En République démocratique du Congo (RDC), la ville de Kolwezi a reçu la 12ème Conférence des gouverneurs des provinces. Malgré l’existence des instruments juridiques pour équilibrer leur gestion, toutes les provinces ne reçoivent toujours pas le même budget pour leur fonctionnement, ce qui déséquilibre le développement de ces entités. Le Lualaba et le Haut-Katanga semblent marquer le pas, laissant derrière eux le Haut-Lomami, le Sankuru, la Mongala et tant d’autres provinces moins nanties. La caisse de péréquation, conçue pour couvrir ces écarts, ne fonctionne plus depuis le dernier découpage territorial.
Seize ans après la décentralisation, les provinces ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Lors de l’ouverture de la 12ème Conférence des gouverneurs, le 10 juin 2025 à Kolwezi, chef-lieu de la province du Lualaba, les gouverneurs ont adressé un mémorandum dans lequel ils insistent pour la mise en application de la Caisse nationale de péréquation. Si certaines provinces telles que le Lualaba et le Haut-Katanga ont hérité d’une activité minière florissante, d’autres parties du pays ne connaissent pas une attractivité économique susceptible de soutenir le développement de ces entités, bien qu’elles soient également dotées de ressources naturelles.
Pour essayer de renforcer le développement à la base, le président de la République, Félix Tshisekedi, avait initié le programme de développement local de 145 territoires (PDL-145T). Ce projet vise à améliorer le cadre de vie des populations rurales et à réduire la pauvreté et les inégalités sociales. Financé à hauteur d’environ 1,6 milliard de dollars, ce programme ambitieux vise à autonomiser les 145 territoires répartis dans les 26 provinces. Le gouvernement travaille également à renforcer la gouvernance locale et la planification du développement dans les provinces, avec l’appui du PNUD et d’autres partenaires locaux. Mais ce programme – encore inachevé – rencontre des défis notamment de financement. Lors de leurs précédentes résolutions, les gouverneurs ont notamment plaidé pour la rétrocession des 40 % dus aux provinces.
Etat des lieux des précédentes résolutions
Lors de la 11ème Conférence des gouverneurs organisée à Kalemie, dans la province du Tanganyika, ces responsables de provinces avaient formulé 68 recommandations. Elles visaient à améliorer la gestion publique dans leurs entités, à construire ou améliorer les infrastructures, à renforcer le financement et la fiscalité des provinces, à mieux gérer les risques locaux, à stabiliser les institutions provinciales et à accroître l’implication des exécutifs provinciaux dans le PDL-145T. Les gouverneurs avaient aussi recommandé de revoir le mode de scrutin pour l’élection des gouverneurs et des députés provinciaux, modifier les critères d’accession au pouvoir des administrateurs de territoires et des animateurs des entités territoriales décentralisées, assurer le paiement régulier des salaires des responsables politiques et des frais de fonctionnement des exécutifs provinciaux, et enfin achever les chantiers d’infrastructures du projet PDL-145T. Très peu de ces recommandations ont été mises en œuvre aussi bien du côté des gouverneurs que du gouvernement central. Félix Tshisekedi, lors de la clôture de ces assises, avait demandé au Secrétariat permanent de la Conférence des gouverneurs de province d’en assurer le suivi permanent.
Les gouverneurs insistent sur la Caisse de péréquation
Véritable outil d’équilibre entre les provinces nanties et les moins nanties, la Caisse nationale de péréquation (CNP) n’est toujours pas opérationnelle. Pourtant, la péréquation vise à atténuer les disparités de ressources entre provinces afin de favoriser une répartition plus équitable des charges et de garantir un niveau minimum de services publics, créant une solidarité nationale. Cette caisse était censée disposer d’un budget alimenté par le trésor public à concurrence de dix pour cent (10 %) de la totalité des recettes nationales revenant à l’État chaque année.
Prévue par la Constitution (article 181), la Caisse nationale de péréquation a été légalement créée en 2018 (Ordonnance n°18/037 du 24 novembre 2018), soit 10 ans après la promulgation de la Constitution. Malgré sa mise en œuvre, son fonctionnement continue à poser problème. Certains responsables provinciaux accusent le gouvernement central d’être à la base de ces retards et blocages politiques. « Le gouvernement central ne manifeste aucune volonté politique pour rendre opérationnelle la Caisse nationale de péréquation. C’est inadmissible que des provinces comme le Sankuru et le Maï-Ndombe continuent toujours de présenter un visage moyenâgeux alors qu’il y a une possibilité de suppléer ce manque de moyens », estime un élu provincial de Maï-Ndombe.
