Gestion des ressources financières, construction des infrastructures, création des établissements publics… Depuis son accession au pouvoir en 2019, le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, a montré une énergie débordante pour résoudre de nombreux problèmes du pays. Mais certaines de ses méthodes de gouvernance renvoient des signaux inquiétants. C’est notamment le cas de la multiplicité des établissements ou organismes publics dont la plupart se sont révélés inefficaces au fil des ans. Heshima Magazine fait un tour d’horizon des structures qui posent problème et dont les attributions auraient pu être exercées par les ministères sectoriels.
Dans la mythologie grecque, il existe une saisissante histoire de cinquante filles appelées « les Danaïdes ». Elles étaient condamnées par les dieux grecs à remplir un tonneau d’eau troué. Ces filles de Danaos, roi d’Égypte, exécutaient ainsi une punition perpétuelle suite au meurtre de leurs maris, les fils d’Égyptos. Ce châtiment ininterrompu est resté célèbre et a donné naissance à l’expression « tonneau des Danaïdes » pour désigner une « tâche absurde, sans fin ou impossible » ou encore un travail déjà voué à l’échec. En RDC, plusieurs projets semblent ressembler au tonneau des Danaïdes. De l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC) au Fonds national des réparations des victimes de violences sexuelles (FONAREV), ces structures au bilan mitigé ont contribué pour la plupart à la dilapidation des fonds de l’État. Une politique qui suscite des critiques au sein même de l’entourage du chef de l’État.
Après Kabund, Nicolas Kazadi porte la charge de la dénonciation
Les récentes révélations de l’ancien ministre des Finances, Nicolas Kazadi, font froid dans le dos. Cet ancien conseiller du chef de l’État congolais, Félix Tshisekedi, a jeté un pavé dans la mare le week-end dernier. Lors du premier quinquennat de Félix Tshisekedi (2019-2023), au total 53 nouveaux établissements publics ont été créés. Certains ont vu le jour pendant que l’année était en cours. Ce qui insinue qu’ils n’ont pas été pris en charge par le budget voté initialement par le parlement. « On les [ces établissements] paie en cours d’année, sans prévision budgétaire. Ils commencent à recruter, ils n’ont même pas de cadre limite », dénonce Nicolas Kazadi.
Cet ancien proche collaborateur de l’actuel président de la République, devenu député national, n’a pas mis des gants pour porter ses coups contre la gouvernance de Félix Tshisekedi tout en prenant soin de ne pas l’indexer. « Nous voulons trop de jouissance. S’il y a de l’argent, partageons d’abord et nous allons réfléchir après. L’argent du projet est arrivé, on se le partage d’abord et on va réfléchir plus tard. C’est ça le problème », a-t-il déclaré au cours d’une émission animée par la journaliste congolaise Paulette Kimuntu.
Malgré le fait d’avoir contribué, selon lui, à la hausse du budget, passant de 4 milliards de dollars à 16 milliards, Nicolas Kazadi s’est plaint de la multiplicité des primes et des rubriques, entravant ainsi la possibilité d’investir ces fonds dans des projets d’intérêt commun. S’agissant des dépenses du Parlement, cet ancien Conseiller à la Présidence de la République a relevé une forte hausse entre 2017 et 2023. « Pour le Parlement, 2017-2018, c’était environ 5 milliards FC par mois. En 2023, c’est autour de 45 milliards de francs congolais », a-t-il fait savoir. Comme pour dire que la hausse du budget national a créé également une élasticité des besoins de consommation des fonds au sein des institutions. Plus le budget augmente, plus les animateurs des institutions élargissent leurs parts dans le budget. Conséquence : les Congolais en général ne sentiront pas l’impact social de la hausse du budget, car déjà consommé par les institutions. Une gouvernance qui inquiète. En juillet 2022, Jean Marc Kabund avait formulé les mêmes critiques. « Nous avons essayé en vain de rappeler à l’ordre, jour et nuit, celui avec qui nous avons pensé incarner la vision du Sphinx résumée par la célèbre phrase : ‘‘le peuple d’abord’’ », avait déclaré l’ancien président a.i. de l’Union pour la démocratique et le progrès social (UDPS).
En réaction aux révélations de Nicolas Kazadi, l’opposant André Claudel Lubaya semble rejoindre les préoccupations de l’ancien ministre des Finances, accusant le régime de Félix Tshisekedi d’avoir multiplié les structures publiques inefficaces, budgétivores et déconnectées des besoins du peuple. Selon lui, ces entités, érigées sans planification rigoureuse, ont contribué à l’hémorragie des ressources de l’État, au bénéfice d’une minorité. Cet ancien député de Kananga considère ces aveux tardifs de Nicolas Kazadi comme « une lucidité retrouvée ». Pour lui, ces entités fondamentalement vaines ont relégué aux oubliettes le défunt projet social « le peuple d’abord ».
APCL, une structure budgétivore et sans résultats probants
En créant certaines agences ou des établissements publics, le président Félix Tshisekedi a quasiment affaibli la mission de certains ministères ou des structures étatiques existantes. C’est le cas de l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC). Créée par l’ordonnance du 17 mars 2020, l’APLC a pour mission principale la prévention et la lutte contre toute forme de corruption. Cet établissement public et service spécialisé au sein du cabinet de la Présidence de la République a remplacé le rôle joué par le conseiller spécial en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Mais cette mission est aussi assurée par une structure déjà existante : la Cellule Nationale des Renseignements Financiers (CENAREF). Celle-ci, placée sous l’autorité du ministre des Finances, est chargée du renseignement financier. Sa mission principale est de favoriser le développement d’une économie saine mais aussi de lutter contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ce qui peut créer un chevauchement des compétences dans la pratique entre les deux structures.
