Alors que la République démocratique du Congo (RDC) est dans l’attente d’un gouvernement d’union nationale, comme annoncé par Félix Tshisekedi en février dernier, certains noms résonnent comme des échos persistants dans les couloirs du pouvoir. Jean-Lucien Busa Tongba, Julien Paluku Kahongya, Aimé Sakombi Molendo, Didier Budimbu Ntubuanga, Augustin Kibassa Maliba et Irène Esambo Diata forment un sextuor d’une rare constance. Depuis le premier gouvernement de Sylvestre Ilunga Ilunkamba en 2019, ils ont traversé les deux mandats de Jean-Michel Sama Lukonde jusqu’à l’équipe actuelle de Judith Suminwa, défiant les remaniements et les tempêtes politiques. Qui sont ces figures indélogeables ? D’où viennent-elles ? Et qu’est-ce qui les maintient si proches du président ? Voici leur histoire, celle d’une stabilité qui intrigue autant qu’elle fascine.
Jean-Lucien Busa Tongba : du Commerce extérieur au Portefeuille
C’est dans le territoire de Budjala, province de l’Équateur, que Jean-Lucien Busa Tongba voit le jour le 26 mars 1962. Loin du tumulte de Kinshasa, cet homme au profil discret bâtit son parcours entre les amphithéâtres et les bureaux administratifs. Formé en gestion, il enseigne l’audit financier et la gestion à l’Institut Supérieur du Commerce et de Gestion de la capitale. Pendant près d’une décennie, de 1992 à 2001, il travaille à la Société Nationale d’Électricité, un géant public aux prises avec les défis énergétiques du pays. Ce passage lui offre une immersion dans les rouages économiques, une expérience qui façonnera son avenir.
En 2006, il fait son entrée sur la scène politique en se faisant élire député pour Budjala. À l’Assemblée, il se distingue comme vice-président de la commission économique et financière, plongeant dans les dossiers complexes de l’économie congolaise. En 2013, il fonde le Courant des Démocrates Rénovateurs, son parti politique, avant de lancer la Coalition des Démocrates deux ans plus tard. Cette coalition remporte plusieurs sièges aux législatives, renforçant son poids politique. Busa joue un rôle stratégique en 2016 en conduisant la délégation de l’opposition au pré-dialogue, une étape clé dans la transition vers le pouvoir actuel.
Son aventure ministérielle sous le mandat du président Tshisekedi commence en 2019 sous Ilunga Ilunkamba, où il prend les rênes du Commerce extérieur. Il conserve ce poste sous les deux gouvernements de Sama Lukonde, affirmant son rôle dans un secteur vital pour les échanges économiques du pays. Mais avec l’arrivée de Judith Suminwa, un changement survient : Busa Tongba hérite du ministère du Portefeuille, un portefeuille stratégique qui le place au cœur de la gestion des entreprises publiques. À 63 ans, il reste une figure incontournable, évoluant avec aisance dans les arcanes du pouvoir.
Julien Paluku Kahongya : de l’Industrie au Commerce extérieur
Julien Paluku Kahongya naît le 13 décembre 1968 à Buramba, dans le Nord-Kivu, une région marquée par des décennies de conflits. Cet homme au charisme affirmé se forge une réputation dès ses débuts. Titulaire d’un master en santé communautaire obtenu en 2005 à l’Université libre des Grands Lacs, il commence comme maire, d’abord à Butembo, puis à Beni, où il lance des projets d’infrastructures qui marquent les esprits dans ces villes souvent laissées pour compte. En 2007, il devient gouverneur du Nord-Kivu, un poste qu’il occupe pendant douze ans. Gérer une province rongée par les groupes armés et les crises humanitaires forge son caractère et son influence.
