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 RDC : Constant Mutamba, son rêve de la présidentielle 2028 brisé ?

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En République démocratique du Congo (RDC), l’ancien ministre de la Justice, Constant Mutamba, a vu son destin judiciaire scellé le 2 septembre 2025. Condamné à trois ans de travaux forcés et à cinq ans d’inéligibilité pour détournement de fonds publics, l’ex-garde des Sceaux est désormais assigné à résidence surveillée. Cette sentence met-elle un terme à ses ambitions pour la présidentielle de 2028 ? Retour sur l’ascension fulgurante d’une figure politique controversée.

Entamé le 9 juillet 2025, le procès de l’ancien ministre de la Justice, Constant Mutamba, s’est achevé le 2 septembre sous une forte tension. Escorté par un blindé des Forces armées de la RDC (FARDC) jusqu’à la Cour de cassation, Mutamba a ensuite été conduit au Commissariat provincial de Kinshasa, où il a passé sa première nuit en tant que condamné. Il est accusé d’avoir détourné 19 millions de dollars destinés à la construction d’une prison moderne à Kisangani, dans le nord-est du pays.

Le 13 août, le ministère public avait requis une peine de dix ans de travaux forcés. Le parquet reproche à Mutamba un virement « irrégulier » de ces fonds publics vers Zion Construction, une société présumée fictive. Tout au long du procès, l’ancien ministre a clamé son innocence, dénonçant une « machination politique » et affirmant que les fonds restaient intacts à la Rawbank. Cependant, l’accusation a martelé que « l’argent, transféré hors du compte de l’État, appartenait désormais à Zion Construction », constituant ainsi un détournement consommé.

Une accusation implacable

Dans une demande d’autorisation de poursuites adressée à l’Assemblée nationale en juin 2025, le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde Mambu, a accusé Constant Mutamba d’avoir élaboré le projet de construction d’une prison à Kisangani et débloqué 19 millions de dollars sans l’accord de la Première ministre, Judith Suminwa, dans l’intention présumée de détourner ces fonds. Le parquet a maintenu cette ligne d’attaque tout au long du procès, jusqu’à la condamnation de l’ancien ministre. Bien que l’entreprise bénéficiaire, Zion Construction, n’ait pas retiré l’argent, Mvonde a souligné un « risque réel » de détournement, évité grâce à l’intervention rapide de la Cellule nationale de renseignements financiers (CENAREF), qui a bloqué le compte bancaire où les fonds avaient été transférés.

Lors du procès, le ministère public a qualifié le projet de Kisangani d’« aventure savamment orchestrée » par Mutamba, présenté comme une entreprise aux desseins « délinquants » visant à s’approprier les fonds publics. En réponse, l’ancien ministre d’État a dénoncé un règlement de comptes politique, se disant victime d’une cabale orchestrée pour nuire à sa carrière.

Mutamba, victime de ses réformes judiciaires ?

Dans une lettre datée du 10 juin 2025 adressée au procureur général près la Cour de cassation, Constant Mutamba, alors ministre de la Justice, a contesté la gestion de son dossier par le chef du parquet et ses magistrats, les accusant de « partialité et d’inimitié » à son encontre. Selon lui, ses réformes ambitieuses à la tête du ministère lui ont valu l’hostilité d’une partie de la magistrature. Les tensions se sont cristallisées lors des états généraux de la justice en novembre 2024, marqués par des échanges virulents par médias interposés entre Mutamba et certains magistrats, dans le cadre de son objectif affiché de « purger la justice de ses fléaux ».

Edmond Isofa, président du Syndicat autonome des magistrats du Congo (SYNAMAC), a accusé Mutamba d’avoir présenté un « faux rapport » lors de la clôture des états généraux, le 19 novembre 2024, menaçant de poursuites judiciaires les responsables de ce document sans nommer directement l’ancien ministre. À la veille du verdict du procès, Isofa, en sa qualité de procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe, a également averti les partisans de Mutamba de possibles arrestations pour « outrages envers un officier du ministère public » et « harcèlement par voie électronique ». Il pointait du doigt le tollé sur les réseaux sociaux et les caricatures visant le procureur chargé des accusations contre Mutamba.

Durant son année à la tête du ministère de la Justice, Constant Mutamba s’est engagé dans un bras de fer avec la magistrature, notamment avec le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde. En novembre 2024, l’ancien ministre a publiquement réclamé une enquête de l’Inspection générale des finances (IGF), de la Cellule nationale de renseignements financiers (CENAREF) et de l’Agence nationale de renseignements (ANR) sur l’acquisition par Mvonde d’un immeuble à Bruxelles, évalué à 900 000 euros, alimentant les tensions avec le parquet.

