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Contentieux électoral en Afrique : de la poudre aux yeux

Avec l’instauration de la démocratie comme système politique par excellence dans le monde, les élections sont devenues, à leur tour, le moyen sine qua non de démontrer l’application dudit système à travers la désignation des dirigeants par la volonté populaire.

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Avec l’instauration de la démocratie comme système politique par excellence dans le monde, les élections sont devenues, à leur tour, le moyen sine qua non de démontrer l’application dudit système à travers la désignation des dirigeants par la volonté populaire.

Si cela est la logique inhérente à la vie-même sous d’autres cieux, en occident plus précisément où les pays sont appelés des vieilles démocraties, l’Afrique qui a peut-être suivi le rythme bon gré mal gré, ne réussit pas à tous les coups, la plupart de ses scrutins étant entachés d’irrégularités effarantes, donnant lieu à de nombreux contentieux électoraux.

Certains politiques africains estiment que la fraude et les contestations électorales tirent souvent leur origine de l’étape de l’élaboration de la loi électorale, de la désignation de membres devant composer la centrale-électorale et des juges électoraux, de la révision constitutionnelle… Le reste n’étant que « carnaval ».

A ce jour, bon nombre de contentieux électoraux se terminent en queue de poisson.

Certains pays d’Afrique se démarquent bien par rapport à la façon dont ils résolvent leurs litiges devant les juges électoraux. Parmi ceux-ci figurent notamment l’Afrique du Sud, le Ghana, le Bénin… Toutefois, la situation qui prévaut actuellement en Côte d’Ivoire, pays qui s’apprête à aller aux urnes le 31 octobre, illustre mieux la difficulté qu’il y a, pour la plupart, d’organiser des élections libres, transparentes et apaisées ; et au-delà d’espérer un judicieux contentieux électoral.

Des écueils qui jonchent le processus !

Des politiques avérés ne se font plus prier pour le dire : en Afrique, l’élection n’est plus un facteur de cohésion sociale, elle aboutit généralement aux conflits, voire aux violences. Après le rejet des candidatures de Laurent Gbagbo et de Guillaume Soro, voyant par avance l’issue du scrutin, Henri Konan Bédié lance l’alerte en annonçant que la prochaine élection  peut mener la Côte d’ivoire vers « des troubles très importants ». Ainsi, le contentieux électoral, mécanisme permettant de gérer les litiges postélectoraux, devient routinier parce que tous les ingrédients sont faits pour ne pas avoir des élections apaisées.  

Avec tous les obstacles érigés avant, pendant et après une élection présidentielle,  il devient aléatoire de voir un opposant gagner celle-ci.

Au niveau préélectoral, il y a lieu de reconnaitre que tout est souvent fait dans le but d’invalider les candidatures gênantes, ce, en recourant à différentes stratégies « légalisées » : limitation d’âge, problème de double nationalité ou de casier judiciaire, caution électorale non remboursable exorbitante, modification du nombre de tours ou de suffrage, tripatouillage de la constitution pour l’obtention d’un troisième mandat… Lors de la campagne électorale, il arrive que  nombreux dénoncent des injustices, notamment l’utilisation des moyens de l’Etat par le camp se trouvant au pouvoir, l’accès aux médias publics…. Du coup, le vote, le dépouillement et la proclamation des résultats s’accompagnent des irrégularités et des contestations. 

En Côte d’ivoire, alors que d’aucuns sentaient venir le coup, la Justice ivoirienne ainsi que la Commission électorale n’ont pas hésité à écarter les dossiers de candidature de Gbagbo et de Soro, leur inéligibilité étant justifiée par leurs démêlés judiciaires. Un joli prétexte dont les ivoiriens et le reste de la communauté tant nationale qu’internationale  attribueraient la paternité à Alassane Ouattara, le président en exercice. L’homme ne devait pas se présenter à la prochaine Présidentielle, mais à la mort de son bras droit et supposé dauphin, ne s’est pas gêné pour finalement annoncer sa candidature pour la troisième fois de suite depuis 2010.

Une scène quasi-similaire en République Démocratique du Congo où en 2018, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, deux leaders populaires de la scène politique congolaise s’étaient vus débarqués du processus en 2018 pour les mêmes raisons que Soro et Gbagbo.

C’est à ce propos qu’Alpha Blondy a, dans sa chanson composée en mémoire de Norbert Zongo, journaliste burkinabé assassiné le 13 décembre 1998, parlé de la « démocratie du plus fort qui est toujours la meilleure ». 