Élu député national pour Lubero en 2011, puis en 2018, il consolide son ancrage électoral. Fondateur du Bloc Uni pour la Renaissance et l’Émergence du Congo, il s’allie à l’UDPS de Tshisekedi, devenant un pilier de la coalition au pouvoir. En 2019, sous Ilunga Ilunkamba, il prend la tête du ministère de l’Industrie, un poste qu’il conserve sous les deux gouvernements de Sama Lukonde. Avec Judith Suminwa, un virage se dessine : Paluku hérite du Commerce extérieur, succédant à Busa Tongba. À 56 ans, il incarne une ambition intacte, prêt à relever de nouveaux défis dans un pays aux échanges commerciaux encore balbutiants.
Aimé Sakombi Molendo : des Affaires foncières aux Hydrocarbures
À Kinshasa, Aimé Sakombi Molendo grandit sous l’ombre imposante de son père, Dominique Sakombi Inongo, ancien ministre de l’Information sous Mobutu. Mais il ne se contente pas de cet héritage : il trace sa propre route, d’abord dans les médias. Conseiller au ministère de l’Information, président de Canal Futur, une chaîne liée à l’UNC de Vital Kamerhe, il se fait aussi connaître comme promoteur du site 7sur7.cd, un média en ligne qui gagne en influence. Ce parcours dans la communication lui confère une visibilité et une aisance précieuses.
Sur le terrain politique, il s’engage comme secrétaire interfédéral de l’Union pour la Nation Congolaise à Kinshasa et la coalition Cap vers le changement, qui porte Tshisekedi au pouvoir. En janvier 2024, il est élu député national, ajoutant une légitimité électorale à son CV. En 2019, sous Ilunga Ilunkamba, il devient ministre des Affaires foncières, un poste qu’il garde sous les deux gouvernements de Sama Lukonde. Avec Suminwa, un tournant inattendu : Sakombi prend les rênes des Hydrocarbures, un secteur stratégique où les enjeux pétroliers pourraient redéfinir son rôle.
Didier Budimbu Ntubuanga : De l’EPST aux Sports
Didier Budimbu Ntubuanga naît le 17 décembre 1977 à Kinshasa, dans une famille bien connectée. Fils de Dikumbaka Budimbu, ancien ambassadeur, et de Suzanne Yala Kaba, il grandit dans un milieu privilégié. Formé en droit en France et en Belgique, il complète son parcours avec un diplôme en droit public à l’Université de Kinshasa, une base solide pour une carrière ambitieuse. Autorité morale du parti politique Autre vision du Congo (AVC), il entre au gouvernement en 2019 sous Ilunga Ilunkamba comme vice-ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique, un poste qu’il occupe jusqu’en 2021.
Avec le premier gouvernement Sama Lukonde, il est propulsé ministre des Hydrocarbures, un portefeuille qu’il conserve sous le second mandat de Lukonde. Mais sous Judith Suminwa, un changement radical se produit : Budimbu hérite du ministère des Sports et Loisirs, un virage surprenant pour ce juriste de formation. En avril 2022, une brève audition par l’Agence Nationale de Renseignements (ANR) pour des raisons de « sécurité » avait fait trembler son parcours, mais il avait repris ses fonctions sans fléchir. À 47 ans, il incarne une nouvelle génération, adaptable et résiliente.
Augustin Kibassa Maliba : le maître discret des Télécommunications
Augustin Kibassa Maliba naît le 30 novembre 1971 à Lubumbashi, dans une famille où la politique est une affaire de sang. Fils de Frédéric Kibassa Maliba, co-fondateur de l’UDPS aux côtés d’Étienne Tshisekedi en 1982, il grandit dans l’ombre d’un héritage puissant. Moins médiatisé que d’autres ténors congolais, cet homme discret s’est imposé par sa maîtrise des nouvelles technologies, mais aussi par des liens familiaux stratégiques qui en disent long sur son influence. Sa sœur, Isabelle Kibassa-Maliba, est mariée à Jean-Claude Tshisekedi, frère aîné de Félix Tshisekedi et fils d’Étienne Tshisekedi, tissant un réseau familial au cœur du pouvoir.
