Interview

Florimond MUTEBA: On sent chez Alingete un courage, mais il est combattu

Quarante ans de lutte contre la corruption, le Professeur Florimond Muteba, Président du Conseil d’administration de l’Observatoire de la dépense publique (ODEP), lève le voile sur la manière dont les institutions habilitées à faire le contrôle se débrouillent. Il relève ici les éléments qui font que la lutte contre la corruption en RD Congo se fasse à cloche-pied. Entretien.

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HESHIMA Magazine : Professeur Florimond Muteba, vous êtes connu comme l’un des chevaliers de la lutte contre la corruption. Peut-on savoir les missions dévolues à l’ODEP ? 

Florimond Muteba : L’Observatoire de la dépense publique, en fait, notre principale mission est le suivi, le contrôle des finances publiques. Nous faisons le contrôle citoyen des finances publiques, la manière dont les recettes sont mobilisées, comment les dépenses sont faites, d’une manière rationnelle ou non, le suivi du cycle budgétaire, la lutte contre la corruption. Nous sommes principalement dans les finances publiques. En résumé, le contrôle citoyen des finances publiques en RDC. 

HM: Environ vingt ans après la création de l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP), quel bilan peut-on dresser de votre action ?

Bon, vous savez l’ODEP a contribué à beaucoup d’avancées. Je prends d’abord la phase de la préparation de la loi des finances. L’ODEP a contribué beaucoup à améliorer les séminaires d’orientation budgétaire, mais aussi à améliorer les lois de finances parce qu’une fois qu’elles sont déposées au Parlement, il réunit une série d’organisations, qui sont aussi dédiées au suivi des finances publiques : nous faisons des observations pertinentes, nous allons discuter avec les ECOFIN à l’Assemblée nationale et au Sénat, pour améliorer le budget.

En matière d’éducation par exemple, nous avons beaucoup plaidé. Aujourd’hui nous atteignons jusqu’à 18 ou 20 % du budget, alors qu’à l’époque ce n’était pas ça. Il y a des domaines où nous n’avons pas réussi, comme l’agriculture. 

HM: En ce qui concerne l’éducation, il y a la volonté du Président de la République de vouloir faire la gratuité de l’enseignement. Ç’a contribué à améliorer le budget de l’éducation. Autre réussite, vous vous rappelez du procès des 100 jours. Ce procès est venu comment ?

 Au départ, il y a eu le rapport de l’ODEP qui dénonçait la mauvaise gestion de ce programme. La presse s’en est emparée à tel point que le pouvoir politique a décidé de laisser faire la justice. Même si par après la plupart de criminels ont été libérés, mais ç’a été un coup très très fort de la société civile dans la lutte contre la corruption. Il y a aussi d’autres réussites que nous avons eues. Prenons le cas de la Cour des comptes. Ça fait plus de dix ans que nous nous battons pour que la Cour des comptes soit restaurée. Pourquoi ? Parce que le contrôle, c’est très important. Dans un Etat où la fonction contrôle n’est pas vraiment assurée, les choses vont dans tous les sens.

Aujourd’hui, nous n’avons que l’Inspection Générale des Finances (IGF) et ensuite ce n’est que depuis deux ans que le contrôle de l’IGF a commencé à être opérationnel. Mais la Cour des comptes, 60 magistrats qui n’avaient pas prêté serment, 10 ans après que la loi organique a été votée et promulguée par Joseph Kabila en novembre 2018. C’est quand même une réussite du travail auquel nous avons contribué avec le Comité d’orientation de la réforme des finances publiques et d’autres parties prenantes. Nous avons contribué surtout à inséminer dans la population la culture du contrôle. Vous savez, aujourd’hui la question de la lutte pour la réduction du train de vie des institutions, ce n’est plus l’apanage de l’ODEP seul. C’est presque toute la population qui le réclame. Donc, cela veut dire pour nous que ce n’est pas seulement des cas emblématiques comme ce que je viens de citer, mais c’est surtout la culture que nous avons réussi à insuffler au sein de la population. Parce que c’est elle qui est concernée par les finances publiques. Du coup, à partir du moment où la population s’est appropriée notre combat, il est devenu un combat populaire. Donc, moi je peux mourir aujourd’hui, ce n’est pas un problème, parce que la population a récupéré ce que j’ai fait. Elle peut continuer, il n’y a pas un problème. C’est cela la plus grande réussite pour nous.

HM: L’ODEP lance souvent des alertes, publie des rapports. Etes-vous satisfait de la manière dont les enquêtes sont faites et même de l’issue des dossiers ? Non. On n’est pas satisfait. Je vous donne un exemple. Concernant la Société TRANSCO, nous avons lancé des alertes, il y a un ou deux ans. Comment ces informations nous étaient parvenues ? 

Ce sont les syndicalistes de la société qui, très mal traités, d’autres au chômage, ont continué le combat, affirmant que la société est mal gérée.

