas à permettre à l’un d’eux de revenir au pouvoir, mais à préserver un principe fondamental : la sauvegarde de la Constitution. Cette union, marquée par des expériences passées douloureuses, semble motivée avant tout par la défense d’un héritage démocratique que beaucoup jugent indispensable face aux défis sécuritaires et économiques du pays.
La controverse sur la révision de la Constitution
Félix Tshisekedi défend la nécessité d’une mise à jour des institutions pour moderniser le pays et améliorer la gouvernance provinciale. Lors d’interventions à Kisangani et au Grand Kasaï, il a rappelé que la Constitution de 2006 n’était plus adaptée aux réalités actuelles de la RDC. Pour ses détracteurs, cette réforme n’est qu’un prétexte pour instaurer un « coup d’État constitutionnel ». Face aux urgences dans l’Est – marquées par la résurgence du M23, à une crise économique persistante et à un chômage préoccupant – l’opposition estime que repenser la Constitution ne doit pas primer sur la stabilité des institutions. Prince Epenge évoque d’ailleurs un « suicide politique » si l’article 220, encadrant le mandat présidentiel, venait à être modifié. Pour lui comme pour d’autres, la question n’est pas de réviser la Constitution, mais de refuser toute manipulation visant à instaurer un pouvoir autoritaire.
L’Église et le spectre d’un passé récent
La Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) s’est également prononcée sur ce sujet. Monseigneur N’shole a déclaré lors des États généraux de la Justice que « changer la Constitution serait irresponsable », rappelant que la charte actuelle a permis de résoudre d’importantes crises sécuritaires et reste un pilier de la stabilité nationale.
La situation actuelle rappelle tristement celle de 2016, lorsque des tentatives similaires de modification constitutionnelle avaient déclenché des manifestations violentes et plongé le pays dans une crise politique majeure. Face à la pression populaire et internationale, Joseph Kabila avait dû céder, soulignant l’importance de préserver les acquis démocratiques.
Hubert Mwipatayi