Le 9 juin 2025, lors de l’émission « Face-à-Face » sur Top Congo FM, Jean-Pierre Bemba, Vice-premier ministre des Transports, Voies de communication et Désenclavement et figure de proue de la politique congolaise, a lancé des accusations explosives contre l’ancien président Joseph Kabila. Selon Bemba, Kabila, connu sous le nom d’Hippolyte Kanambe, ne serait pas le fils biologique de Laurent-Désiré Kabila, mais un soldat rwandais infiltré au plus haut niveau de l’État congolais. Ces déclarations, qui remettent en cause la nationalité et la légitimité de Kabila, s’inscrivent dans un contexte de doutes persistants et pourraient avoir des répercussions majeures sur la scène politique de la République démocratique du Congo (RDC).
Dans son intervention, Bemba a affirmé que Joseph Kabila, présenté comme le fils de Laurent-Désiré Kabila, est en réalité Hippolyte Kanambe, un ancien aide de camp du chef de l’armée rwandaise, introduit en RDC comme un agent sous les ordres de Paul Kagame. Il a également déclaré que Jaynet Kabila, souvent considérée comme la sœur jumelle de Joseph Kabila, serait en fait la sœur de son père biologique, renforçant ainsi l’idée d’une imposture orchestrée. Ces allégations, rapportées par Congopubonline, visent à discréditer la légitimité de Kabila en tant qu’ancien chef d’État congolais.
Bemba a également accusé Kabila d’avoir facilité l’infiltration de l’armée congolaise par des éléments rwandais à travers des groupes comme le CNDP et le M23. Il a allégué que, sous le régime de Kabila, la Banque centrale du Congo aurait transféré 66 millions de dollars par mois au Rwanda, soit un total de 800 millions par an et environ 15 milliards sur 18 ans, prétendument pour soutenir les efforts de guerre contre Mobutu Sese Seko. Ces accusations financières, si elles sont vérifiées, suggèrent une collusion profonde entre Kabila et le Rwanda, au détriment des intérêts congolais.
La crédibilité de Bemba : un insider de haut rang
Jean-Pierre Bemba n’est pas un simple commentateur politique. Ancien chef du Mouvement de libération du Congo (MLC), il a commandé des dizaines de milliers de combattants pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003). Il a ensuite occupé des postes clés, notamment vice-président de la RDC de 2003 à 2006 et vice-premier ministre chargé de la Défense de 2023 à 2024, avant de devenir Vice-premier ministre des Transports. Ces fonctions lui auraient donné accès à des informations sensibles sur les dynamiques politiques et militaires du pays, renforçant la crédibilité de ses déclarations.
En tant que figure de premier plan, Bemba a côtoyé les cercles du pouvoir et dispose de réseaux d’intelligence qui lui permettent d’accéder à des informations non publiques. Bien que son passé conflictuel avec Kabila, notamment lors de l’élection présidentielle de 2006 où il avait déjà qualifié Kabila de « mupaya » (étranger en lingala), puisse suggérer un parti pris, son expérience et son accès à des données confidentielles confèrent un poids significatif à ses accusations. Ses déclarations, bien qu’explosives, ne peuvent être écartées sans une enquête approfondie.
Les doutes persistants sur la filiation de Kabila
Les accusations portées par Jean-Pierre Bemba lors de l’émission Face à Face du 9 juin 2025 s’inscrivent dans un contexte de suspicions de longue date sur l’origine et la nationalité de Joseph Kabila. Ces doutes, qui planent depuis des décennies, ont été alimentés par des déclarations de figures politiques, de prétendus membres de la famille Kabila et d’acteurs de la société civile, souvent dans un climat de tensions politiques et de méfiance envers l’ancien président.
En 2006, lors de la campagne présidentielle, Jean‑Pierre Bemba avait publiquement qualifié Joseph Kabila de « mupaya » (étranger en lingala) et d’« enfant illégitime », instillant l’idée que sa légitimité pouvait être remise en cause. Étienne Tshisekedi, lui-même, évoquait régulièrement des suspicions sur l’authenticité congolaise de Kabila. En 2013, Étienne Kabila, se déclarant fils aîné de Laurent‑Désiré, a repris la thèse selon laquelle Joseph ne serait pas le fils biologique de Mzee Kabila, mais le fruit de la relation entre un opposant rwando‑tanzanien, Christophe Adrien Kanambe, et Marcelline Mukambukuje, sa mère biologique, également adoptée par Laurent-Désiré à la mort de son ami Christophe Kanambe.
La controverse s’est intensifiée en 2020, lorsqu’Ibrahim Kabila, un autre prétendant fils de Mzee, a publiquement exigé un test ADN pour clarifier la filiation des enfants de Mzee Kabila, sans que cette demande soit suivie d’effet. Les allégations ont été relayées par la BBC et d’autres médias, tout en rappelant que l’État congolais continue officiellement à reconnaître Joseph Kabila comme fils de Laurent‑Désiré et de Sifa Mahanya, l’épouse du défunt président.