Quand ils sont venus à l’ODEP, nous avons dit non, ce n’est pas possible, les conditions dans lesquelles la société a été créée étaient compliquées, tout s’est passé de gré à gré, à l’époque de Matata Ponyo. Même l’assistance des sociétés françaises qui étaient venues, tout était fait de gré à gré. Alors, les syndicalistes nous ont amené plus de 100 pièces à conviction, pièces qui pouvaient démontrer que vraiment il y a eu mégestion. Nous sommes allés avec nos avocats au Tribunal de Matete, nous avons déposé cela. L’avocat général qui s’occupait du dossier a fait du bon travail. Et au moment donné, il a même lancé un mandat d’arrêt provisoire contre le DAF (Directeur administratif et financier, Ndlr). Et ensuite un mandat d’amener au DG a.i.

Mais, quelle n’était pas notre surprise de voir que quand les nouveaux bus sont arrivés, on est allé donner les clés de ces bus aux mêmes personnes, qui ont été libérées entretemps. Comment ? On n’a jamais compris. Par des interventions venues d’en haut. Je ne vais pas accuser ici qui que ce soit. Mais les interventions sont venues d’en haut pour qu’on libère ces malfaiteurs. Aujourd’hui où nous parlons, c’est vrai que on a réussi à les écarter de la Direction, mais qu’est-ce qui s’est passé ? Vous voyez, donc on ne peut pas dire qu’on est satisfait. Parce que des choses aussi flagrantes puissent se terminer en queue de poisson. Regardez par exemple la question des 100 jours. Est-ce que nous pouvons être satisfaits de voir que des criminels, congolais comme nous, soient aujourd’hui en liberté ? Ils circulent et d’autres ont même repris le chemin de la politique. Satisfait du côté de l’Etat, non, du côté des tribunaux, non. Parce que même s’il y a quelques symboles, comme le procès des 100 jours, vous voyez comment il s’est terminé ? En queue de poisson ! Donc, il y a un problème de véritable volonté de ceux qui disent combattre la corruption. Est-ce que la volonté y est vraiment ? 

HM: On a comme l’impression que la corruption a la peau dure en RDC. A quel niveau doit-on régler la lutte contre la corruption ?

 Vous savez, en 2007, Transparency International avec nous, moi aussi j’étais parmi les experts qui avaient travaillé sur ces analyses-là, avions produit un document sur le système national d’intégrité en RDC. C’est la meilleure analyse qu’on ait faite sur la question de la corruption dans notre pays. Dans ce document, nous sommes arrivés à une conclusion : pour que la lutte contre la corruption marche, le chef de l’Etat doit vraiment s’impliquer avec une volonté ferme comme on l’a vu dans beaucoup de pays. Regardez, Jacob Zuma a fini par la prison. Un ancien chef d’Etat, pour des faits qui ne dataient même pas de sa gouvernance à lui, qui dataient de 10 ou 11 ans avant, époque où il était impliqué dans une histoire de corruption. C’est pour vous dire que dans ce pays-là on sent la volonté. Lorsque la volonté vient d’en haut, le haut donne l’exemple et quand il le donne, il est évident qu’en bas tout le monde ait peur. Le grand problème que nous avons ce qu’il n’y a pas de volonté politique. C’était pire avec Kabila fils, c’était presque le même type de gouvernance. C’était quand même bien avec Laurent-Désiré Kabila. En dehors de la courte période de Laurent Kabila, cette volonté manque, elle manque.

HM:  Qu’est-ce que les états généraux de la lutte contre la corruption ont-ils donné ? 

Bon, je ne parle pas de ce qu’on a tenté de faire récemment. Mais à l’époque, je crois que c’était en 2009, il y a eu des états généraux bien organisés. Les conclusions étaient mises dans les tiroirs. On a voulu refaire encore des choses avec moins d’intégration, il n’y a pas longtemps, l’APLC a tenté de faire mais ce n’est pas ce qu’on avait fait à l’époque. Donc, c’est encore une fois un problème de volonté politique. Quand il y a volonté, on peut combattre la corruption, mais le niveau qu’elle a atteint chez nous, c’est un fléau qui a des conséquences. La corruption a un coup politique, un coup économique… le cas par exemple de Monsieur Kamerhe, c’était vraiment un bon exemple. Il a fait deux ans et puis… Si ce monsieur avait subi sa peine jusqu’au bout, cela aurait été un exemple formidable. Je n’ai rien contre lui, d’ailleurs je ne le connais pas. L’impunité règne. On fait semblant, ensuite les gens ne sont pas punis. Et puis il y a certaines déclarations… Lorsque notre président va en Europe, il passe sur une chaîne de télévision comme TV5 Monde où il dit que la retro-commission au Congo est légale… C’était une erreur de langage, ne jamais dire une chose pareille. Mais ça c’est encourager la retro-commission. Le manque de volonté politique est mortel pour la lutte contre la corruption.

HM: Qu’est-ce que les états généraux de la lutte contre la corruption ont-ils donné ? 

