La formule de la coalition adoptée à la suite des dernières élections de 2018 en RDC a fini par conduire à l’évidence de son impossibilité. L’Union sacrée de la Nation issue de sa dislocation remet au goût du jour une notion politique présente dans l’Histoire, à l’étranger comme en RDC.
A moins d’évoluer dans un contexte monolithique, la vie politique se caractérise généralement par l’existence de différentes tendances d’ordre idéologique, religieux, socio-économique au point où il arrive qu’en situation ultime que des forces jusque-là centrifuges estiment devoir transcender leur adversité pour s’unir en un sursaut afin de se solidariser face à une cause commune, dans un élan patriotique. Ce rapprochement peut porter différentes dénominations, mais l’une de celle qui a marqué l’Histoire est « l’Union sacrée ».
Un exemple lointain
Cette expression apparait en France à l’époque du déclenchement de la Première Guerre Mondiale de 1914-1918. C’est en effet le 4 août 1914, que le président de la République française d’alors, Raymond Poincaré utilise pour la première fois ce vocable lors d’un discours à la Chambre des députés au lendemain de la déclaration de guerre de l’Allemagne contre la France. Ce mouvement consiste en l’union de la gauche au programme du gouvernement, essentiellement de droite pour contrer l’imminente attaque allemande. En ces circonstances, l’Union Sacrée française parvient à réussir la mobilisation des Français et regroupe les socialistes et les catholiques, partis politiques et syndicats affiliés : les travailleurs abandonnent tout mouvement de grève et de revendication pour se rallier à la « Patrie en danger » et 25.000 prêtres et séminaristes acceptent de revêtir l’uniforme pour livrer la guerre.
A l’identique de la France, les autres pays en guerre unissent également en leur sein leurs différentes forces politiques et sociales que ce soit parmi les alliés comme l’Angleterre ou les ennemis comme l’Allemagne. Toutefois, l’usure des combats et les privations subies favorisent la résurgence des clans politiques sans compter la survenance dans l’entre-temps de la révolution Russe en 1917, l’Union Sacrée se dégrade : les socialistes refusent désormais de participer au gouvernement, car pour eux l’alliance consacrée ne soutient pas les intérêts des travailleurs et que la guerre ne sert que l’impérialisme au détriment de l’Internationale Socialiste. L’Union Sacrée prend ainsi fin en 1919. Depuis, la France ne parvient plus à rééditer pareille formule, contrairement à l’Italie ou l’Allemagne plus récemment dans une certaine mesure.
Union sacrée de l’opposition radicale
Connue au préalable sous le nom de l’Union sacrée de l’opposition radicale (USOR), ce mouvement est l’un des acteurs majeurs des multiples péripéties de l’histoire politique mouvementée du Congo (à l’époque Zaïre) au cours de laquelle l’opposition a systématiquement était confrontée aux manœuvres du camp de Mobutu et de tensions internes. Cette alliance est née le 17 juin 1991 par le regroupement de l’UDPS, de l’UFERI et du PDSC et représente une plate-forme politique de l’opposition radicale dans le contexte du nouveau pluralisme instauré à partir du 24 avril 1990, date de la fin du MPR, Parti-Etat. Elle a pour objet de contrer les velléités de la Mouvance présidentielle de Mobutu, lequel malgré avoir lâché du lest essaie de se maintenir au pouvoir par tous les moyens. Une des pierres d’achoppement entre les deux camps porte notamment sur le fait d’accorder ou non la souveraineté à la Conférence nationale chargée de débattre et de concrétiser les options de l’installation de la 3ème République. Les ténors de l’USOR obtiennent finalement gain de cause, car la Conférence nationale souveraine (CNS) s’ouvre le 7 août 1991. De plus, une autre revendication de l’USOR consistant à ce que la CNS installe un parlement de transition et accouche d’un gouvernement est acquise : le 15 août de l’année suivante, en dépit des tergiversations de Mobutu, Etienne Tshisekedi, face à ses adversaires, est porté à la tête du gouvernement issu de la CNS en qualité de Premier ministre de la Transition avec un suffrage de 71% de voix, et ce, dans la liesse populaire. En août 1992, la CNS met en place un corps législatif de transition – le Haut Conseil de la République (HCR)- composé de 453 membres et favorable à Etienne Tshisekedi.
Cependant, à la suite des pillages intervenus dans le pays en janvier 1993, Mobutu met en terme à ce corps législatif et réhabilite l’Assemblée nationale entièrement à sa solde et nomme Faustin Birindwa, un transfuge de l’UDPS, comme Premier ministre. Devant le désaveu populaire et international porté sur ce gouvernement, Mobutu entame des négociations avec l’Union Sacrée de l’Opposition radicale qui se voit élargie à des alliés pour désormais donner naissance à l’USORAL.
