Interview

IGF- Jules ALINGETE: Si la Justice ne fait pas son travail, ce n’est pas à moi de la juger.

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HM: Concernant le travail que vous avez réalisé en provinces. Où en est-t-on aujourd’hui, puisque vous avez déployé du personnel un peu partout pour enquêter sur la gestion de différentes provinces et le premier rapport que vous avez publié était plutôt alarmant ?

Pour le contrôle dans les provinces, nous avions eu à contrôler la province de l’Equateur, la ville-province de Kinshasa, la province du Bandundu, du Kwango, Kongo central, Lualaba, Haut-Katanga, Haut-Lomami, Tanganyika. Telles sont les provinces jusque-là contrôlées. Il y a des provinces dont vous connaissez déjà les résultats, et dans d’autres nous sommes en train de tout finaliser pour que les conclusions soient rendues publiques. Nous avons déjà les conclusions, on est vraiment en phase finale et bientôt certaines conclusions seront transmises à la Justice.

HM:  Mais, les choses ne semblent pas bouger. Vous avez déjà rendu publiques les conclusions, les mêmes dirigeants à qui vous avez reproché la mauvaise gestion sont toujours là. Cela ne vous dérange-t-il pas ?

Non. Pourquoi ça doit nous déranger ? Chacun doit faire son travail. Si l’Inspection Générale des Finances fait le contrôle, elle établit les conclusions pour telle ou telle province, s’il y a des faits infractionnels, nous transférons à la Justice et c’est à la Justice de faire son travail. S’il n’y a pas de faits infractionnels, nous les transférons à qui de droit.

HM: Si la Justice ne fait pas son travail, ça veut dire que le travail de l’IGF n’aura servi à rien ?

Si la Justice ne fait pas son travail, ce n’est pas à moi de la juger. Que faites-vous alors, vous l’organe de presse ou la population ? L’Inspection Générale des Finances ne doit pas tout faire. Nous avons des limites dans nos compétences. Ce n’est pas à l’IGF de juger les détourneurs des fonds, mais à la Justice.

 HM: On vous entendait de temps en temps faire un coup de gueule parce que certains dossiers trainaient. Aujourd’hui, apparemment, Jules Alingete s’en est lassé ?

Ce n’est pas ça. Nous ne nous sommes pas lassés, nous n’avons pas abdiqué, et nous ne sommes pas fatigués. Il faut comprendre que dans la Justice, il y a deux parties, c’està-dire, quand nous terminons, nous envoyons le dossier dans les parquets. Sur ce plan, il faut dire que les parquets font leur travail. Nous travaillons avec le Parquet Général Près la Cour d’Appel Gombe. Tous les dossiers que nous envoyons à la Cour d’appel de la Gombe, le travail se fait très bien.

HM:  Mais ça n’avance pas ?

Non, ça avance. Tous les dossiers sont transmis à la justice. Mais la Justice aussi a ses procédures. Je peux parler du Parquet Général Près la Cour d’Appel de la Gombe. Si par exemple nous avions envoyé 20 dossiers, il y a au moins 15 dossiers que le Parquet a traités, les personnes concernées ont été interpellées et d’autres sont en prison. Ensuite, que fait le parquet ? Le Parquet fixe devant la Cour et c’est à la Cour d’en juger. Nous avons commencé et nous saisissons le parquet, parce que nous sommes auxiliaires du Parquet. Après avoir fini avec le Parquet, vous voulez que nous puissions aller aussi à la Cour ?

HM: Ceux qui sont en prison constituent le menu fretin. On arrête les collaborateurs d’un Gouverneur pour détournement mais lui-même le titulaire vaque librement et il continue à gérer sa province. A quoi sert alors le travail de l’IGF si la suite n’est pas bien assurée ?

Non, la suite n’est pas le problème de l’Inspection Générale des Finances. Nous faisons notre travail. Au début, il y avait de la lenteur au niveau de la Justice. Il faut quand-même reconnaitre que nous sommes allés vers des procès à la suite des rapports de l’Inspection Générale des Finances.

HM:  De quel procès parlez-vous ? Pouvez-vous nous en citer quelques-uns ?

N’avez-vous pas suivi le procès SECOPE, BCECO, et le tout dernier au Tribunal de Grande Instance de la Gombe avec le détournement des fonds au ministère de la Formation professionnelle ? Il y a plein de procès.

HM: Par rapport aux provinces, n’y a-t-il aucun procès ? Je prends notamment le cas du Kongo Central. L’ancien gouverneur a été invité et nous ne l’avons pas vu.

