Dossier

Etat de siège, stratégie de Félix Tshisekedi contre la guerre

Félix-Antoine Tshisekedi a décrété l’état de siège comme stratégie d’éradication des groupes armés qui, depuis des années, massacrent la population civile à l’est de la RDC. Si cette mesure suscite des inquiétudes auprès des uns, elle est applaudie par d’autres. D’autres encore pensent qu’il existe davantage des mesures plus efficaces que l’état de siège. Néanmoins, le plus important reste la volonté de tous de voir une paix durable revenir en Ituri et au Nord-Kivu.

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Depuis le 6 mai 2021, l’Ituri et le N o r d – K i v u sont sous administration militaire. En vue de mettre fin à l’insécurité qui règne dans les deux provinces, le président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi, se basant sur l’article 85 de la constitution, a signé les ordonnances décrétant l’état de siège. Frappant du poing sur la table, Fatshi veut mettre définitivement un terme au cycle des violences et à la terreur que sèment les groupes armés dans cette contrée de la République. Du coup, il a placé à la tête de l’Ituri Luboya Nkashama Johnny, avec comme vice-gouverneur le commissaire divisionnaire Alonga Boni. Au Nord-Kivu, il remplace momentanément Carly Nzanzu à la tête de l’exécutif provincial par Constant Ndima Kongba. Ce dernier a comme vice-gouverneur le commissaire divisionnaire Ekuka Lipopo. Ce sont ces deux lieutenants généraux et leurs adjoints de la Police nationale congolaise ( PNC) qui ont la charge d’appliquer les mesures d’exception dans les deux provinces.

Dans sa stratégie, Félix-Antoine Tshisekedi les envoie en mission commando pour l’éradication de l’insécurité dans les deux provinces, pour une durée de trente jours, renouvelable plusieurs fois pendant quinze jours. Les provinces de l’Est de la RDC, partageant la frontière avec le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, sont en guerre depuis 1996 et beaucoup de groupes armés y pullulent. L’administration militaire va ainsi mener des offensives de grande envergure contre eux. Pour le chef de l’Etat congolais, l’heure est grave. « Aucun Congolais digne de ce nom ne devrait rester indifférent », a-t-il déclaré. « L’Est de la RDC est devenu « le point d’implosion des mouvements rebelles et des groupes armés, le point d’entrée des forces négatives étrangères, qui y sèment la désolation », déplore-t-il.

Une stratégie applaudie

Certains sont satisfaits car souhaitant le retour rapide de la paix dans la région. Pour Jean Bamanisa, gouverneur civil de l’Ituri mis de côté, la population a trop souffert. ‘’Nous avons eu plus de 1,6 million de personnes déplacées, plus de 250 000 personnes dans les camps de réfugiés et des groupes armés qui occupent des espaces et imposent leur loi ‘’, fustige t-il. Soucieux d’apporter son soutien aux FARDC engagés au front, le député national Nsingi Pululu a même proposé la création d’une caisse nationale en leur faveur. D’après lui, les ressources collectées dans le cadre de l’état de siège devraient être gérées par des religieux. 

De manière générale, les députés et gouvernements provinciaux soutiennent l’état de siège. Le gouvernement de la République de même. Le Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde a invité tous ceux qui ont pris des armes à revenir à la raison et a promis de soutenir leur réinsertion dans la vie normale. Il a lancé officiellement la campagne « Tolonga na mapinga. Bendele Ekweya te (Vaincre avec les forces armées tout en maintenant haut le drapeau de la RDC )», dans le but de soutenir les militaires et les policiers.

En Afrique et ailleurs, certains chefs d’Etat encouragent l’initiative du président Félix Tshisekedi. Paul Kagame, président du Rwanda, l’a salué. « Nous saluons cette initiative prise par les autorités de la RDC et nous ferons ce qui est en notre pouvoir pour qu’elle soit fructueuse », a-t-il indiqué. Avec Bintou Keita, Représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU, Félix Tshisekedi a parlé de la motivation de sa stratégie.

 Scepticisme et polémique au sujet des gouverneurs militaires

Cependant, ils sont nombreux, ceux qui manifestent leurs inquiétudes. Lamuka, par exemple, craint que l’état de siège soit une stratégie adoptée pour la balkanisation.  

La société civile s’inquiète parce qu’avec l’état de siège, les militaires voient leurs droits élargis : ils peuvent perquisitionner à tout moment ou interdire la circulation ou la publication et les réunions capables d’exciter les populations.

La crainte de certains notables de l’Ituri et du Nord-Kivu porte sur le comportement des militaires, notamment à cause du passif de certains officiers déployés(les deux généraux sont des anciens rebelles). Luboya est pointé du doigt par certaines organisations de la société civile, parce qu’étant un ancien du RCD Goma. Toutefois, cela remonte à fin 90 et tout récemment, il a été patron de la première zone de défense et commandant de la 13ème région militaire de l’Equateur. Quant à Constant Ndima, il est un ancien du Mouvement de libération du Congo ( MLC) de Jean-Pierre Bemba. Il a été commandant de la 3ème zone de défense (couvrant les deux Kivu, le Maniema et la Tshopo), et jusqu’ avant sa nomination en tant que gouverneur il était chef d’état-major général chargé de l’administration et de la logistique.

Pour sa part, la Lucha s’oppose carrément à l’état de siège. Ce mouvement citoyen demande au chef de l’Etat de convoquer plutôt un dialogue tripartite entre le gouvernement, la MONUSCO et les principales organisations de la société civile de la région. Le collectif « le Congo que nous voulons » estime qu’il existe d’autres solutions, plus simples et facilement applicables. Là-dessus, la Dynamique Congo 2060 formule plusieurs propositions alternatives, à savoir faire de la sécurité de l’Est du pays une cause nationale ; mettre Beni au centre des préoccupations de tous les Congolais ; renforcer le commandement et le contrôle des FARDC déployées à Beni ; écarter les officiers se trouvant sur le terrain et qui s’adonnent à l’exploitation des ressources naturelles… Toutefois, lors de son voyage à Lubumbashi, Félix Tshisekedi a qualifié de sorciers ceux qui critiquent ses choix concernant les gouverneurs militaires. « Nous ne pouvons pas nous réjouir pendant que les frères de l’Est souffrent. C’est pour cela que j’avais décidé d’installer l’état de siège. Rendez-vous compte que ceux qui écrivaient sur les massacres dans cette partie du pays en donnant des chiffres divers sont ces mêmes sorciers qui critiquent le choix porté sur ces gouverneurs militaires », a-t-il indiqué.

En vue d’apaiser la crainte des uns et des autres, les porte-parole du gouvernement, des FARDC et de la police ont rassuré l’opinion sur l’état de siège et sur les gouverneurs militaires. Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement a rassuré quant à lui sur le respect des lois et des droits fondamentaux, droit à la vie, à la liberté de penser .

Hubert MWIPATAY

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