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Mélissa AMISI SHARUFA :« Plus vous parlez du cancer autour de vous, mieux ce sera pour votre santé et celle de vos proches »

Mue par une volonté infaillible de sauver des vies face à toutes sortes de cancer, Mélissa Amisi Sharufa est une véritable « guerrière ». A la tête de la Fondation Bomoko, structure qui a un centre de santé spécialisé dans la prise en charge du cancer en plein centre de Kinshasa, elle ne cesse d’appeler la population à se faire dépister, d’en parler, de contribuer, d’assister les malades, voire de les amener pour un accompagnement de dignité. La lutte que mène cette jeune entrepreneure sociale, qui estime que le cancer n’est pas une maladie taboue ou spirituelle, et que celui-ci peut être évité ou traité, mérite un accompagnement. Entretien.

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HESHIMA Magazine : Mélissa Amisi Sharufa, c’est depuis 2017 que vous luttez contre le cancer et depuis cette année, vous êtes à la tête du Centre de santé Bomoko. Cinq ans après, êtes-vous satisfaite de l’évolution des activités ? 

Melissa AMISI SHARUFA : Le Centre de santé Bomoko existe effectivement depuis le mois de février 2022. Depuis que nous avons lancé nos activités, tout se passe pour le mieux. De plus en plus le centre se fait connaitre dans le coin et nous avons un très bon retour, que ce soit des malades ou des personnes qui les accompagnent (familles, amis,…). 

Votre centre lutte contre les cancers notamment du sein, du col de l’utérus, de la prostate… S’il faut faire une évaluation, combien de malades a-t-il soignés à ce jour ? 

Grâce à la campagne que nous avions lancée en mars dernier, considéré comme mois de la femme et pour ne parler que de ce cas, on a dépassé la barre des 500 femmes consultées gratuitement au centre. Très vaguement, je peux dire que nous avons dépassé la barre de 600 à 800 personnes consultées à ce jour.

En créant le centre, quels sont les objectifs que vous vous étiez fixés? 

Le premier objectif était de pouvoir avoir une infrastructure qui nous permettrait de recevoir les malades atteints du cancer pour pouvoir les accompagner dans le dépistage et dans le traitement de leur maladie. Le deuxième objectif est d’évoluer dans nos activités médicales, plus précisément dans la prévention et le traitement des malades dans le sens où nous nous focalisons à apporter des soins à moindre coût et un accueil chaleureux, tournés vers le résultat et sur la guérison des malades. 

Le 4 février de chaque année, le monde entier célèbre la Journée mondiale de la lutte contre le cancer. Travaillez-vous avec le ministère de la Santé en ce qui concerne la prise en charge du cancer ? 

La Fondation Bomoko est partenaire du Ministère de la Santé depuis 2019 et nous faisons partie du consortium et structures qui luttent contre le cancer, gérées par le Centre national de lutte contre le cancer (CNLC), récemment lancé en République démocratique du Congo. 

Cette année, nous nous sommes alignés sur la série d’événements qui étaient organisés par le CNLC et nous avons également fait des activités en parallèle, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur le terrain, également avec des points de relais dans les provinces. 

Travaillez-vous aussi en collaboration avec le ministère de la recherche scientifique et Innovation technologique ? 

C’est vrai que la lutte contre le cancer implique également la recherche ; nous dans notre première phase d’activités qui couvrait la période allant de 2017 à cette année 2022, nous n’avions pas prévu des contacts ou des activités spécifiques avec le Ministère de la Recherche scientifique. Peut-être en phase deux de nos activités, à partir de l’année prochaine, nous pourrons entamer les démarches y relatives.

 Aujourd’hui avec le succès que les médias sociaux ont, il faut avoir des moyens pour payer les médias et faire la sensibilisation dans les quartiers populaires de Kinshasa. Faites-vous parfois appel au gouvernement ? 

Nous n’hésitons pas de faire appel au gouvernement dans toutes nos activités qui impliquent le grand public et les médias. Nous avons un problème, un des défis majeurs de notre structure est justement cette grande cible. La cible est tellement large qu’avec nos maigres moyens nous n’arrivons pas à couvrir un très grand nombre. Donc, à travers des accompagnements comme celui d’HESHIMA Magazine, nous avons la possibilité de toucher beaucoup plus de personnes et nous comptons sur ce type de partenariats pour nous aider à atteindre la plus haute hiérarchie du pays ou un plus grand nombre de donateurs pour pouvoir accompagner cette noble cause. 

En RDC, la Première Dame Denise Nyakeru Tshisekedi et l’ex Première Dame Olive Lembe Kabila travaillent ou appuient souvent les initiatives comme les vôtres. Les avez-vous contactées ? 

Des contacts officieux oui, mais pas encore des contacts officiels parce que comme vous le savez, les structures des Premières Dames sont organisées et ont généralement déjà leurs combats. Aussi, il faut dire que la lutte contre le cancer ne s’inscrit pas forcement dans leurs lignes d’action directe. Elles peuvent néanmoins intervenir ponctuellement pour un ou deux cas.

