Depuis février, la République démocratique du Congo (RDC) est en pourparlers avec les États-Unis d’Amérique sur un possible accord sur les minerais stratégiques. Le président congolais, Félix Tshisekedi, tient à l’avancée de ces discussions. Mais à Washington, des doutes s’installent parmi les élus américains. Certains Congressmen exigent une transparence sur le contenu des discussions entre Kinshasa et l’administration Trump. Ces membres du Congrès craignent qu’un deal minier sans garantie de transparence puisse produire un effet inverse : l’aggravation des conflits armés dans l’Est du pays.
Premier pays producteur mondial de cobalt et premier producteur africain de cuivre, la RDC possède aussi la septième réserve mondiale de lithium et ambitionne de représenter 30 % des exportations mondiales de germanium. Tous ces minerais sont cruciaux pour la transition énergétique, notamment pour la fabrication de batteries électriques, de téléphones portables, ainsi que pour les industries aéronautique et militaire.
Ces ressources congolaises continuent d’attiser les convoitises. Alors que la Chine contrôle la plus grande partie de la production mondiale de terres rares, les États-Unis semblent être à la traîne à cet égard. D’où l’intérêt que porte l’administration Trump aux négociations d’un « deal minier » avec la RDC en échange notamment de la sécurité dans l’Est du pays miné par des conflits armés souvent soutenus par le Rwanda ou l’Ouganda. Seulement, les doutes commencent à apparaître chez certains Américains. Il y a quelques jours, cinq membres du Congrès ont adressé une correspondance à Massad Boulos, le conseiller spécial pour l’Afrique à la Maison Blanche. Dans cette missive, révèle RFI, ils expriment leur inquiétude sur la transparence dans les discussions en cours. Ces élus veulent savoir ce que contiennent précisément les discussions entre les États-Unis et la RDC sur ces minerais.
Risques d’aggravation des conflits en RDC
Ces Américains craignent que si les clauses de cet accord en discussion ne sont pas rendues publiques, cela pourrait aggraver les conflits armés dans l’Est de la RDC. Ces élus sont donc inquiets en raison du manque de transparence des discussions, notamment sur les conditions d’accès aux ressources congolaises, mais aussi sur la manière dont ces richesses seront gérées. Les élus américains demandent aussi un briefing officiel sur les négociations en cours. Ils veulent des précisions sur la « Déclaration de principes » signée en avril dernier entre Kinshasa et Kigali sous médiation américaine, mais aussi sur la manière dont les questions humanitaires seront prises en compte dans ce deal. Pour ces élus, sans garanties claires, ce partenariat pourrait aggraver les conflits et la corruption, au lieu d’apporter la paix et le développement.
Au pays, des doutes légitimes apparaissent également. « Nous constatons que le point de départ, ce n’est pas la reconnaissance de l’agression de la RDC par le Rwanda. Donc, on fait fi d’une réalité incontestable et on veut bâtir une autre réalité partant d’autres considérations essentiellement d’ordre économique. », fait observer Martin Ziakwau, professeur de l’Université catholique du Congo. Même si l’accord en discussion parait vital pour le gouvernement congolais qui espère obtenir au-delà des capitaux frais américains, une garantie sécuritaire notamment contre le Rwanda dans l’est du pays, le doute ne quitte pas encore les esprits des Congolais après avoir été témoins de 30 ans d’instabilité dans l’Est du pays. Mais pour trouver un tel accord, Washington associe Kigali dans les discussions. Au terme des négociations, il est fort probable qu’il y ait trois accords. Le premier concernera la RDC et le Rwanda, le deuxième portera sur les rebelles du Mouvement du 23 mars (AFC/M23) à Doha, au Qatar, et, enfin, un troisième accord liera Washington et Kinshasa sur les minerais stratégiques.
Quelles mines à offrir aux Américains ?
Une autre préoccupation dans ce deal, c’est l’accès des Américains aux mines congolaises. La plupart des mines au pays sont tenues par des sociétés chinoises ou européennes. En dehors de la mine de Bisie gérée par l’Américain « Alphamin », troisième producteur mondial d’étain, située dans le territoire de Walikale au Nord-Kivu, les Américains n’ont plus un accès suffisant aux gisements du pays. Ils contrôlaient les mines de Tenke Fungurume Mining (TFM) via Freeport McMoRan au Lualaba, mais elles ont été rachetées en 2016 par le Chinois « China Molybdenum ».