D’autres membres présumés de la famille Kabila ont également contribué à la controverse. En 2008, l’assassinat à Kinshasa d’Aimée Kabila, présentée comme une fille de Laurent-Désiré Kabila, a suscité des débats sur son identité réelle et son lien avec la famille. De même, en 2010, le pasteur Pascal Mukuna, figure religieuse influente, a soutenu des thèses similaires en demandant des tests ADN, une démarche appuyée par Ibrahim Kabila avant l’arrestation de ce dernier.
Le gouvernement congolais de l’époque avait réagi à ces allégations en publiant des photos officielles de famille, ainsi qu’un témoignage de Sifa Mahanya, présentée comme la mère biologique de Joseph Kabila. Elle affirmait sans ambiguïté que l’enfant était bien né de son union avec Laurent-Désiré Kabila. Pourtant, les rumeurs ont persisté.
Georges Mirindi, ancien “kadogo” (enfant soldat) ayant combattu aux côtés de Laurent-Désiré Kabila jusqu’au renversement du régime de Mobutu et qui fut son garde du corps, a affirmé que la mère biologique de Joseph Kabila serait une Tutsie vivant cachée, protégée par son fils. Dans une interview accordée au journaliste congolais Marius Muhunga et disponible sur YouTube, il a soutenu que cette femme résidait même au Palais de Marbre du temps de Mzee Kabila.
Ces spéculations se nourrissent aussi du manque de transparence entourant la biographie officielle de l’ancien président. Bien que celle-ci mentionne sa naissance le 4 juin 1971 à Hewa Bora II, dans le Sud‑Kivu, ce que certaines sources jugent plausible, tandis que d’autres, mettent en doute ce lieu de naissance et soulèvent l’idée d’une ascendance rwandaise ou tanzanienne.
La déclaration d’Aimé Ngoy Mukena concernant la construction de l’identité katangaise de Joseph Kabila est avérée. Dans une vidéo diffusée en décembre 2014, l’ancien ministre congolais des Hydrocarbures et ex-gouverneur du Katanga, décédé en 2022, affirme avoir été chargé, avec d’autres cadres katangais, de conférer à Joseph Kabila une identité katangaise pour contrer les rumeurs sur ses origines. Il précise avoir attribué à Kabila le surnom « Kabange », inspiré de la coutume locale des jumeaux, et lui avoir désigné un village du Katanga pour renforcer cette identité fabriquée.
Ces doutes persistants, amplifiés par des déclarations d’Étienne et Ibrahim Kabila, ainsi que par des acteurs politiques et religieux, reflètent une méfiance profonde envers Joseph Kabila, souvent perçu comme un étranger dans un contexte où l’identité nationale est un enjeu brûlant en RDC. Malgré les efforts du gouvernement de l’époque pour clarifier sa filiation, l’absence d’une enquête officielle crédible et transparente continue de diviser l’opinion publique congolaise.
Réactions et implications politiques
Les déclarations de Bemba ont suscité des réactions polarisées. Sur la plateforme X, certains utilisateurs ont salué ses révélations, affirmant qu’ils confirment des soupçons de longue date. Un poste a déclaré : « Bemba accuse Kabila d’avoir été un agent rwandais infiltré. Nous sommes dans un pays où nous avons eu un président imposteur ». Un autre utilisateur a noté que Bemba n’a pas fait qu’exprimer ce que beaucoup suspectaient déjà, suggérant une résonance avec une partie de la population.
Cependant, d’autres voix ont dénoncé les accusations de Bemba comme des mensonges motivés par des ambitions politiques. Guy Boston, utilisateur sur X a écrit : « Les mensonges de Bemba sont une insulte à l’intelligence du peuple congolais. Calomnier Katumbi, salir Kabila, diffamer la CENCO : voilà sa stratégie de survie politique ». Le camp de Kabila a également réagi, qualifiant les propos de Bemba d’« infondés ».
Ces accusations interviennent dans un contexte politique tendu, marqué par les efforts du président Félix Tshisekedi pour consolider son pouvoir et se distancer de l’héritage de Kabila. En accusant Kabila de collusion avec le Rwanda, Bemba renforce le narratif du gouvernement, qui accuse Joseph Kabila de connivence avec le M23, soutenu par le Rwanda. Ces révélations pourraient galvaniser le soutien à Tshisekedi, mais elles risquent également d’exercer les tensions avec le Rwanda, déjà accusé de soutenir des groupes armés en RDC.
Sur le plan diplomatique, ces allégations pourraient compliquer les relations entre la RDC et le Rwanda, surtout dans un contexte où les pourparlers régionaux peinent à résoudre le conflit dans l’Est. À l’intérieur du pays, elles pourraient raviver les sentiments anti-rwandais et polariser davantage une société déjà divisée par des questions d’identité et de loyauté nationale.
Vers une quête de vérité nécessaire ?
Les déclarations de Jean-Pierre Bemba sur Joseph Kabila rouvrent un débat sensible sur l’identité et la loyauté de l’ancien président. Ces accusations, bien que controversées, émanent d’une figure politique de premier plan ayant accès à des informations privilégiées. Le camp de Kabila rejette ces allégations, mais leur impact sur la politique congolaise et les relations régionales pourrait être significatif. Une enquête approfondie serait nécessaire pour établir la véracité de ces claims, mais en attendant, ils continuent de nourrir les tensions et les spéculations dans un pays en quête de stabilité.
Heshima Magazine