Ne me donnez pas le rôle de tout faire. Moi je suis Inspecteur Général des Finances. Je vous ai cité des procès parce que vous dites qu’il n’y a pas de procès.

HM:  Mais par rapport aux provinces, voudriez-vous nous citer un seul cas de procès ?

Moi, je vous indique les procès qui ont eu lieu. Le reste, par exemple quand nous avions fait le contrôle de la province de l’Equateur, nous avions envoyé les dossiers au Parquet Général près la Cour de Cassation, mais c’est en instruction. Le Parquet invite les inspecteurs de temps en temps pour travailler ensemble, pour avancer dans le dossier. Dans ce cas, moi qu’est-ce que je vais faire ? Je ne peux pas aller vers le Procureur Général pour lui dire que je fais tel ou tel dossier, on ne travaille pas comme ça. C’est un professionnel, c’est un magistrat de carrière. Il connait son métier et il sait ce qu’il fait. Moi je lui donne juste la matière.

HM:  C’est parce que vous dites que la justice est en train de travailler, je vous ai juste montré qu’il y a des provinces que vous avez citées, où vous avez travaillé sans aucun procès.

Vous savez, vous êtes pressés. Ailleurs, un procès ou une instruction peut prendre 2 ou 3 ans. Il faut y aller avec précision, petit à petit, réunir tous les éléments. Ne pensez pas qu’on transmet le dossier au mois de janvier et au mois de février il y a procès ainsi qu’au mois de mars.

 Le Parquet doit parfaire le travail de l’Inspection Générale des Finances parce que lorsque nous envoyons le dossier au Parquet, si cela aboutit au procès, ce n’est plus l’affaire de l’Inspection. C’est le Parquet qui devient l’accusateur, donc il doit avoir tous les éléments et surtout que nous sommes dans un domaine particulier qui est le domaine des finances publiques. Ça nous pose parfois certains problèmes avec le Parquet puisqu’il faut aller et expliquer afin que le dossier dont il devra endosser la responsabilité, l’amener devant le Tribunal, qu’il puisse le maitriser et qu’il soit convaincu. C’est pour cela que ça traine.

Tout cela pour justifier pourquoi dans les provinces aucun dossier n’est traité ?

 Non, je ne dis pas ça. Le dossier de la Province de l’Equateur est en pleine instruction.

HM: Mais ça commence quand ?

Ça va bientôt commencer.

HM: Il y a des rapports que vous avez établis depuis 2020. 2021 touche à sa fin et aucun procès n’est encore rendu ?

Ça ne fait qu’une année. C’est fin 2020 que nous avions présenté.

HM: Pourquoi ne voulez-vous pas accepter que cela a pris du temps, le contrôle que vous menez pour les provinces. Et vous aviez découvert… Laissez-moi vous rappeler une de vos phrases d’interviews faites précédemment. Vous aviez dit que toutes les provinces sont mal gérées. Mais si rien n’est fait, pourquoi protégez-vous la justice ?

Je ne peux pas protéger la Justice. Sachez que la Justice a tout son temps et toutes les procédures pour y arriver. Ne pensez pas que si vous envoyez un dossier aujourd’hui, et demain c’est fini. Même lorsque vous-mêmes vous sollicitez la justice, est-ce que ça se fait le même mois, on fixe et vous avez la solution ? Parce qu’il s’agit soit de condamner ou de ne pas condamner les gens, la Justice doit faire son travail selon les règles de l’art.

Je vous dis que le dossier de la province de l’Equateur est en instruction. Celui du Kongo Central, parce que vous avez voulu en parler, vous savez que le Procureur de la Cour de Cassation a posé des actes, a émis des mandats d’arrêt, et vous êtes au courant de ce qui se passe aujourd’hui. On ne peut pas condamner le Parquet Général pour ça. Sur le dossier du Sénat, le Procureur Général près la Cour de Cassation a demandé de lever les immunités.

Les dossiers des membres du Parlement, des gouverneurs, etc. ont de longues procédures. Il faut solliciter des autorisations de poursuites, des levées des immunités, et ces immunités sont des obstacles dans la procédure. Ça crée beaucoup de problèmes. Je sens aujourd’hui que la Justice congolaise s’active sur presque la totalité des dossiers, mais c’est un problème des procédures. Le plus important aujourd’hui est que les prédateurs savent qu’on ne s’amuse plus, et l’Inspection et la Justice, tous ensemble.

