Interview

Al Kitenge veut voir mille Alingete dans tous les secteurs

Dans une interview exclusive accordée à Heshima Magazine, l’analyste économique et stratège, AL Kitenge a jeté des fleurs au combat de l’Inspection générale des finances (IGF). Face à la rigueur dé- montrée par le patron de ce service d’audit, cet anayste pense qu’il faut trouver une formule qui puisse multiplier Jules Alingete par 1000 dans tous les secteurs de la vie nationale en RDC.

Published

on

Heshima Magazine : Le gouvernement central a consenti des efforts louables en déposant au Parlement un projet de loi des finances de plus de 14 milliards de dollars. Quelles sont vos impressions au sujet de la lutte contre la corrup tion ?

AL Kitenge : Je suis très content que vous prononciez 14 et vous insistiez. Quatorze milliards de dollars, c’est beaucoup parce que nous partons de 4 milliards de dollars. Mais, c’est encore très peu pour ce pays. Nous sommes un pays de près de 100 millions de personnes sur 2.345 000 Km2. Notre masse critique moyenne pour qu’on soit en mesure de prendre en charge des choses sérieuses de l’Etat ou offrir un service public universel et engager le développement, c’est aux alentours de 40. Donc, je dis tous les temps aux hommes politiques et aux leaders publics, 4 sur 40 milliards de dollars pour que nous ayons une masse critique nécessaire pour avoir l’action que les Congolais peuvent percevoir, c’est pour ça que les gens vous disent, voilà, on a une croissance de budget et on ne voit pas l’impact.

Laissez-moi vous dire une chose. C’est une grande, grande démonstration de forces. Etre passé en une année de 4 à 12 milliards de dollars à la fin de cette année et décider de passer à 14,5 milliards, c’est une démonstration de performance et de discipline. Et, ça n’a été possible que grâce au simple fait qu’on a décidé de manière collective en commençant par le chef de l’Etat en utilisant l’IGF et, aujourd’hui, les autres instruments, pour faire respecter les biens de l’Etat.

Vous vous êtes rendu compte, sans une économie  supplémentaire, sans une assiette supplémentaire, nous avons exactement un triplement du budget de l’Etat. Ça sous-entend qu’en fait, si on informatise encore le système public, nous n’allons pas passer à 14, nous allons passer à 20, 25, peut-être rapidement vers 30. Après, il faudra faire la véritable inclusion financière et économique pour être en mesure de stimuler le travail.

Ne constatez-vous pas qu’il y ait un risque de retomber dans les budgets de 4 ou 5 milliards de dollars ?

Il y a un risque si nous reproduisons les causes qui ont induit l’amélioration de l’économie dans le passé, cela veut-dire, la prédation, cela veut dire le détournement, cela veut dire le conflit d’intérêt permanent des hommes politiques. Très malheureusement, on pouvait aller à la catastrophe. Mais si le peuple congolais continue à se montrer éveillé et à participer à la vigilance, à la surveillance de la cité, vous aller vous rendre compte que la conscience collective va se réveiller et l’intelligence collective va être mise à profit pour être en mesure de créer une performance collective. Et, c’est seulement dans la performance collective que les gens vont se rendre compte que ce pays peut avancer.

A ceux qui disent qu’on ne voit pas l’impact de la croissance du budget, je leur dit, mais, écoutez, les seuls qui verront l’importance et l’impact de la croissance sont ceux qui travaillent. Dans le monde entier, il n’y a que le travail qui vous sort de la pauvreté. Il n’y a que le travail qui vous fait capter les opportunités. Il faut travailler, il faut travailler et il faut travailler formellement. J’insiste, formellement parce que simplement c’est la seule façon de créer les systèmes conjoints. Une des choses importantes dans la vie d’une nation, c’est ce qu’on appelle la protection sociale. Si la protection sociale n’est pas organisée, vous restez un pays fragile. Regardez ce qui s’est passé à l’arrivée de Covid-19 ; les débrouillards de la ville de Kinshasa, tous les jours, se sont retrouvés complètement perdus parce qu’il n’y a pratique- ment rien d’ailleurs pour les soutenir.

Pour être en mesure d’organiser ce qu’on appelle les éléments de la résilience économique, il faut en outre être en mesure de structurer la caisse de secours. Et la caisse de secours par excellence c’est ce qu’on appelle la protection sociale.

En tant qu’analyste économique, quelle lecture faites-vous de la situation de l’économie de la RDC ? Et quelle est votre explication sur le fait que le budget qui est revu à la hausse n’impacte pas la vie des Congolais ?