Bon, je ne parle pas de ce qu’on a tenté de faire récemment. Mais à l’époque, je crois que c’était en 2009, il y a eu des états généraux bien organisés. Les conclusions étaient mises dans les tiroirs. On a voulu refaire encore des choses avec moins d’intégration, il n’y a pas longtemps, l’APLC a tenté de faire mais ce n’est pas ce qu’on avait fait à l’époque. Donc, c’est encore une fois un problème de volonté politique. Quand il y a volonté, on peut combattre la corruption, mais le niveau qu’elle a atteint chez nous, c’est un fléau qui a des conséquences. La corruption a un coup politique, un coup économique… le cas par exemple de Monsieur Kamerhe, c’était vraiment un bon exemple. Il a fait deux ans et puis… Si ce monsieur avait subi sa peine jusqu’au bout, cela aurait été un exemple formidable. Je n’ai rien contre lui, d’ailleurs je ne le connais pas. L’impunité règne. On fait semblant, ensuite les gens ne sont pas punis. Et puis il y a certaines déclarations… Lorsque notre président va en Europe, il passe sur une chaîne de télévision comme TV5 Monde où il dit que la retro-commission au Congo est légale… C’était une erreur de langage, ne jamais dire une chose pareille. Mais ça c’est encourager la retro-commission. Le manque de volonté politique est mortel pour la lutte contre la corruption.

HM: Comment expliquer qu’avec le travail qu’abattent la justice congolaise, l’IGF, la Cour des comptes, le parlement, que le niveau de corruption soit toujours ascendant ?

 D’abord le parlement. Le contrôle parlementaire aujourd’hui est impossible. Pourquoi ? Vous savez vous-même dans quelles conditions le parlement était mis en place. Le rôle qu’a joué la corruption dans sa mise en place. Pensez-vous qu’un ministre qui est issu d’une majorité qui a été créée de cette façon-là, ce ministre sera un jour contrôlé, sanctionné par une motion de censure du parlement ? Jamais ! Le contrôle parlementaire est impossible parce que les gens d’un même camp vont se serrer les coudes. Le ministre Kibasa a échappé, sans problème. Pourquoi ? Même majorité ! La corruption rend le parlement inopérant. Du côté par exemple de l’autre contrôle, l’IGF fait un travail, pour l’instant presque seule. Bon, on peut encourager le travail qu’elle fait.

HM: L’IGF fête ses 35 ans d’existence ce 15 septembre. Que pensez-vous de son travail, ses points faibles, ses points forts ?

Le principal point faible de l’IGF, c’est un contrôle administratif. Vous voyez ? Ce contrôle administratif c’est le   contrôle de l’administration sur elle-même. L’IGF dépend du Président de la République, cela veut dire qu’en ce moment-là elle est limitée, il y a des choses qu’elle ne peut pas faire, qu’elle peut faire, mais finalement qui ne peuvent pas aboutir.

Parce qu’elle touche de loin ou de près proche de son patron, il peut être sanctionné injustement, il peut être écarté injustement, etc. Donc, le contrôle de l’IGF est limité par sa nature. Ce qu’il tente de faire actuellement, les patrouilles financières, c’est un pas en avant. Vous pouvez considérer que c’est un pas positif en avant, même s’ils sont un peu   coincés par leur nature, leur tutelle. Mais, ils font quand même un travail, ils sensibilisent sur la lutte contre le détournement. On sent chez Monsieur Alingete un courage, mais il est aussi combattu par ceux qui ne veulent pas que la gabegie financière s’arrête, le détournement s’arrête. Mais ça c’est de bonne guerre ! Aujourd’hui, la société civile qui a signé l’accord de partenariat avec l’IGF, essaie de l’accompagner, de le soutenir dans cette lutte, mais la résistance dans la culture de Congolais, surtout dans la culture des dirigeants congolais, la résistance est là. Et donc, cela lui crée aussi beaucoup d’ennuis.

Quant à la Cour des comptes, elle vient à peine d’être réhabilitée. Mais, regardez, combien de magistrats, ils sont soixante ! Vous voyez la grandeur du pays ? Comment ils vont travailler, ils ont très peu de moyens pour l’instant. Déjà soixante c’est très peu de moyens humains, mais les moyens matériels et financiers sont pour l’instant minimes. Vous voyez l’Afrique du Sud qui est un pays beaucoup plus petit que le nôtre, il y a deux mille magistrats à la Cour des comptes. La faiblesse des contrôles, ce n’est jamais bon, ce qui fait que la corruption continue.

Le contrôle parlementaire, il y a zéro, le contrôle de la Cour des comptes, il est à un niveau minimal, l’IGF c’est un contrôle administratif… Oui, il effraie quand même, mais c’est un contrôle avec beaucoup de limites. La société civile fait le contrôle, comme l’ODEP, mais nous n’avons que notre courage, c’est tout, mais les moyens matériels, financiers, on n’en a pas. On travaille avec notre amour pour le Congo, avec le risque que nous avons face aux prédateurs. On a des ennemis un peu partout, mais qu’est-ce qu’on fait, on prie Dieu ! Seigneur, nous travaillons pour la bonne cause, protégez-nous (rire).

Interview réalisée par Hubert Mwipatayi

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