 Nous réfléchissons en interne sur un moyen ou une meilleure approche pour pouvoir les intéresser directement à notre cause. Donc, par exemple, la Distinguée Première Dame Denise Nyakeru s’occupe principalement de l’éducation et de la lutte contre la drépanocytose, en plus de ses nombreuses et grandes activités. L’ancienne première dame avait un combat un peu plus large dans le domaine de la santé, mais cela ne touche pas principalement le cancer. Donc, nous travaillons en interne pour proposer une mesure commune pour affronter cette maladie. Je suis certaine que dans les mois à venir nous trouverons certainement un moyen de pouvoir les contacter, cette fois-ci de manière officielle.

 D’autres personnalités comme Moïse Katumbi, ce n’est pas une propagande, ont toujours appuyé des initiatives caritatives. Peut-être que vous ne savez pas comment les contacter ?

 De manière officielle nous n’avons pas encore entamé des démarches auprès des acteurs politiques, je vous l’ai dit, de manière officieuse oui. Mais, cela reste un peu timide. L’accompagnement ne se fait pas encore sentir comme tel parce que c’est un combat qui demande beaucoup de moyens, qui demande une plus grande implication. On ne sait pas s’engager dans le cancer à moitié. Soit on y va à 100 %, soit on n’y va pas et on travaille en interne pour trouver un moyen d’y aller de manière plus collégiale ; ce qui n’est pas encore le cas.

 Qu’est-ce qu’il faut pour que le dépistage et le traitement des cancers soient gratuits en RDC ? 

Il faut des subventions au niveau de l’Etat, il faut une plus grande implication au niveau des citoyens car on a très peu de personnes qui contribuent de manière directe et volontaire. Nous imputons cette faille à la culture congolaise qui ne favorise pas forcément le partage de manière spontanée et le manque de confiance criant qui caractérise notre société parfois. Également, nous avons besoin de créer un mécanisme plus efficace d’autonomisation dans les associations car cela permettrait, sur le moyen terme, de pouvoir offrir des dépistages gratuits. 

Nous l’avons fait pour le mois de mars, nous comptons le refaire en octobre, qu’est un mois dédié au cancer du sein et certainement dans les années à venir ce sera tout au long de l’année avec un certain nombre d’examens gratuits pour aider et soulager les familles et les malades.

Par rapport à la sensibilisation, comme le cancer est encore considéré dans la population congolaise comme un tabou, quand descendriez-vous dans des endroits bien spécifiés comme les lieux du maraichage, les marchés (Liberté, Matete, Gambela…) ? 

Depuis 2017, année où nous avons lancé notre Fondation, les deux premières années étaient focalisées sur les activités de terrain. Donc, nous allions vers les écoles, les églises, les universités ; nous sommes allés même deux fois à la prison de Makala et à partir de la troisième année, on a commencé à faire un peu plus du bruit dans les médias (les radios, les télés, la presse écrite et en ligne) pour pouvoir essayer d’atteindre au maximum les personnes qui sont susceptibles d’être touchées par le cancer. Là présentement, nous sommes en phase où nous étions préoccupés par le lancement du centre.

Nous comptons relancer les campagnes sur le terrain à partir du mois d’août de cette année pour pouvoir encore marteler sur ce message-là. Nous irons encore dans des marchés, auprès des mamans qui vendent, dans les églises, dans les écoles et les universités pour pouvoir encore parler du cancer, briser le tabou, inciter les gens à venir au centre se faire dépister et sauver plus de vies. 

Quel message lancez-vous aux potentiels partenaires ? 

Aux partenaires et à toutes les personnes qui nous lirons à travers le magazine HESHIMA, nous lançons un appel de solidarité, nous avons besoin de vos dons, de vos contributions, que ce soit une contribution financière ou matérielle, parce que vous savez qu’un centre ne survit pas que par l’argent, mais également par tout ce qui peut permettre à nos médecins de bien exercer leur métier ; cela peut être des seringues, des machines pour des examens,… bref nous avons besoin de toutes formes de contributions pour pouvoir mener à bien notre combat. Le cancer touche beaucoup de personnes, je suis certaine que toutes les personnes qui vont nous lire auront un point d’attache avec ce que nous poursuivons comme combat et nous croyons qu’ils ne vont pas rester insensibles. Que ce soit avec 500 FC ou une seringue, bien plus encore, ne fut-ce que parler du cancer autour de soi, c’est déjà une forme de contribution et elle est la bienvenue.

 Quels conseils pouvez-vous donner à ceux qui n’ont pas l’habitude de faire un checkup annuel ?

 Le check-up annuel est une question d’abord de choix et de décision personnels. Pour avoir perdu des proches parceque les examens étaient faits en retard, je suggère à ces personnes d’aller voir le médecin ne-fut ce qu’une fois l’an et même lorsque tout va bien. Prendre cette décision personnelle, c’est bien pour sa vie et pour les proches qui souffrent généralement lorsque la personne est malade. Le cancer est une maladie que l’on peut éviter aujourd’hui grâce à la bonne alimentation, au bon rythme de vie, à la pratique du sport…et il faut maximiser la diffusion de l’information parce que la garder uniquement pour vous ne vous encouragera pas d’aller voir un médecin, par exemple. Plus vous parlez du cancer autour de vous, mieux ce sera pour votre santé et celle de vos proches.

 Propos recueillis par Hubert MWIPATAYI

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