Je vais revenir sur deux choses. La première c’est que la nature de notre économie est une économie extravertie. Ça veut dire que nous sommes extrêmement dépendants des importations. Je vais le dire de façon très vulgaire. Si jamais du jour au lendemain on ferme un jour les frontières, parmi les choses qui vont nous manquer le plus rapidement possible, c’est du papier hygiénique. Figurez-vous. Les autres choses qui vont nous manquer effectivement c’est la nourriture parce que nous importons la grande partie de la nourriture consommée essentiellement dans les milliers urbains.

La réalité de notre pays, c’est que nous sommes un pays extraverti qui exporte, par contre les produits miniers et les produits de ressources naturelles parce que vous savez très bien, 90 pourcent de nos devises nous viennent du secteur minier. Nous prenons les devises du secteur minier, nous les envoyons vers les pays étrangers pour acheter de la nourriture qui finit dans les fosses septiques. C’est un peu comme si on mettait un tuyau qui siphonnait nos produits miniers qui les envoyait justement dans les fosses septiques.

Je donne cette image juste pour que vous compreniez un tout petit peu, je peux dire, la faiblesse notoire à laquelle notre modèle économique est organisé et il faut changer ça. Parce que si on change ça, au lieu de financer le travail dans les pays qui nous exportent de la nourriture, on va travailler ici et les gens vont capter l’argent ici, ils vont se développer. C’est comme ça que les gens vont finalement sentir l’impact réel de la crois- sance de notre budget.

Maintenant, je vais revenir sur pourquoi on augmente le budget et comment ça se fait et que nous n’avons pas ressenti et généralisé au niveau de la population. Quand l’Etat congolais prend l’argent, il a deux manières de le renvoyer dans la communauté.

La première manière, c’est de mettre en place ce qu’on appelle les infrastructures structurantes de compétitivité, les routes, les chemins de fer, pour permettre que ceux qui y travaillent fassent passer les produits de leur travail sur des infrastructures qui coûtent moins chères. Et s’ils font passer les fruits de leur travail sur les infrastructures qui coûtent moins chères, ils arrivent sur le marché avec les prix compétitifs.

Comme ça, même ceux qui gagnent moins peuvent avoir accès à ces produits. C’est comme ça qu’on ressent ça. Et la deuxième ma nière, c’est ce qu’on appelle le service public universel. Aujourd’hui, le chef de l’Etat en a choisi deux : l’éducation et la santé. La couverture san té universelle aujourd’hui c’est d’être en mesure de donner l’opportunité à n’importe quelle personne qui vit sur le territoire congolais de se faire soigner, à n’importe quelle personne d’envoyer son enfant au moins à l’école primaire élémentaire.

Mais, je suis en train de vous dire que les économistes moyens appellent ça le social. Ça n’a absolument rien de social. C’est des investissements. Parce que les hommes en bonne santé et intelligents sont plus productifs que des gens en mauvaise santé et qui ne sont pas instruits. Eh donc, il y a un accord, un contrat social que le chef de l’Etat est en train de proposer aux Congolais. Mais les gens ne comprennent pas. C’est pour ça qu’ils le critiquent.

Je suis juste en train de vous dire qu’il y a des choses qui se construisent mais ça se construit dans le temps. Trois choses : la première est que 14 milliards de dollars c’est encore très peu pour qu’on ait un ressenti brusque. Une fois atteindre 30, 40 milliards de dollars pour qu’on commence à avoir vraiment un effet réel que l’on peut voir. Deuxième, c’est qu’il n’y aura pas distribution d’argent aux Congolais parce qu’on a fait une croissance budgétaire. Parce que si vous prenez, même la croissance budgétaire en question et vous divisez par le nombre de personnes, la quantité d’argent que chaque individu aura ne représentera absolument rien. Troisième chose : compétitive. Quand on a une croissance du budget, l’Etat détermine une grande enveloppe capable d’investir dans les infrastructures qui peuvent améliorer la compétitivité nationale. C’est comme ça qu’avec le temps, les résultats s’accumulant, nous allons arriver à de véritables résultats.

Le problème chez nous, c’est que les gens sont impatients, en même temps, ils ne sont pas prêts à travailler. Il faut travailler dans le formel.

Qu’est-ce qui manque au gouvernement de pouvoir disposer d’un programme qui impacte considérablement la vie de Congolais ?

Je pense qu’il y a une grosse conversation que l’on doit avoir d’abord pour être en mesure de déterminer la perception du Congolais. Il y a des Congolais qui pensent qu’ils peuvent rester chez eux et leur vie s’améliore, et des Congolais qui pensent qu’ils peuvent substituer la paresse à la prière comme disait Mwakasa.

