Après le passage à Kinshasa et un rapport controversé du membre du Congrès américain, Ronny Jackson, c’est au tour de Massad Boulos, conseiller principal pour l’Afrique du président américain Donald Trump, d’être reçu par le président Félix Tshisekedi le 3 avril 2025. Cette fois-ci, c’est un émissaire du président américain. Les discussions concernant le projet d’un accord sur les minerais stratégiques entre Washington et Kinshasa semblent être sur la bonne voie. Quelques jours avant, le chef de l’Etat congolais a gracié trois Américains condamnés à mort, commuant leur peine en prison à perpétuité.
La République démocratique du Congo (RDC), qui détient de vastes réserves de cobalt, de Coltan, de lithium et d’autres minerais rares essentiels aux technologies avancées, a proposé aux États-Unis un accès privilégié à ses ressources en échange d’une aide substantielle en matière de sécurité et de stabilité régionale. Alors que Kinshasa perçoit ce possible accord comme une quête de stabilité plus ou moins pérenne pour le pays, l’opposition y voit plutôt une bouée de sauvetage lancée à un régime fragilisé par la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23) allié à l’Alliance Fleuve Congo (AFC) qui occupe les villes et certains territoires du Nord et Sud-Kivu. Il s’agit principalement des camps Katumbi et Kabila, y compris cette rébellion actuellement coordonnée par Corneille Nangaa.
Mi-mars, un congressman américain, présenté à tort comme envoyé spécial de Donald Trump, s’est fendu d’un rapport accablant sur le climat des affaires et la corruption en RDC, défendant parfois la cause du M23. L’ambassade américaine en RDC a vite réagi, clarifiant que Ronny Jackson est un membre du Congrès américain et non un envoyé spécial du président américain. Mais Massad Boulos est arrivé avec un esprit, celui de faire avancer les discussions. Même si, une fois négocié, un tel accord aura toujours besoin d’être validé par le Congrès américain.
Washington se dit prêt
D’après le conseiller pour l’Afrique de Donald Trump, Washington se dit prêt à renforcer sa coopération avec la RDC, notamment dans les secteurs minier, économique et sécuritaire. Lors de sa rencontre avec Félix Tshisekedi, jeudi 3 avril, Massad Boulos se dit heureux de collaborer avec le chef de l’Etat congolais pour une relation « plus profonde » entre les deux pays. « Je me réjouis de collaborer avec le président Félix Tshisekedi et son équipe pour établir une relation plus profonde qui profite au peuple congolais et au peuple américain », a-t-il déclaré. Boulos annonce aussi une bonne nouvelle. Les deux Etats sont convenus « d’une voie à suivre pour l’élaboration » de cet accord. Ce conseiller de Trump note également que cette relation permettra de « stimuler des investissements » du secteur privé américain en RDC, notamment dans le secteur minier, dans l’objectif commun de contribuer à la prospérité entre les deux pays.
RDC, un potentiel minier qui séduit
La RDC, malgré une instabilité sécuritaire, est un pays qui attise toujours la convoitise. Pays-continent, aussi vaste que l’Europe, regorge des ressources naturelles incommensurables. Il compte entre 60 et 80 % des réserves mondiales de coltan et reste le premier fournisseur mondial de cobalt, avec 70 % des ressources mondiales. La RDC est aussi un producteur important de lithium, de tantale et d’uranium. D’ailleurs, l’uranium utilisé pour la fabrication de la bombe atomique par les Américains afin de faire plier le Japon lors de la deuxième guerre mondiale était extrait en RDC, dans la mine de Shinkolobwe, au Katanga. Même après 1945, la RDC représente toujours un enjeu crucial dans la course à la transition numérique et la compétitivité industrielle pendant que les États-Unis cherchent toujours à assurer leur approvisionnement en métaux stratégiques.
Climat des affaires en RDC, un obstacle à l’accord
Les États-Unis n’envisagent pas de se limiter uniquement au secteur minier. Washington entend investir massivement en RDC, mais insiste sur la nécessité de créer un environnement économique plus transparent et attractif. « Nous avons besoin d’un environnement optimal des affaires pour atteindre cet objectif. Soyez rassurés que les entreprises américaines opèrent en toute transparence et stimulent les économies locales. Il s’agit d’investissements de plusieurs milliards de dollars », a annoncé Massad Boulos. Sur ce volet de la transparence, le pays de l’Oncle Sam a aussi besoin d’un climat des affaires assaini. C’est le seul talon d’Achille pour la RDC. Le pays n’a toujours pas un environnement d’affaires attractif, en raison notamment de la corruption matérialisée par la pratique du pot-de-vin au niveau des animateurs des institutions du pays. Certaines procédures sont souvent monnayées avec la pratique de rétro-commissions. Au bout du tunnel, les États-Unis auront peut-être besoin des vraies garanties pour ce problème, avant de pouvoir valider l’accord. Peut-être une forme de législation spéciale dans le cadre de cet accord. D’ailleurs, Ronny Jackson a affirmé devant les membres de la Commission des Affaires étrangères du Congrès que « les Chinois peuvent se permettre de payer les pots-de-vin, ce que les entreprises américaines ne peuvent pas faire ». Ce qui pourrait, selon lui, donner un avantage économique aux Chinois par rapport à leur concurrent américain sur place.
La crainte du « poison rwandais »
Comme son prédécesseur, Ronny Jackson, Massad Boulos devra également se rendre à Kigali après son étape à Kinshasa. Ce qui fait craindre une intoxication de monsieur Afrique de Donald Trump. Kigali travaillerait à torpiller un tel accord, sachant que cela pourrait mettre fin à ses aventures guerrières et au pillage des minerais au Congo. On se souvient qu’au sortir de l’audience avec Tshisekedi, Ronny Jackson avait également fait un discours plein de diplomatie, estimant que les États-Unis allaient travailler avec le pays de Lumumba pour les efforts de paix dans l’est de la RDC. Mais après son étape de Kigali, il a crucifié Kinshasa auprès de la Commission des affaires extérieures du Congrès américain. Pourtant, on le sait, le Congrès est le dernier rempart pour valider un tel accord. Voir Boulos aller à Kigali après l’étape de Kinshasa fait craindre cette propagande que le porte-parole du gouvernement congolais qualifie souvent de « poison rwandais ». Une crainte de voir le Rwanda faire changer de discours aux Américains. De retour aux États-Unis, Ronny Jackson s’est fait carrément le porte-parole du discours de Kigali auprès du Congrès américain, évoquant une affaire de frontières coloniales et le refus d’intégrer des populations rwandophones en RDC.
Heshima