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RDC : pourquoi Tshisekedi conserve son partenariat avec l’Ouganda

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En conflit ouvert avec le Rwanda malgré la désescalade en cours à Washington, la République démocratique du Congo (RDC) a fait l’étrange choix de conserver à tout prix ses relations avec l’Ouganda pourtant accusé de soutenir tacitement les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Ce choix opéré par Félix Tshisekedi paraît stratégique et lui a permis notamment de limiter la zone d’occupation du M23 dans l’est du pays.

Le 21 juin 2025, le président congolais Félix Tshisekedi a reçu à la Cité de l’Union africaine, à Kinshasa, le général Muhoozi Kainerugaba, fils du président Yoweri Kaguta Museveni et commandant des forces terrestres de l’armée ougandaise (Uganda People’s Defence Force, UPDF). La veille de cette rencontre, le 20 juin, les chefs des armées des deux pays ont signé un accord pour poursuivre leur opération militaire conjointe contre les rebelles Forces démocratiques alliées (FDA).

L’opération, baptisée « Shujaa », vise officiellement les FDA dans le nord de la province du Nord-Kivu ainsi que dans certains territoires de la province de l’Ituri. Cette présence ougandaise à Lubero, Beni et Butembo n’a pas permis la progression du M23 dans cette zone. Il en est de même en Ituri où les armées congolaise et ougandaise mènent des opérations conjointes. « En dehors du Rwanda, les responsables du M23 ont une allégeance sans faille vis-à-vis du président Yoweri Museveni. La rébellion ne pouvait en aucun cas conquérir une zone où l’armée ougandaise est présente, c’est impossible. Félix Tshisekedi a sûrement exploité cet aspect pour limiter la progression du M23 », analyse Etienne Kasereka, spécialiste dans la dynamique des conflits dans la région des Grands Lacs. En conservant cette collaboration militaire, Félix Tshisekedi lie en quelque sorte les mains de Kampala pour l’empêcher de prendre ouvertement parti au conflit en s’alignant officiellement aux côtés de Kigali.

Sécuriser les infrastructures routières

Au-delà de la question du M23, la RDC et l’Ouganda font face à des menaces communes, notamment de la part de groupes armés comme les FDA ou la Armée de résistance du Seigneur (ARS) du seigneur de guerre ougandais Joseph Kony. Cette coopération sécuritaire permet des opérations militaires conjointes pour stabiliser les zones frontalières. L’armée ougandaise combat par moments des rebelles de CODECO (Coopérative pour le développement du Congo). En travaillant ensemble, les deux pays peuvent mieux contrôler leurs frontières, réduire les incursions armées et les trafics illégaux (armes, minerais, etc.). Mais la RDC et l’Ouganda ont également un précieux projet à préserver ensemble : les routes transfrontalières.

En 2021, Félix Tshisekedi et Yoweri Kaguta Museveni avaient signé un protocole d’accord pour la construction et la modernisation de la route transafricaine de Mpondwe-Kasindi en passant par Beni, puis Bunagana jusqu’à Goma, dans la cité frontalière de Lubiriha Kasindi. L’Ouganda a investi dans la construction de routes dans l’est de la RDC pour faciliter le commerce bilatéral, ce qui va désenclaver ces régions congolaises tout en boostant le commerce local. Ces routes permettent surtout à l’Ouganda d’avoir un meilleur accès aux ressources congolaises (bois, minerais, produits agricoles), et à la RDC de mieux exporter via les ports ougandais.

Tshisekedi ne devrait pas opposer Kigali et Kampala

Selon le député national Eliezer Ntambwe, la RDC et l’Ouganda seraient en train de créer une nouvelle opération qui consiste à traquer les rebelles du M23 de Bunagana à Goma. « En d’autres termes, l’Ouganda veut affronter le M23 aux côtés des FARDC », explique ce député élu de Kinshasa. Mais plusieurs analyses démentent cette option. Kinshasa ne devrait pas opposer Kampala à Kigali, c’est quasiment impossible. « Kinshasa commettrait une erreur majeure en tentant de s’immiscer directement dans la relation organique, émotionnelle et opaque qui lie Kampala à Kigali », pense The Mwami, analyste politique sur X. Ce dernier, sur son compte X, explique que ce lien entre Kigali et Kampala ne repose ni sur les traités, ni sur des échanges économiques, ni sur les institutions officielles ; mais sur des alliances supposées de sang, de loyauté clanique, de perception raciale partagée, de désir hégémonique commun aux deux potentats de part et d’autre de la petite chaîne. Ces éléments sont, selon lui, extra-institutionnels, très affectifs, mais opérants. Pour cet internaute, la RDC ne doit ni séduire ni affronter l’axe Kigali-Kampala sur leur terrain affectif. Elle doit systématiquement déplacer l’échange vers le terrain procédural, diplomatique, celui des codes, des normes, des obligations mutuelles et des dispositifs multilatéraux.

Kampala ne peut s’attaquer au M23

Même s’il est arrivé par le passé que Kampala et Kigali s’affrontent en RDC, notamment lors de la guerre de 6 jours à Kisangani, il est cependant clair que les deux pouvoirs – ayant une origine quasi commune – ne se détestent pas. D’ailleurs, la meilleure illustration de ces relations reste le tweet qui a suivi la visite du controversé général Muhoozi Kainerugaba en RDC, encensant le président rwandais Paul Kagame qu’il qualifie souvent de son « oncle ». Un jour après son départ de Kinshasa, le général Muhoozi a affirmé que les forces ougandaises et congolaises s’attaqueraient aux Wazalendo partout où elles les trouveraient, les qualifiant de “force négative”, au lendemain de son entretien avec le président Félix Tshisekedi. Cette présumée position de Kampala sur les Wazalendo pourrait susciter des tensions, alors que ces milices sont des alliées des FARDC contre la rébellion du M23 soutenue par le Rwanda.

Le général Muhoozi a aussi menacé le gouverneur militaire de l’Ituri, le lieutenant-général Johnny Luboya. Si certains considèrent les propos tenus par ce général sur les réseaux sociaux comme ne représentant pas la position officielle de l’Ouganda, sa proximité avec le Rwanda et le combat que mène le M23 ne permettent cependant pas à Kampala de combattre ce groupe armé d’obédience ethnique. D’ailleurs, depuis la résurgence de cette crise du M23, le président Yoweri Museveni a toujours appelé son homologue congolais à dialoguer avec les rebelles du M23. Après avoir ouvert les discussions à Doha, au Qatar, il est difficile de revoir une option militaire contre ces rebelles. Sauf si le groupe de Sultani Makenga exigeait l’impossible au gouvernement congolais dans ses revendications à Doha.

Contrairement au Rwanda, l’Ouganda a choisi la voie d’une coopération formelle. Cette collaboration est stratégique pour renforcer la sécurité régionale, développer les infrastructures transfrontalières, dynamiser l’économie locale, et favoriser une stabilité politique durable entre deux pays historiquement liés mais souvent conflictuels. Kigali a souvent été gêné de constater un tel niveau de coopération sécuritaire et économique avec l’Ouganda alors que Félix Tshisekedi lui a refusé le droit de poursuivre sur le sol congolais les rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).

Même si l’accord de paix négocié entre Kinshasa et Kigali à Washington prévoit un renforcement du mécanisme régional de commerce, l’Ouganda, point de sortie majeur de l’or ou du café congolais, souvent issus de la contrebande, pourra toujours jouer sa partition.

Heshima

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