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La RDC, carrefour naturel du ciel africain, peine à décoller

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La République démocratique du Congo dispose d’un atout majeur encore largement sous-exploité : sa position géographique centrale au cœur du continent africain. Alors que l’Éthiopie a démontré comment transformer cette centralité en machine à revenus grâce à Ethiopian Airlines et ses 7 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, la RDC semble enfin prendre conscience de son potentiel aéronautique exceptionnel. Les projets de modernisation d’aéroports pourraient transformer le pays en véritable hub continental, générant des revenus colossaux.

La RDC occupe une position géographique exceptionnelle qui en fait le candidat naturel pour devenir le principal hub aérien du continent africain. Située au centre géographique de l’Afrique, la RDC partage ses frontières avec neuf pays, créant un réseau de connexions naturelles vers toutes les régions du continent. Cette centralité géographique représente un avantage concurrentiel considérable que peu de pays africains peuvent revendiquer.

« La RDC est littéralement le carrefour naturel de l’Afrique », explique Dr. Mukendi Kalala, économiste spécialisé dans les transports à l’Université de Kinshasa. « Un voyageur souhaitant se rendre du Caire à Cape Town, ou de Lagos à Nairobi, passerait logiquement par le territoire congolais si nous disposions des infrastructures adéquates. C’est exactement ce que fait l’Éthiopie depuis des décennies. », a-t-il déclaré.  

Cette position stratégique prend une dimension encore plus importante quand on considère que le transport aérien intra-africain reste largement déficitaire. Selon l’article de Jeune Afrique sur les défis du transport aérien en Afrique centrale, les liaisons durables font cruellement défaut dans la région. La RDC pourrait combler ce vide en devenant le point de convergence naturel des flux aériens continentaux.

Une dynamique de modernisation enfin enclenchée

Les autorités congolaises semblent avoir pris conscience de cet enjeu stratégique. Le lancement des travaux de modernisation de l’aéroport de Luano par le président Félix Tshisekedi en avril marque une étape symbolique importante. Cette plateforme située près de Lubumbashi verra la construction d’une nouvelle aérogare d’une capacité d’un million de voyageurs, l’élargissement de la piste d’atterrissage et le renouvellement complet des équipements de navigation.

Mais l’ambition va bien au-delà de Luano. Comme l’a révélé Jean-Pierre Bemba Gombo, Vice-Premier ministre et ministre des Transports, en octobre 2024, le gouvernement a signé un mémorandum d’entente avec China First Highway Engineering Co., Ltd. pour la mise en œuvre de projets de construction et de modernisation de onze aéroports à travers le pays. Cette liste ambitieuse inclut les aéroports de Kalemie, Moba, Buta, Kenge, Mbandaka, Bumba, Moanda, Kikwit, Lodja, Gemena et Munkamba.

« Nous assistons à une véritable révolution infrastructurelle », commente Josephine Mambeko, analyste en aviation civile basée à Kinshasa. « Pour la première fois depuis des décennies, la RDC se donne les moyens de ses ambitions dans le secteur aérien. »

L’exemple éthiopien : une feuille de route éprouvée

L’Éthiopie constitue un modèle particulièrement éclairant pour comprendre le potentiel de la RDC. Ethiopian Airlines, créée en 1946, a su capitaliser sur la position géographique stratégique d’Addis-Abeba dans la région de la corne de l’Afrique pour devenir le leader continental. Avec une flotte de plus de 150 appareils modernes d’un âge moyen inférieur à sept ans, la compagnie dessert 142 destinations internationales, dont 70 villes africaines.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : Ethiopian Airlines a généré un chiffre d’affaires de 7 milliards de dollars lors de l’exercice 2023-2024, contre 6,1 milliards l’année précédente. Cette performance exceptionnelle s’appuie sur un réseau qui fait d’Addis-Abeba le principal hub de connexion pour les voyages intra-africains et entre l’Afrique et le reste du monde.

L’Éthiopie ne s’arrête pas là. Le nouveau projet d’aéroport d’Abusera, situé à 70 kilomètres d’Addis-Abeba, prévoit une capacité annuelle de 110 millions de passagers à terme, ce qui en ferait l’un des plus grands aéroports du monde. La première phase devrait ouvrir en 2029, complétant l’aéroport international Bole qui atteindra bientôt sa capacité maximale de 25 millions de passagers annuels.