En décembre 2020, Ghislain Kikangala, alors coordonnateur de l’APLC, avait été placé en garde à vue pendant 24 heures par le parquet général près la Cour d’appel de Gombe pour des soupçons de corruption. Il était interrogé sur l’extorsion des fonds chiffrés à 30 000 dollars perçus en liquide comme avance d’une caution de 50 000 dollars exigée à Access Bank pour libérer son directeur général en détention entre les mains de l’APLC. Deux directeurs de cette agence étaient également impliqués dans cette affaire. « C’est quand même assez grave de voir que ce sont des agents de la banque qui font des décharges à la main pour percevoir de l’argent, alors que ce sont des opérations qui peuvent être gérées de compte à compte. Cela pourrait soulever plusieurs soupçons de corruption. Cela reste quand même assez grave. », avait réagi Jean-Jacques Lumumba, un ancien banquier congolais et lanceur d’alerte, qui ne comprenait pas cette perception de la caution par le responsable de l’APLC en lieu et place de la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participations (DGRAD). Pourtant, la banque affirmait que le dossier de blanchiment d’argent sur lequel se penche l’APLC était déjà transmis à la CENAREF par la banque elle-même après avoir remarqué un mouvement suspect dans le compte d’un client. Depuis ce scandale, l’APLC a perdu de sa superbe au sein de l’opinion. Et son coordonnateur avait été limogé par Félix Tshisekedi quelques mois plus tard. A ce jour, ce service public est presque l’ombre d’elle-même, l’Inspection générale des finances (IGF) et la CENAREF font le gros lot du travail anti-corruption dans le pays.
FONAREV, une compétence du ministère des droits humains
L’une des 53 agences créées par Félix Tshisekedi, c’est le Fonds national des réparations des victimes de violences sexuelles liées aux conflits et des victimes des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (FONAREV). Cette structure a été placée sous la tutelle du ministère des Droits humains. Pourtant, ses compétences pouvaient être exercées par les fonctionnaires de ce ministère sans toutefois créer des nouvelles structures budgétivores. Le FONAREV mobilise et optimise les différentes ressources financières qui lui sont allouées par la loi du 26 décembre 2022. Mais les attributions de cette structure auraient pu rester au ministère des Droits humains sans créer un personnel supplémentaire à payer et des frais de fonctionnement parfois pour des résultats mitigés.
FRIVAO, source d’enrichissement dans le dos des victimes
Créé par ordonnance présidentielle en décembre 2019, le Fonds spécial de réparation et d’indemnisation des victimes des activités armées de l’Ouganda en République Démocratique du Congo (FRIVAO) a été placé sous la tutelle du ministère de la Justice et Garde des Sceaux. Mais les animateurs de cet établissement seront vite accusés de détournement. La mission de cette structure était d’identifier et indemniser les victimes de la guerre de « 6 jours » menée entre l’armée ougandaise et celle du Rwanda sur le sol congolais, à Kisangani. Après un contrôle rigoureux des inspecteurs de l’IGF, il a été révélé « beaucoup d’écarts de chiffres entre ce qui a été réellement décaissé et le travail pour lequel ce décaissement a été opéré ». Ce qui a suscité la colère du ministre de la Justice, Constant Mutamba, lui-même victime de cette guerre de 6 jours.
Le 31 juillet 2024, à la veille de la commémoration du Genocost, Mutamba, autorité de tutelle du FRIVAO, a ordonné le gel de tout mouvement débiteur sur le compte de cette structure censée recevoir en cinq tranches, à partir de 2023, un montant de 325 millions de dollars d’indemnisation de la part de l’Ouganda.
Tshisekedi veut démanteler certains établissements…
Lors de la 42ᵉ réunion du Conseil des ministres, le 2 mai 2025, le président Félix Tshisekedi a exhorté le gouvernement à adopter des mesures urgentes pour redresser les finances publiques. Dans un contexte de guerre d’agression et de réduction du train de vie des institutions, le chef de l’État a insisté sur la nécessité d’un contrôle rigoureux du cadre macroéconomique, tout en demandant un audit des structures nouvellement créées afin d’en évaluer la pertinence. Celles qui seront inutilement budgétivores, après l’évaluation du gouvernement, vont être supprimées.
Dans l’entretemps, ce sont les fonds de l’État qui ont été dilapidés dans le fonctionnement de ces structures. Un véritable tonneau des Danaïdes. Une tache d’huile dans la gouvernance de Félix Tshisekedi qui risque d’entamer l’ensemble de son bilan au pouvoir. Penser au démantèlement de ces structures après plus de 6 ans d’exercice du pouvoir sonne comme un réveil tardif. Face à ces faits inquiétants de la gouvernance de Tshisekedi, André Claudel Lubaya a rappelé une confession publique faite par le secrétaire général de l’UDPS, Augustin Kabuya. Ce dernier reconnaissait publiquement le désenchantement populaire suite à leur gestion de la chose publique. « Le peuple croyait que ses souffrances prendraient fin avec l’UDPS au pouvoir. Aujourd’hui, il est trahi », avait-il déclaré d’un ton triste devant les combattants du parti présidentiel à Limete.
Heshima