 Comme je vous ai dit, sur tous les dossiers que nous avons envoyés au Parquet de la Gombe, 80% de ces dossiers sont bien traités. Il y a des gens qui sont encore en détention préventive à Makala, qui attendent le procès. Il y a des procès qui ont abouti. Je pense que le travail évolue bien.

HM: Si dans 6 mois ou une année, il n’y a toujours pas d’avancées, vous tiendrez le même langage ?

Une instruction ou un dossier peut prendre deux ou trois ans. Il faut prendre votre mal en patience. L’Inspection Générale des Finances travaille, la Justice s’active. Nous aurons à faire avancer les choses.

HM: Evoquons les entreprises du Plusieurs entreprises du portefeuille de l’État ont vu leurs mandataires être mis de côté, mais beaucoup qui ont été incriminés par les rapports de l’IGF sont encore là. Le cas de la REGIDESO, de la SNEL, de la DGDA, de l’ARCA. Comment expliquez-vous cela ?

Je n’ai pas connaissance d’un rapport incriminant la DGDA, La SNEL. Non, parce qu’elles sont encore sous contrôle de gestion au moment où nous parlons.

Nous sommes en phase finale. Avec la REGIDESO, nous avons terminé et le rapport se trouve entre les mains de Madame la Ministre d’Etat, Ministre du Portefeuille. Nous avions transmis pour disposition utile et notre travail se limite là.

HM: Ce rapport n’incriminait-il pas le dirigeant actuel de la REGIDESO ?

Nous avions transmis à qui de droit. Vous devez savoir ceci, dans le contrôle, il y a deux directions à prendre ou deux conclusions à prendre. Un contrôle peut aboutir à des faits de mauvaise gestion mais qui ne sont pas des détournements des deniers publics. Si mauvaise gestion il y a, on demande à l’autorité administrative de prendre des dispositions. Que peut faire l’autorité administrative en cas de mauvaise gestion ? Il pourra apprécier s’il faut rappeler à l’ordre, suspendre ou révoquer. S’il y a des faits de détournement, il y a deux volets : soit on consulte l’autorité administrative, soit la justice.

 Pour la REGIDESO, nous avions fait rapport au Gouvernement par son Excellence Madame la Ministre d’Etat, Ministre du Portefeuille.

HM: Pour découvrir le contenu de ce rapport, y a-t-il eu des faits de détournement ou pas ?

Je me suis déjà dessaisi de ce rapport en remettant cela au Gouvernement. Je peux vous garantir comme vous pouvez vous y attendre, s’il n’y a pas de faits de détournements, il n’y a pas non plus de bonne gestion. Je ne peux vous affirmer que la REGIDESO a été bien gérée.

HM:  N’êtes-vous pas mal à l’aise du fait que ce rapport semble toujours être dans les tiroirs de Madame la Ministre ?

Pourquoi dois-je être mal à l’aise ? Ce n’est pas un problème personnel. Moi j’ai fait mon travail et je le lui ai remis. Le Gouvernement sait pourquoi jusque-là il n’y a pas encore de sanctions ou à quel moment il va prendre des mesures. Je ne peux pas être mal à l’aise.

HM:  Ça ne vous fait rien lorsque l’IGF rend un travail de fond alors que derrière, une autorité le garde ?

Ça me fait une fierté que l’Inspection Générale des Finances ait contrôlé et encadré la REGIDESO. Etablir que la REGIDESO doit prendre une autre direction dans sa gestion et faire rapport au Gouvernement et demander au Gouvernement de prendre des mesures. Nous sommes fiers de ce que nous avions fait.

HM: A quoi ça sert de réaliser un travail d’un tel calibre si derrière des mesures ne sont pas prises ? Finalement on ne prendra plus l’IGF au sérieux ?

Je suis convaincu que les mesures vont arriver parce que nous en avions discuté.

HM: On a changé partout sauf à la REGIDESO ?

Les conclusions de la REGIDESO sont arrivées bien après. Je crois deux mois après toutes les autres entreprises.

HM: Et l’ARCA ?

 Là il faut reconnaitre qu’il n’y avait pas de faits graves de mégestion ni de détournement. Le Gouvernement a estimé face à la situation d’ARCA, d’adresser une lettre de blâme à la Direction de l’ARCA. C’est ce qui a été fait. Peut-être que les gens ne sont pas au courant.

Propos recueillis par
Thierry KAMBUNDI

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