Je pense simplement qu’il faut que nous arrivions à cultiver le sens du travail. Parmi les pays les plus performants du monde sont les pays scandinaves. Un de ces pays s’appelle le Danemark. C’est le pays du plein emploi. Il y a plus d’emplois qu’il n’y ait d’employés et de demandeurs d’emploi. Et donc, c’est surtout ça qu’on doit être en mesure de mettre dans la tête de tout le monde qu’il faut construire ce qui nous appartient à nous tous.

Ce qui nous appartient à nous tous c’est les routes, les rails, les aéroports, les infrastructures de mobilité de toute espèce, les énergies et tout ce qui peut permettre que parfois il saisisse les opportunités pour qu’il soit en mesure de travailler davantage et qu’il gagne de l’argent et qu’il améliore sa vie. Il n’y a que le travail.

A mon avis, ce que l’Etat est en train de faire maintenant c’est de mettre en place des mécanismes pour qu’à très court terme, nous ayons une génération d’emploi qui arrive et qui soit captée par les gens pour qu’on soit en mesure de redistribuer la richesse que l’on est en train de créer. Il n’y a que par le travail qu’on peut redistribuer la richesse de la nation.

Que doit-on faire pour consolider le contrôle des finances publiques ?

Trois choses. La première des choses est qu’il faut informatiser tout de suite. Je ne sais pas pourquoi on traine encore. On doit informatiser. Le jour où on va informatiser, les fuites qu’on a dans tous les sens, y compris dans les administrations publiques, vont s’arrêter. Il faut donc moderniser l’appareil de l’Etat. Deuxième chose, c’est ce qu’on appelle le budget programme. Quand on est décidé qu’on va allouer autant de pourcent de budget à l’agriculture, il faudrait que l’agriculture reçoive cet argent. Entre le narratif politique et l’exécution, on doit avoir une discipline de fer. Donc on doit avoir une discipline budgétaire. Et pour ça, il faudrait que le ministère du Budget accepte de se délester d’un pouvoir qui n’est pas le sien. Le pouvoir vient du parlement qui dit déterminer dans quelle direction on désire aller en termes d’investissement, en termes de consommation, en termes d’action publique.

Il est honteux aujourd’hui d’avoir une situation où entre ce que l’on décide que l’on va faire dans le cadre budgétaire et ce que l’on fait réellement sur les 20, 30 dernières années, il y a toujours des dépassements d’un côté et une minoration horrible sur les choses fondamentales comme la santé, comme l’agriculture et la production réelle.

Regardez ce qui se passe dans le budget. Le secteur qui nous apporte 90 pourcent de nos devises c’est le secteur minier. Regardez combien d’argent on investit dans le secteur de la gestion minière. Il n’y a pas d’argent pour que le ministère des Mines soit en mesure de travailler pour être en mesure de rapporter encore davantage. La troisième des choses, elle reste tout aussi importante, c’est investir dans l’homme. Nous sommes un pays où l’espérance de vie est à 55 ans. Il n’est pas possible d’avoir l’espérance de vie à 55 ans et une retraite à 65 ans, ça ne marche pas. C’est comme si vous décidez d’investir sur des gens qui vont mourir très vite. Il faut donc travailler sur le système de santé et, c’est comme ça qu’il faut dans la couverture santé universelle pour être en mesure de remonter très rapidement l’espérance de vie au-delà de 75 ans. Ceci permettra d’investir en des gens, eux qui vont travailler, qui vont rapporter à l’Etat et qu’ils vivent heureux et en bonne santé.

Deuxième chose, il faut travailler sur le système éducatif. Il est honteux aujourd’hui qu’on ajoute encore des points aux gens pour que certaines provinces ne paraissent pas faibles en termes d’examen d’Etat. C’est une bêtise collective. Le fait qu’il faut être en mesure d’aller au fond de la question pour résoudre les vrais problèmes. Le vrai problème, c’est la qualité de l’enseignement. Il faut investir dans l’enseignement. Et il faut être en mesure de trouver le modèle économique nécessaire pour que nous ayons la capacité de changer le modèle économique des universités. Aujourd’hui, on a des professeurs d’université qui sont des fonctionnaires de l’Etat. La conséquence c’est qu’ils ne donnent plus cours ou ils ne se remettent même plus à niveau. Ils vont dans des universités privées pour se faire payer. Ils laissent leurs chefs de travaux et leurs assistants dans les universités publiques. En fait, on est en train de tuer l’université publique.