Son parcours politique s’enracine dans les méandres de l’UDPS. Après la scission entre UDPS-Kibassa, dirigée par son père, et UDPS-Tshisekedi, Augustin prend les rênes de la faction familiale à la mort de son père. Mais en 2018, il opère un virage décisif : il rallie Félix Tshisekedi, scellant une réconciliation entre les deux branches. Ce soutien, consolidé lors des élections de 2018 et réaffirmé en 2023, l’ancre dans l’UDPS unifié, où les alliances familiales renforcent sa position.
Kibassa Maliba ne doit pas tout à sa lignée. De 2003 à 2006, il siège comme député national durant la transition, actif au sein de la commission Reconstruction et Développement, prouvant qu’il n’est pas un novice propulsé par favoritisme. En 2019, il accède au ministère des Postes, Télécommunications et Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (PTNTIC) sous Ilunga Ilunkamba. Maintenu sous les deux gouvernements de Sama Lukonde, son portefeuille s’élargit au numérique sous Judith Suminwa, reflet des ambitions technologiques de la RDC. Cette longévité remarquable sous Félix Tshisekedi intrigue : au-delà de son expertise, le mariage de sa sœur Isabelle avec Jean-Claude, grand frère et proche conseiller de Félix, pourrait bien être une clé. Cette connexion familiale, liant les Kibassa et les Tshisekedi, offre une stabilité politique dans un paysage souvent chaotique.
À 53 ans, Augustin Kibassa Maliba incarne une figure de l’ombre aux assises solides. Sa permanence aux PTNTIC, son passé parlementaire et son ancrage dans l’UDPS, dopé par ce réseau familial, en font un pilier aussi discret qu’incontournable. Dans un Congo en quête de modernité numérique, il trace son chemin, porté par l’héritage et les alliances.
Irène Esambo Diata : la voix des vulnérables
Irène Esambo Diata émerge à Kinshasa dans un milieu marqué par un engagement pour la justice sociale. Juriste de formation, elle se distingue par son dévouement aux droits humains, notamment en faveur des plus fragiles. Avant 2019, elle n’occupe pas de mandat électoral, mais son parcours au sein de l’UDPS et son militantisme pour l’inclusion lui ouvrent les portes du pouvoir. Sa nomination reflète une intention de Tshisekedi de mettre en avant des figures sensibles aux questions sociales, une touche d’humanité dans un gouvernement souvent dominé par des portefeuilles économiques.
Dès 2019, sous Ilunga Ilunkamba, elle devient ministre déléguée auprès du ministre des Affaires sociales, chargée des personnes vivant avec handicap et autres personnes vulnérables, un poste qu’elle conserve sous les deux gouvernements de Sama Lukonde. Avec Judith Suminwa, elle reste fidèle à cette mission, toujours en tant que ministre déléguée aux personnes vivant avec handicap. Bien que son rang soit subalterne, sa présence constante dans un domaine aussi sensible témoigne d’une confiance durable et d’un rôle symbolique au sein de l’équipe dirigeante.
Une trajectoire à travers les gouvernements
Leur parcours à travers les gouvernements dessine une fresque de continuité. Sous Ilunga Ilunkamba, Busa Tongba dirige le Commerce extérieur, Paluku prend l’Industrie, Sakombi s’installe aux Affaires foncières, Budimbu débute comme vice-ministre de l’Enseignement, Kibassa Maliba pilote les PTNTIC, et Esambo Diata défend les personnes vulnérables. Avec le premier gouvernement Sama Lukonde, la stabilité prédomine pour la plupart : Busa Tongba reste au Commerce extérieur, Paluku à l’Industrie, Sakombi aux Affaires foncières, Kibassa Maliba aux PTNTIC, Esambo Diata dans son rôle délégué, tandis que Budimbu passe aux Hydrocarbures. Le second mandat de Lukonde confirme cette tendance, les six figures conservant leurs positions respectives.
Sous Judith Suminwa, un remaniement redistribue les cartes : Busa Tongba glisse au Portefeuille, Paluku récupère le Commerce extérieur, Sakombi s’empare des Hydrocarbures, Budimbu se tourne vers les Sports et Loisirs, Kibassa Maliba élargit son mandat aux PTNTIC et Numérique, et Esambo Diata demeure ancrée dans son rôle social. Ce jeu de chaises musicales montre leur capacité à s’adapter tout en restant au cœur du pouvoir.
