Société

Essor des malewa à Kinshasa dans une ville en situation de marasme

Ici, pour 3.000 francs, on mange à sa faim. Tel est le vœu des Kinois au pouvoir d’achat érodé. A Kinshasa, capitale et siège des institutions de la République minée par la misère, des gargotes de rue bon marché, appelées «malewa», pullulent. Elles sont de plus en plus prisées malgré des conditions hygiéniques parfois qui laissent à désirer. Penchés sur des assiettes de fortune, des clients ingurgitent des chinchards en sauce. «Ça, c’est 2 000 francs [congolais, soit environ 1 dollar, ndlr]. Une tartine de foufou, c’est 500», soit 0,5 dollar, détaille un taxi-moto de 29 ans, en montrant deux boules de pâte de farine de manioc à côté.

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Dans un pays où le pourcentage des chômeurs est élevé et que la création de l’emploi est faible, l’entrepreneuriat tente de s’imposer. Entreprendre comment, dans quel domaine et pour quelle fin ? Sont là les questions primordiales à se poser pour des Kinois en mal d’espoirs et de repères.

Malewa est donc un mot lingala que les Kinois emploient pour désigner  les restaurants de fortune. Il s’agit de ces petits restaurants où l’on se fait servir un repas simple et peu coûteux avant de continuer son chemin. Pour créer un malewa, il suffit de trouver un espace libre dans la rue, d’y placer un brasero ou un barbecue, des marmites et de savoir cuisiner. Parfois certains malewa ont pour murs quatre rideaux en lambeaux ou même un parasol. Les clients n’en ont jamais honte de ces endroits malfamés : ils viennent y manger allègrement.

De manière générale, ce qui est consommé est préparé à l’air libre, avec le risque que les odeurs provenant de toute part atteigne la nourriture. Les malewa situés à quelques mètres des Cliniques universitaires et de sa morgue sont répugnants. Les aérosols à composition chimique variée ou un autre intrus indésirable, comme les mouches, vont souvent se poser sur la sauce.


Un autre problème majeur du constat, les «mamans malewa» ne disposent toujours pas suffisamment d’eau pour bien assurer la vaisselle avant de servir le deuxième client. Ce problème de mal propreté a certainement des conséquences sur la santé des clients, qui adorent ces repas malgré tout, à cause de leur faible bourse.

Dans les restaurants ordinaires, les prix sont facilement dix fois plus chers, entre 3 et 7 dollars. Pour 2.500 francs, on mange à sa faim. Sur les trottoirs, des clients défilent sous des parasols délavés. Cuillère en main, la tenancière jongle entre les marmites de poulet, de viande, de poisson de mer (mpiodi) ou fumé, de pondu (mélange de légumes et feuilles de manioc) et de riz, de haricot… remplit les assiettes et encaisse les billets dans le sac à main accroché à son épaule.

Mets que raffolent certains étudiants

À chaque pause de 12h, comme il est de coutume partout ailleurs, les étudiants des universités et instituts supérieurs cherchent où se garnir le ventre afin de tenir bon aux cours pendant les heures d’après-midi. La majorité afflue dans ces restaurants de fortune. Le plat le plus populaire dans ces «malewa» est constitué des pattes de céréale et du poisson chinchard, appelé «Thomson» à Kinshasa, comme accompagnement.

Hormis ce plat académique comme les étudiants aiment bien le dire sur la «Colline inspirée», on sert également le foufou (manioc ndlr), la Chikwangue, le riz, les bananes plantains, le pondu mélangé avec le haricot (appelé Nsaka madesu par les Kinois), la cuisse de poulet, l’omelette et tant d’autres mets comme le Mfumbwa (feuilles de Gnetum). Après le repas, les étudiants s’abreuvent souvent de l’eau en sachet, ou de jus en plastique.

Célébrés il y a quelques années par Werrason, l’un des chanteurs congolais les plus populaires, les malewa sont apparus à Kinshasa en début des années 90 au moment de l’effondrement de l’économie congolaise, dans les dernières années de la dictature de Mobutu. Les restaurants de fortune ont envahi les carrefours, marchés et autres places publiques. On trouve aussi ces restaurants devant les bâtiments publics, écoles et universités.

A tel point qu’ils échappent à tout recensement dans une mégapole de plus ou moins 10 millions d’habitants et où les services publics sont largement absents.

Plats avariés

Il y a des malewa installés à côté des fosses septiques voire des égouts. Leur installation en pleine rue, au milieu de la poussière et des gaz d’échappement, parfois à proximité des caniveaux, des eaux saumâtres, crasseuses, des fanges ou de tas d’ordures, est souvent source de maladies, notamment celles dites «des mains sales» (diarrhées, vers intestinaux, fièvre typhoïde, choléra…).

C’est un problème de santé publique permanent. Dans l’imaginaire du Kinois lambda, fermer les malewa est une option qui tient à l’impossible. De l’avis des experts en santé, il faut les améliorer. Il faut redynamiser les brigades d’hygiène pour contraindre, mais aussi sensibiliser. Il faut aider les mamans à améliorer la qualité des repas et à servir correctement, elles doivent connaître ces règles d’hygiène».

Mais pour l’heure, les autorités en restent aux déclarations d’intention. Sans nier l’existence de bouis-bouis insalubres, les tenancières de ces gargotes ne se sentent guère visées par les critiques : «Celles qui sont sales chez eux, leur travail laisse à désirer. Moi, je mange ce que je prépare, mon mari et mes enfants aussi», laisse-t-entendre. D’aucunes estiment que l’hygiène est avant tout un argument commercial.

 Raymond Befonda

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