« L’Éthiopie a démontré qu’un pays africain peut devenir un acteur majeur du transport aérien mondial », souligne un cadre de Congo Airways. « Mais la RDC présente des avantages géographiques encore plus importants. Nous sommes au centre exact du continent, là où l’Éthiopie est plutôt en périphérie orientale. »

Des retombées économiques en cascade

Au-delà des revenus directs du transport aérien, la transformation de la RDC en hub continental déclencherait un cercle vertueux économique. Le tourisme, secteur actuellement marginal malgré la richesse exceptionnelle du patrimoine naturel congolais, connaîtrait un essor considérable. Les 9 parcs nationaux du pays, la forêt équatoriale du bassin du Congo, l’Okapi, les chutes d’Inga ou encore la biodiversité unique du pays constituent des atouts touristiques de classe mondiale.

« Imaginez l’impact d’une connexion aérienne fluide entre Kinshasa et les grands parcs du pays », projette Thomas Kimbangu, consultant en développement touristique. « Nous pourrions rivaliser avec le Kenya ou la Tanzanie en termes d’attractivité touristique voire plus, simplement en rendant nos joyaux naturels accessibles. », estime-t-il.

L’effet multiplicateur toucherait également l’hôtellerie, la restauration, les services financiers et la logistique. L’exemple d’Addis-Abeba, devenue un centre d’affaires continental grâce à sa connectivité aérienne, illustre parfaitement ce phénomène. Les organisations internationales, les multinationales et les investisseurs privilégient systématiquement les destinations bien connectées pour leurs implantations régionales.

La création d’emplois directs et indirects serait massive. Le secteur aérien éthiopien emploie aujourd’hui plus de 100 000 personnes, de la maintenance des appareils aux services au sol, en passant par les métiers de l’hôtellerie et du commerce. La RDC, avec sa population jeune et nombreuse, pourrait absorber facilement une main-d’œuvre similaire, contribuant significativement à la réduction du chômage.

Les défis à relever pour concrétiser cette vision

Malgré ce potentiel exceptionnel, plusieurs défis majeurs subsistent. La création ou la restructuration d’une compagnie aérienne nationale fiable et compétitive constitue un préalable indispensable. L’expérience malheureuse de nombreuses compagnies africaines, évoquée dans l’analyse de Jeune Afrique sur les échecs en série du secteur en Afrique centrale, rappelle que la gestion rigoureuse et la vision à long terme sont cruciales. « Nous devons apprendre des erreurs du passé », insiste Jean Mundele, ancien cadre de l’aviation civile congolaise. « Une compagnie nationale ne peut réussir que si elle est gérée selon des critères commerciaux stricts, avec des partenariats techniques solides et une gouvernance transparente. », a-t-il ajouté.

L’investissement initial requis est considérable. Les infrastructures aéroportuaires modernes nécessitent plusieurs milliards de dollars, sans compter l’acquisition d’une flotte aérienne moderne. Cependant, l’exemple éthiopien démontre que ces investissements sont rapidement rentabilisés par les revenus générés.

Vers une transformation économique structurelle

La RDC se trouve aujourd’hui à un tournant historique. Les projets annoncés en 2024 et 2025 marqueraient une prise de conscience politique du potentiel extraordinaire que représente la position géographique centrale du Congo. Si cette dynamique se confirme et s’accompagne d’une vision stratégique cohérente avec une détermination à toutes épreuves, le pays pourrait opérer une transformation économique majeure.

« Nous avons l’opportunité unique de diversifier notre économie en capitalisant sur un atout naturel inépuisable : notre géographie », résume Dr. Kalala. « L’Éthiopie nous a montré la voie, mais nous pouvons faire encore mieux grâce à notre centralité géographique supérieure. », conclut-il.

Cette transformation ne se fera pas du jour au lendemain, mais les fondations sont peut-être en train d’être posées. Les investissements massifs prévus dans les infrastructures aéroportuaires, combinés à une volonté politique affirmée, créent les conditions d’une réussite à la hauteur des ambitions. La RDC pourrait ainsi rejoindre le club très fermé des pays africains qui ont su transformer leur position géographique en levier économique durable, ouvrant une nouvelle page de son développement économique.

Heshima Magazine

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