Les clés d’une longévité exceptionnelle
Qu’est-ce qui explique leur permanence ? La loyauté apparaît comme un fil rouge. Dans un pays où les alliances s’effritent aussi vite qu’elles se nouent, Busa Tongba, Paluku, Sakombi, Budimbu, Kibassa Maliba et Esambo Diata, tous membres de l’union sacrée de la nation, ont soutenu Tshisekedi dès ses premiers pas au sommet. « Ce sont des compagnons de route qui ont cru en lui dès le départ », confie un analyste politique, préférant l’anonymat. Cette fidélité semble avoir scellé une relation de confiance difficile à ébranler.
Leur expertise joue un rôle tout aussi crucial. Busa Tongba, avec son passé à la SNEL et son expérience parlementaire, maîtrise les enjeux économiques et politiques. Paluku, fort de ses années comme gouverneur dans une province sensible, apporte une vision pragmatique. Sakombi, héritier d’une tradition politique et rompu aux médias, excelle dans les dossiers complexes. Budimbu, juriste, conjugue rigueur et ambition. Kibassa Maliba, technicien des télécommunications, s’impose dans un secteur en pleine mutation. Esambo Diata, avec sa sensibilité juridique et sociale, incarne une constance dans les questions humanitaires. « Félix s’entoure de gens qui savent faire tourner la machine », glisse un ancien ministre, soulignant leur importance dans une administration parfois critiquée pour son improvisation.
Leur ancrage local renforce leur position. Paluku, élu deux fois député et ex-gouverneur, domine le Nord-Kivu. Busa Tongba reste influent dans le grand Équateur. Sakombi, avec son élection en 2024, et Budimbu, député national du kongo Central, incarnent des bastions électoraux précieux. Kibassa Maliba et Esambo Diata, bien que moins visibles électoralement, tirent leur force de leur enracinement dans leur milieux et de leur proximité avec le parti présidentiel. Cette popularité, directe ou indirecte, les rend indispensables pour mobiliser les foules. Aussi, leur capacité à tisser des alliances et à esquiver les scandales les protège des vents contraires.
Une proximité avec Tshisekedi : confiance ou stratégie ?
Leur relation avec Félix Tshisekedi intrigue. Pour certains, ils forment un cercle restreint, un noyau dur qui sécurise le président face aux tensions avec l’opposition et d’anciens alliés comme Joseph Kabila. « Ce sont ses yeux et ses oreilles dans des secteurs clés », avance un observateur. Pour d’autres, c’est un choix stratégique : en s’appuyant sur des figures expérimentées, Tshisekedi stabilise un équilibre fragile au sein de sa majorité.
Cette constance n’échappe pas aux critiques. « Pourquoi toujours les mêmes ? », s’agace un député de l’opposition. « Le président parle d’union nationale, mais recycle des visages familiers. » Une interrogation qui pourrait peser alors que ce nouveau gouvernement se profile à l’horizon.
Des figures pour l’avenir ?
Jean-Lucien Busa Tongba, Julien Paluku Kahongya, Aimé Sakombi Molendo, Didier Budimbu Ntubuanga, Augustin Kibassa Maliba et Irène Esambo Diata ne sont pas de simples silhouettes dans le décor politique congolais. Leurs parcours, de l’Équateur au Nord-Kivu, des médias aux télécommunications, du droit aux vulnérables, témoignent d’une diversité et d’une résilience qui forcent l’admiration. Leur présence continue sous Tshisekedi reflète une confiance profonde, mais aussi une stratégie pour tenir un pays en quête de cohérence. Alors que la RDC entre dans une nouvelle ère avec la perspective du gouvernement d’union nationale, une question flotte dans l’air : jusqu’où ces indéboulonnables accompagneront-ils Félix Tshisekedi ? L’avenir seul apportera une réponse.
Heshima