Des scrutins pris en otage!  

Dans la majorité des pays occidentaux, si l’action du juge constitutionnel et du juge pénal a beaucoup contribué dans la normalisation des processus électoraux, ce n’est pas le cas en Afrique où le contentieux électoral bégaie encore.  En général, Il est impensable de voir sur le continent une consultation électorale pluraliste se terminer sans contentieux. Malheureusement, c’est un contentieux électoral considéré comme dévoyé parce que le suffrage est souvent détourné en faveur d’un camp. La légitimation des résultats électoraux est fréquemment sujette à caution tant les commissions électorales dites « indépendantes » et les instances judiciaires appelées à les valider ou les invalider sont inféodées au pouvoir en place au moment de l’organisation des élections. Pourtant, tant que les pouvoirs publics seront impliqués directement ou indirectement dans la fraude, ce qui est souvent fustigé, le contentieux électoral sera toujours de façade.

Aujourd’hui, les juges électoraux africains sont particulièrement protégés. La manière partiale dont ils traitent les litiges fait qu’ils se sentent en insécurité ou menacés. Au Nigéria, un juge électoral s’était prononcé sur la régularité du scrutin plus d’une année et demie après l’élection présidentielle d’avril 2007, alors que Umaru Musa Yar’Adua, donné pour vainqueur de celle-ci, exerçait depuis un moment les fonctions de chef de l’Etat et ne pouvait plus accepter que son élection soit invalidée.  Au Sénégal, le vice-président du Conseil constitutionnel avait été assassiné pendant les élections générales de 1993 et le pays avait sombré dans l’instabilité.

Des Présidents en salle d’attente !

Depuis presque 25 ans, plusieurs pays ont connu des contestations électorales dont les juges n’ont fait qu’entériner les résultats : Cameroun, Côte d’ivoire, Togo, Kenya, Nigéria, Zimbabwe, Congo, Gabon, RDC, etc. Bien que considéré comme moyen permettant d’assurer l’équité et la régularité dans un processus électoral,  nombreux sont ceux qui se méfient du règlement de différends électoraux par des organes juridictionnels. Ils y déposent leurs recours, mais sans trop y croire. La vérification de la régularité des actes et la validité des résultats des élections pose toujours problème.

L’Afrique souffre incontestablement d’une sorte de trop plein en ce qui concerne les litiges électoraux, la majorité d’entre eux restés sans solution.

La République Démocratique du Congo a connu, en décembre 2018, son troisième cycle électoral après ceux de 2006 et de 2011. Même si celui-ci restera gravé dans la mémoire collective pour avoir ouvert la voie à la première alternance pacifique de l’histoire de ce pays, il reste toutefois entaché d’accusations d’irrégularités au même titre que les précédents. Arrivé deuxième à l’issue de la dernière Présidentielle derrière Félix-Antoine Tshisekedi, Martin Fayulu Madidi n’a jamais accepté sa défaite, exigeant à cor et à cris la vérité des urnes qu’il n’a toujours pas obtenue, deux ans après.

Dans le même ordre, en 2011, le légendaire opposant Etienne Tshisekedi wa Mulumba, a contesté sa défaite devant Joseph Kabila Kabange, allant jusqu’à organiser une cérémonie de prestation de serment dans sa résidence privée dans la paisible commune de Limeté à Kinshasa.

En 2007, opposé à Joseph Kabila à l’occasion du second tour de la première Présidentielle démocratique au suffrage universel direct, Jean Pierre Bemba Gombo rejettera les résultats, plongeant toute la ville de Kinshasa dans une terreur inhabituelle suite aux affrontements de l’armée régulière contre les éléments de la milice de Bemba.

A ce jour, la liste des « présidents » dans la salle d’attente s’étoffe davantage aux côtés du gabonais Jean Ping, qui se considère depuis septembre 2016 comme président de la République, du Camerounais Maurice Kamto, se considérant comme le tombeur du quasi-éternel Paul Biya en 2019 et  Agbeyomé Kodjo qui clame sa victoire face à Faure Gnassingbé, au Togo.

Dans le cadre du contentieux électoral, en ce qui concerne les élections législatives, on a vu des acteurs politiques passer nuit devant ou dans l’enceinte de la Cour constitutionnelle, à Kinshasa.  On a parfois comme impression que le juge électoral est totalement perdu : il valide, invalide et revalide les résultats. Face à cette réalité, certains de ceux qui ne supportent pas de perdre les élections, sont parfois tentés de prendre les armes ou d’aller en rébellion.

Hubert M

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