Pour résoudre ce problème d’accès aux mines, le gouvernement congolais inventorie les gisements dans lesquels l’État a des parts pour, peut-être, les confier aux Américains. Au sein de l’opinion congolaise, les interrogations se multiplient. Quelles sont les offres faites aux Américains ? Et à quelles conditions ? Pour Jean-Pierre Okenda, chercheur sur la gouvernance minière, il faut connaître les intentions du gouvernement en matière d’offre. « Quelles sont les principales articulations de cette offre adressée aux Américains sur l’exploitation des ressources naturelles ? », s’interroge-t-il. Pour le professeur Martin Ziakwau, le premier problème est « l’opacité » autour des discussions qui engagent des États.
Avant le début des discussions autour de ce possible deal, l’administration américaine avait déjà commencé à s’intéresser aux gisements miniers de la RDC. Elle pourrait même négocier des mines déjà occupées par d’autres opérateurs. Sous sanctions américaines depuis 2017, Dan Gertler pourrait céder certains de ses actifs miniers aux Américains en contrepartie de la levée ou de l’allègement des sanctions qui pèsent contre lui. Proche de l’ancien président Joseph Kabila, le magnat israélien des mines en RDC pourrait négocier un tel accord. Ce qui pourrait permettre aux Américains de revenir dans la course aux minerais critiques face à une Chine qui a suffisamment marqué des pas.
Interrogé par Le Monde en octobre 2024, Jean Claude Mputu, directeur adjoint de l’ONG Resource Matters et porte-parole de la plateforme « Le Congo n’est pas à vendre » (CNPAV), estimait déjà que cette logique était plausible avant même la proposition du deal minier entre Kinshasa et Washington. Pour lui, Dan Gertler cherche à convaincre le gouvernement américain de signer l’accord qui conduira à un allégement des sanctions du Trésor qui le visent. Refus d’un partage des richesses avec le Rwanda Le Rwanda est accusé de participer à un commerce transfrontalier illicite de minéraux en provenance de la RDC. Des experts des Nations Unies ont rapporté que d’importantes quantités de coltan, en particulier, ont été exportées clandestinement de la RDC vers le Rwanda. Il en est de même pour l’or et d’autres minerais. Pour faire prospérer cette contrebande, Kigali est accusé de contribuer au soutien et au financement de groupes armés qui pillent les minerais congolais notamment l’AFC/M23 qui contrôle la mine de Rubaya, dans le territoire de Masisi, au Nord-Kivu. Ces accusations ont conduit à des tensions diplomatiques et à des appels à la suspension de certains accords entre l’Union européenne et le Rwanda sur les matières premières. Une bonne partie de l’opinion congolaise refuse de voir la RDC partager ses richesses avec le Rwanda, comme l’avait suggéré l’ancien président français Nicolas Sarkozy.
Dans ce deal, les détracteurs du président Félix Tshisekedi parmi lesquels Claudel Lubaya et Seth Kikuni l’accusent de vouloir devenir l’agent des Américains dans les Grands Lacs, comme au temps de Mobutu. « Il voudrait ainsi, à l’instar de Mobutu durant les années sombres de la guerre froide, devenir le nouvel agent américain », ont-ils écrit dans un communiqué en mars. Félix Tshisekedi a rejeté ces accusations de bradage des minerais pour s’attirer les faveurs des Américains. Lors d’une interview accordée le 19 mars à la chaîne américaine Fox News, un média réputé proche de l’administration actuelle de la Maison Blanche, le chef de l’Etat congolais avait rejeté toute accusation de bradage pour sauver son fauteuil. D’ailleurs, pour faire accélérer les discussions, la présidence congolaise a mis en place – fin mai – une cellule de coordination afin de suivre les négociations autour de cet accord sur les métaux critiques avec les États-Unis. Un deal qui peut peser jusqu’à 500 milliards de dollars, sans compter des avantages en termes de sécurité pour l’Est du pays. Le plus important pour le pays, c’est d’éviter de répéter les erreurs du passé, notamment avec le contrat chinois de 2008, signé sous la présidence de Joseph Kabila.
Heshima