Dans tous les pays du monde, l’université est une entité au- tonome. Les professeurs sont employés par l’université, ils ne sont pas fonctionnaires de l’Etat. Ils sont employés de l’université, le recteur a le pouvoir entre les mains. C’est lui qui sélectionne ou vire des professeurs qui ne sont pas à la hauteur.

Çà, ça nous permettra d’avoir dans les 2, 3 années qui viennent une plus grande compétitivité. Laissez-moi vous dire une chose. Aux Etats- Unis, pour former un médecin, il y a 4 ans ou pour devenir un expert, 4 ans. Nous prenons 7 ans pour former un médecin généraliste, c’est une perte de temps énorme. Parce que nos médecins, on leur bourre la tête avec des choses dont ils n’auraient jamais besoin. De la même façon on forme des ingénieurs en 6 ans. Qu’est-ce que cette affaire ? On devrait former des ingénieurs en 3, 4 ans sans aucun problème. Et les pays qui nous donnent de leçons, aujourd’hui, ont des ingénieurs en 3 ou 4 ans.

Il faudrait donc nous remettre en question de manière fondamentale pour qu’on soit en mesure d’assurer. Moi je ne parle pas de climat des affaires pour des affaires qui sont complètement obsolètes. Je parle de la compétitivité de la nation. Et la compétitivité de la nation, c’est ces infrastructures et ce capital humain.

En quoi diffère la lutte contre la corruption menée par l’APLC et l’assainissement des finances publiques effectué par l’IGF ?

Je vais vous expliquer et il faudrait bien qu’on comprenne ça. Moi, je ne suis pas porteur de la lutte contre la corruption. J’ai déjà un livre qui s’appelle « Sine qua non » afin de déraciner la corruption. Les gens qui nous parlent de la lutte contre la corruption, pensent que nous, les Africains, essentiellement les Congolais, nous devront cohabiter avec la corruption un peu moins et un peu plus. C’est comme ça qu’ils se battent tous les temps pour nous faire comprendre que nous sommes le problème. Ils ne font que l’indice et le classement de pays corrompu. Maintenant la question est, qui sont les pays les plus corrupteurs. Vous allez vous rendre compte que les pays corrupteurs sont les pays occidentaux. La guerre qui est à l’Est est liée à un pillage systématique, à la corruption et à la fraude alimentée par des multinationales et toutes sont malheureusement occidentales. En d’autres termes, mon point de vue c’est que la moralisation de l’action publique fait partie de ce qu’on appelle les politiques publiques et l’APLC, c’est une agence pour la lutte contre la corruption. Elle est dans la conception transversale de mécanisme pour être en mesure de donner à l’Etat une stratégie de base. L’IGF, c’est le combattant, c’est le guerrier, c’est l’armée qui va au front pour s’assurer que tout ce qui est dit est fait. Avec ses différentes méthodes, l’IGF est en train de vous démontrer que l’Etat a pu retrouver sa souveraineté au niveau des biens publics. Les hommes peuvent faire attention à ce qui ne leur appartient pas et à ce qui ap- partient plutôt à tout le monde.

Aujourd’hui, on commence à retrouver un Etat qui multiplie son budget par 2 et demi ou 3 et on commence à voir des gestionnaires qui ont peur de biens publics. Aujourd’hui, l’IGF est le gendarme de l’Etat. Et, ce qui n’est pas le travail de l’APLC au niveau de la conception transversale qui peut être mieux de coordonner l’action publique de l’Etat en matière de lutte contre la corruption.

Aujourd’hui, tout le monde parle en bien de l’IGF. Quel regard portez-vous sur le travail qu’abat ce service qui vient de totaliser ses 35 ans d’existence ?

Il n’y a pas que tout le monde, je lisais la presse ce matin. Di- sons, le fait que l’IGF, par son Inspecteur général, a été primée aux Etats Unis, ça veut dire que même les Américains sont impressionnés par la qualité du travail qui est en train d’être fait dans la moralisation de l’Etat. C’est vrai que les fleurs sont jetées à l’IGF, plus particulièrement à son inspecteur général, Jules Alingete et je pense qu’ils font du bon travail.

J’ai eu l’opportunité personnelle de lui parler. Je lui ai dit qu’il faut qu’il nous trouve une formule qui puisse multiplier Jules par 1000. Il faudrait qu’on ait mille Alingete dans tous les secteurs et à plusieurs étapes. Ça nous permettra d’avoir des gens engagés envers leur République au risque de leur vie d’ailleurs pour être en mesure de défendre la nation. Les Congolais, de fois, ils pensent que ce qui appartient à nous tous, c’est une affaire des autres. Il faut que les citoyens soient disponibles et engagés ou qu’ils soient dans leurs responsabilités. Je pense, là-des- sus, que l’exemple qu’il nous donne de bravoure et de mobilisation de l’équipe d’inclusion est quelque chose que nous devrons être en mesure de suivre et être en mesure de reproduire des Jules Alingete à tous les échelons. Il est important qu’au niveau des communes, les citoyens soient en mesure de défendre ce qui appartient à nous tous, au niveau des villes, les gens soient en mesure de se poser des questions.