Lors de l’investiture du gouvernement de la Première ministre Judith Suminwa en 2024, les députés nationaux Ngoyi Kasanji et Paul Tshilumbu avaient dénoncé les difficultés de fonctionnement que connaissait la Caisse nationale de péréquation. Quelques jours plus tard, le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamarhe, avait tenté de résoudre le problème en invitant le comité de gestion de la CNP à l’Assemblée nationale. « La Caisse ne bénéficie d’aucun financement du gouvernement », avait tranché le président de son conseil d’administration, Izato Nzege, ainsi que le Directeur général Coco-Jacques Mulongo Nzemba. Il était prévu que cette structure soit relancée dans le cadre du budget de l’exercice 2025. Mais ce budget a été voté, mais les gouverneurs ne voient toujours rien tomber dans leur escarcelle.
En juillet 2023, le Centre des recherches en finances publiques et développement local (CREFDL) avait dénoncé des « intérêts obscurs » qui freinaient le fonctionnement de cette caisse. Cette structure notait qu’après analyse technique de plus d’une centaine de documents relatifs à l’opérationnalisation de cette caisse, le bilan reste catastrophique, y compris sous le président Félix Tshisekedi. « Le bilan reste catastrophique. La CNP n’a jamais été redynamisée malgré la nomination de nouveaux animateurs. Sur 4,1 milliards USD alignés dans la loi de Finances (2019-2023) pour financer les investissements des provinces et ETD, le Trésor public n’a décaissé que 76 millions USD, soit 2,7 % », dénonçait CREFDL. Cette insuffisance de financement des provinces moins nanties combinée avec les difficultés de rétrocession de 40 % des recettes nationales aux provinces constitue des obstacles majeurs pour l’autonomie financière de ces entités.
Un développement à géométrie variable
L’absence de la Caisse nationale de péréquation et la rétrocession de 40 % effectuée à « dent de scie » ne permettent pas aux provinces d’avoir un même rythme de développement. Le Lualaba, qui a accueilli cette 12ème Conférence, a présenté 14 nouvelles infrastructures inaugurées par le chef de l’Etat, Félix Tshisekedi. Il s’agit de l’échangeur routier, de l’aérogare internationale de Kolwezi, une caserne anti-incendie, une salle de congrès de 1 500 places, des écoles publiques, des routes…
Avec une superficie bâtie de près de 10 000 mètres carrés, cette aérogare à 2 niveaux symbolise l’ouverture de Kolwezi au monde, selon Fifi Masuka, gouverneure du Lualaba. L’ouvrage intègre 2 ailes distinctes pour les vols domestiques, internationaux, des salons VIP, 2 bras satellitaires ainsi que d’autres commodités. Ce projet est conforme au standard de l’organisation de l’aviation civile internationale, précise Fifi Masuka, qui note également que ledit projet s’inscrit dans le cadre du programme d’investissement prioritaire 2024-2028 au travers du pilier 4 relatif aux infrastructures et à l’aménagement du territoire, sous l’axe 1 : infrastructure des transports.
Mais face à ce boom immobilier, d’autres chefs-lieux de provinces manquent même une simple piste d’aérodrome. A Lodja, dans le Sankuru, ce qui est présenté comme un aéroport laisse à désirer. L’ombre sous le feuillage des arbres est utilisée comme un lieu d’embarquement avec une piste presque en terre battue. Il y a un sérieux hiatus entre ce qui se fait à Kolwezi et ce qui s’observe à Lodja ou à Inongo. A Kinshasa, malgré l’avantage d’être une province-capitale, l’exécutif provincial peine aussi à mobiliser les ressources et se fait souvent assister financièrement par le gouvernement central. Lors de la première journée de la 12ème conférence des gouverneurs, le gouverneur Daniel Bumba a dressé un tableau contrasté de son propre programme « Kinshasa Ezo Bonga », un plan de développement chiffré à 10 milliards de dollars, aligné sur les trois initiatives et six engagements du quinquennat du président de la République. Il a vanté un plan global d’assainissement de la ville, la reconstruction de la voirie urbaine avec notamment la réhabilitation de 60 kilomètres de routes sur les 170 initialement prévus pour sortir Kinshasa de ses nombreux embouteillages.
Tant que la Caisse de péréquation et la rétrocession de 40 % ne seront pas totalement opérationnelles, le développement des provinces en RDC restera à géométrie variable. Plusieurs éléments confirment cette triste réalité, notamment les disparités économiques, l’inégalité des infrastructures, et les différences dans l’accès aux services sociaux de base, tels que les routes, les aéroports, les hôpitaux et les écoles publiques ou privées. Pour corriger cette situation, des politiques plus équitables de redistribution des ressources,
une véritable décentralisation, et des investissements ciblés dans les zones marginalisées seraient nécessaires.
Heshima