Ces tractations débouchent sur le partage du pouvoir entre les Forces Politiques du Conclave (FPC) et l’USORAL, l’unification de l’Assemblée nationale et le HCR, qui instaure l’avènement du Haut Conseil de la République – Parlement de Transition, HCRPT en sigle. Cette institution de 738 membres se trouve sous le contrôle de Mobutu, bien que l’opposition dispose de la latitude d’y nommer le gouvernement.
Pour consolider cet accord, les parties adoptent le 9 avril 1994, l’Acte Constitutionnel de la Transition, charte du HCR-PT. L’opposition est néanmoins divisée dans le choix du Premier ministre. En définitive, Léon Kengo, soutenu par les Mobutistes, est élu par 332 voix alors que les partisans d’Etienne Tshisekedi boycottent le vote. Sous les coups de butoir de l’AFDL, Mobutu nomme Etienne Tshisekedi comme Premier ministre en avril 1997.
« Par Union Sacrée, j’entends une nouvelle conception de la gouvernance basée sur les résultats dans l’intérêt supérieur de la Nation. «
Son mandat n’est toutefois que de cinq jours, car le nouveau Premier ministre déclare ne pas reconnaître le HCR-PT dans la mesure où le pays n’est pas gouverné par l’Acte Constitutionnel de la Transition mais plutôt par l’Acte tiré de la CNS portant dispositions constitutionnelles pour la période de transition. Il précise par ailleurs que son gouvernement en gestation ne comprendra pas des ministres de la famille politique de Mobutu ni ceux de l’opposition modérée. Sur ces entrefaites, à l’exclusion des pro-Tshisekedi, l’USORAL et le FPC désavouent Tshisekedi : ils enclenchent la procédure de sa destitution alors que l’entrée de l’AFDL à Kinshasa vient modifier le parcours de la vie politique et mettre littéralement fin à l’existence formelle de l’USORAL.
Union sacrée pour l’alternance
Reprenant à son compte cette expression une frange de l’opposition politique s’est distinguée dans un épisode de l’histoire politique congolaise par la création de l’Union sacrée pour l’alternance (USA). Cette formation voit le jour le 20 août 2011 et regroupe des partis, personnalités politiques et mouvements associatifs. Le but poursuivi est de fédérer les forces de l’opposition institutionnelle plurielle face à la Majorité en affrontant en ordre utile les scrutins électoraux et en se montrant plus efficace que l’Union pour la Nation (UN), la première plate-forme de l’opposition qui avait appuyé la candidature de Jean-Pierre Bemba contre celle de Joseph Kabila lors de la présidentielle de 2006.
Pour ses initiateurs, pareille stratégie aurait le mérite de s’assurer d’une alternance et contrer toute dérive totalitaire, gage d’une véritable démocratie. Dans cet ordre d’idées, ne serait-on pas tenté de juger du caractère éphémère et circonstanciel sinon opportuniste de ce regroupement ?
Union sacrée de la Nation
Proclamée dans l’euphorie de la première passation pacifique du pouvoir à la suite des dernières élections de 2018 en RDC, la coalition FCC-CACH s’est imposée dans le paysage politique congolais. Les résultats ayant en effet donné lieu à la victoire d’un Président de la République issu de l’opposition contre une majorité parlementaire à l’ancien régime, cette option s’est avérée évidente en lieu et place d’une cohabitation, certainement difficile à gérer. Cependant, la formule de la coalition, bien qu’effective, a vite montré ses limites. Le 23 octobre 2020, vivement déçu de son fonctionnement, le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi annonce la tenue de larges consultations auprès des représentants des différentes forces politiques et sociales du pays.
Ayant tâté le pouls du Congo dans sa diversité, le président de la République en est arrivé à la conclusion de « faire porter le grand projet de refondation du pays, au sein d’Union Sacrée de la Nation.» Et de préciser : « Par Union Sacrée, j’entends une nouvelle conception de la gouvernance basée sur les résultats dans l’intérêt supérieur de la Nation. (…) » en adhérant aux principes, valeurs et cadre programmatique largement énuméré à travers les multiples facettes de la vie sociale dans « un sursaut démocratique ».
Le descendant biologique et politique d’Etienne Tshisekedi agissant pratiquement sur ce même registre aurait-il été inspiré par lui ? La réussite de ce défi qui passe par la constitution d’une majorité parlementaire et d’un gouvernement acquis à sa cause ne manquera pas à son héritier de le plonger dans les enseignements de la riche et tumultueuse histoire politique congolaise afin d’en tirer les dividendes, profitables à la population. Désormais, l’opinion nationale et internationale est en tout cas suspendue au parcours de cette nouvelle dynamique politique dont l’avenir donnera la lecture de l’évolution.