Une posture réformatrice source de conflits

Dans sa quête de réformes, Mutamba n’a épargné personne, s’attirant de nombreuses inimitiés. Il a qualifié certains collègues ministres de « touristes », leur reprochant un manque d’ambition réformatrice, selon des propos rapportés par des sources proches du gouvernement. Ses relations avec la Première ministre, Judith Suminwa, se sont également détériorées. Lors d’une campagne de sensibilisation à Kinshasa sur le patriotisme et la lutte contre la corruption, Mutamba a suscité la controverse en déclarant : « Je sens l’odeur du détournement dans cette salle. Un patriote ne détourne pas les soldes des militaires. » Ces propos, perçus par certains comme une accusation implicite contre Suminwa, présente dans l’assistance, ont provoqué une réplique cinglante de la Première ministre : « Ceux qui me connaissent savent que je n’ai jamais triché, depuis l’école primaire. Le ministre affirme sentir un parfum de malversation parmi vous ? Est-ce normal ? On ne peut pas sentir l’odeur du détournement ici. » Quelques mois plus tard, devant l’Assemblée nationale, Mutamba a reconnu un climat « conflictogène » et « anxiogène » avec la cheffe du gouvernement, illustrant l’ampleur des tensions.

Parcours et ascension météorique  

Né le 24 avril 1988 à Luputa, dans la province de Lomami, Constant Mutamba grandit à Kisangani, une ville marquée par les conflits armés. Diplômé d’État en 2008 au Collège Maele du Sacré-Cœur, il se distingue dès l’adolescence en fondant une association de lutte contre la tricherie scolaire. À Kinshasa, il poursuit des études de droit à l’Université protestante au Congo (UPC), où il devient président des étudiants, puis vice-président national. Il complète sa formation par un master en gestion et droit de l’entreprise à l’Université de Liège, en Belgique, avant de prêter serment comme avocat au barreau de Kinshasa-Gombe, tout en s’engageant dans le secteur minier.

En 2013, Mutamba devient assistant du gouverneur Jean Bamanisa dans l’ancienne Province Orientale. L’année suivante, il fonde la Nouvelle Génération pour l’Émergence du Congo (NOGEC), un mouvement citoyen transformé en plateforme politique en 2018. Allié au Front Commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila, il rompt avec cette coalition en 2021 pour créer la Dynamique Progressiste Révolutionnaire (DYPRO), un mouvement d’opposition. En 2023, il se porte candidat à la présidentielle, menant campagne notamment à Kisangani, mais c’est Félix Tshisekedi qui l’emporte. Parallèlement, Mutamba est élu député national de la circonscription de Kabinda, dans la province de Lomami, et siège à l’Assemblée nationale en tant qu’opposant jusqu’à son entrée au gouvernement Suminwa en juin 2024. Un an plus tard, accusé de détournement de fonds par le procureur général près la Cour de cassation, il démissionne le 18 juin 2025 pour répondre à la justice.

Un rêve présidentiel compromis ?

La condamnation de Constant Mutamba assène un coup dur à sa carrière politique. L’ancien ministre, qui ambitionnait de briguer la présidence en 2028 après le second mandat de Félix Tshisekedi, voit ses projets entravés par une peine de trois ans de travaux forcés assortie de cinq ans d’inéligibilité. Âgé de 37 ans, Mutamba, dont le jugement en Cour de cassation est définitif et sans recours possible, a quitté l’audience du 2 septembre 2025 le poing levé, escorté par la police et des militaires. « La peine d’inéligibilité est particulièrement incompréhensible », a déploré Me Paul Okito, l’un de ses avocats. Me Joël Kitenge, autre conseil de Mutamba, a quant à lui regretté un verdict manquant de « clémence », soulignant que son client n’a pas personnellement profité des fonds incriminés.

Figure montante de la scène politique congolaise, Constant Mutamba avait su rallier une partie de l’opinion grâce à son discours réformateur. Sa chute rapide, moins d’un an après son entrée au gouvernement, face au système qu’il dénonçait, suscite l’incompréhension parmi ses partisans. Pour ses détracteurs, comme Marie-Ange Mushobekwa, ancienne ministre des Droits humains sous Joseph Kabila, Mutamba a péché par un « ego hypertrophié », oubliant la nature éphémère du pouvoir. L’intéressé, lui, persiste à dénoncer une « manœuvre politique » orchestrée à son encontre. Dans sa lettre de démission adressée à Félix Tshisekedi, il affirmait n’avoir « jamais pris un seul dollar ». La Cour de cassation l’a toutefois jugé coupable d’enrichissement illicite et de violation des procédures légales. Seule une grâce présidentielle pourrait désormais rouvrir la voie politique à celui que ses partisans surnomment le « crocodile de Lubao ».

Heshima 

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