Après sa visite mi-mars en République démocratique du Congo (RDC), au Rwanda et dans d’autres pays de la région des Grands Lacs, le membre républicain du Congrès américain, Ronny Jackson, s’est fendu d’un rapport qui a suscité un tollé en RDC. Si ses critiques sur la corruption, le climat des affaires et l’absence de gouvernance du régime Tshisekedi ont fait la joie de l’opposition, un point a cependant fait converger les opinions congolaises : l’histoire biaisée des frontières entre la RDC et le Rwanda relatée par ce congressman américain.
Après avoir bouclé sa visite dans la région des Grands Lacs, où il a rencontré Félix Tshisekedi le 16 mars, puis Paul Kagame, c’est donc le mardi 25 mars 2025 que Ronny Jackson a présenté son rapport devant une commission du Congrès américain. Et ce rapport fait déjà des émules à Kinshasa. Ce n’est pas uniquement à cause des critiques contre la gouvernance de Félix Tshisekedi, mais aussi — et surtout — à cause de sa transgression de l’histoire des frontières congolo-rwandaises. Pour ce membre du Congrès, une partie du territoire du Rwanda aurait été incluse au Congo lors du découpage colonial, entraînant ainsi la présence de populations tutsies en RDC que le gouvernement refuserait de reconnaître comme citoyennes. « Je crois comprendre que certaines personnes dans l’est de la RDC ne sont pas reconnues comme citoyens congolais, et peut-être pas, en partie, parce que c’était le Rwanda avant le redécoupage des frontières il y a de nombreuses années. Et, vous savez, cela faisait partie du Rwanda », a déclaré le congressman, dont l’ambassade des États-Unis en RDC a dénié la qualité d’envoyé spécial de Donald Trump.
En passant par Kigali, Ronny Jackson a emporté aux États-Unis une version erronée de l’histoire des frontières, récitée à longueur de journée par le régime de Paul Kagame. Sans chercher à avoir une vue indépendante de la question, ce congressman s’est approprié la propagande de Kigali. « Il s’est fait le relais de ceux qui lisent mal l’histoire », a réagi Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement congolais, lors d’un briefing de presse le 26 mars à Kinshasa. « Il n’a jamais été question, d’aucune manière, de penser qu’on pouvait remettre en question ou faire un quelconque débat autour des limites frontalières de la République démocratique du Congo », a-t-il ajouté.
Un penchant rwandais
Contrairement à ses relations avec le régime Tshisekedi, Ronny Jackson avait déjà établi plusieurs contacts avec celui de Paul Kagame bien avant le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. L’homme pourrait avoir assimilé la rhétorique rwandaise autour de la crise actuelle. Il avait notamment rencontré, en 2024, le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, alors que du côté de Kinshasa, cela semblait être sa première et unique rencontre. Ce qui laisse transparaître un net penchant rwandais dans le discours de cet Américain. Kinshasa a pris le soin de préciser que les déclarations de Ronny Jackson relèvent d’une opinion personnelle et n’engagent en rien le gouvernement américain, lequel poursuit des discussions variées avec la RDC. « Il ne faut pas faire d’un œuf un bœuf », a taclé Patrick Muyaya.
Colonisation et délimitation des frontières
Contrairement à ce qu’affirment Kigali et Ronny Jackson, la RDC n’a jamais intégré une partie du Rwanda lors du découpage colonial. En réalité, c’est le Rwanda qui a récupéré une partie du Congo à la suite d’une réclamation de l’Allemagne, alors puissance coloniale du Rwanda. Une portion de ce qui est aujourd’hui la province de l’Ouest au Rwanda, incluant les villes de Gisenyi et Cyangugu, se trouvait autrefois en République démocratique du Congo. Suite aux exigences du chancelier allemand Otto von Bismarck, la Belgique accepta de revoir les frontières en 1910, faisant ainsi perdre à la RDC ces territoires. « Les Allemands étaient intransigeants, plus que les Rwandais d’aujourd’hui », résume le professeur Tshibangu Kalala, qui affirme avoir passé dix ans à consulter les archives coloniales pour maîtriser l’histoire des frontières de la RDC et de ses voisins.
Selon lui, les Allemands n’auraient jamais laissé la Belgique annexer des territoires rwandais à l’époque. Les deux puissances coloniales s’étaient accordées pour que la frontière naturelle au sud soit le lac Kivu. Sur la terre ferme, au nord, il fut décidé que la chaîne des volcans (Nyiragongo, Nyamulagira, Sabyinyo…) délimiterait la séparation. Ainsi, les populations situées à l’est des volcans étaient considérées comme rwandaises, celles à l’ouest comme congolaises. L’administration coloniale belge avait donné six mois aux riverains pour choisir librement leur nationalité. Certains optèrent pour le Rwanda, mais la majorité resta au Congo. Il s’agissait en grande partie des Hutus et des Bahavu.
Entendre Ronny Jackson affirmer que le Rwanda fut amputé au profit du Congo et que cela expliquerait la présence de Tutsis en RDC témoigne d’une méconnaissance flagrante de l’histoire. D’autant plus que les gouvernements congolais et rwandais avaient pourtant renouvelé, en 2018, les bornes frontalières entre les deux pays, confirmant leurs limites respectives. La délégation congolaise était conduite par Henri Mova Sakanyi et, du côté rwandais, par James Kabarebe.
Heshima