Il faudra que l’attitude congolaise s’Alingetise, il faudrait que nous ayons la capacité de dire je défendrais la nation. Je pense simplement que nous sommes-là dans un réveil et son importance. Je vous invite à lire mon livre et vous verrez des parallélismes entre la démarche de Jules Alingete et ce que j’ai écrit dans le livre parce que j’ai dit de manière assez claire que le plus grand défenseur de la nation c’est celui qui paie de la manière dont il est géré aujourd’hui.

Et donc, ce ne sont pas ceux qui bénéficient de la corruption qu’ils devraient être les meilleurs de la corruption. Ce sont ceux qui sont victimes de la corruption qui doivent être en mesure de défendre la nation.

L’IGF et les autres services dressent souvent des rapports. Pensez-vous qu’au regard de ses attributions, la justice congolaise mène des enquêtes de même nature pour les mêmes finalités ?

Le chef de l’Etat lui-même dit que le maillon faible de notre situation c’est la justice. Il s’est même plaint d’avoir placé des gens dont il se disait qu’ils étaient intègres alors que malheureusement ils n’ont pas été en mesure de donner les résultats. C’est, à mon avis, comme ça que je comprends les mises en place qui sont en cours. C’est pour être en mesure de renforcer la justice. Sans une justice solide et moderne, il est très difficile pour nous de pouvoir espérer faire les choses correctement.

C’est pour ça que j’insiste sur la digitalisation. Si l’information est digitalisée, elle est disponible devant tout le monde et il est difficile de la manipuler. Je disais la justice est une priorité. La deuxième, c’est la surveillance citoyenne. Il est important que nous, les citoyens, nous soyons en mesure de pointer du doigt les avocats véreux, les juges véreux, les magistrats véreux. Si nous ne les pointons pas du doigt et si nous ne les huons pas, ils vont continuer à faire ce qu’ils font et ils vont passer pour normal. Ce n’est pas acceptable qu’un pays comme le nôtre reste à genoux parce que notre système judiciaire est un système judiciaire de la honte.

Un certain Thambwe Mwamba, à l’époque ministre de la Justice, a dû avoir à le dire à son corps défendant que la situation à laquelle se trouvait notre justice, les magistrats, par leur comportement, était une véritable honte. Nous, au niveau de la fondation Entreprendre, nous avons créé un mouvement qui s’appelle les «Intègres ». Ça veut dire qu’en fait des citoyens qui se sont décidés à le dire qu’on n’est pas blanc comme neige, mais nous voudrions être chaque jour qui passe des meilleurs citoyens capables de servir notre population. Et nous enrôlons les gens de tous les métiers de pouvoir être en mesure de créer une masse critique de gens pour pouvoir défendre la nation.

Aujourd’hui, ce que nous disons, c’est que nous lançons bientôt une opération qui s’appelle « Avocats intègres, magistrats intègres ». C’est un mouvement volontaire. On ne va pas venir vous prendre de force. Si vous sentez l’âme de devenir un défenseur de votre métier par votre intégrité, vous venez et vous vous inscrivez. Nous allons vous faire signer un cahier des charges et vous engager à vous conduire d’une manière exemplaire. Le jour où nous aurons des ministres intègres, des directeurs généraux intègres, nous aurons un pays intègre.

35 ans d’existence, c’est pas mal ! En tant que stratège et analyste économique, que peut encore faire l’IGF pour être plus performante dans son rôle de contrôle des finances publiques ?

D’abord, très sincère félicitation à cette institution qui existe depuis 35 ans dont on voit malheureusement des effets réels seulement depuis 2 ou 3 années dernières.

Ça veut dire que quelqu’un a donné un second souffle à cette institution en imprimant son management. Ce que moi je dirai aux enseignants des universités, c’est d’étudier ce management et ce système de communication que ce personnage a créé et qui donne des résultats, le moderniser et l’enseigner aux enfants. A partir de ce moment-là, nous serons en mesure de pouvoir dupliquer ces acquis de management dans les autres institutions. Si nous avons l’IGF, la Cour des comptes, la CENAREF et d’autres institutions comme l’APLC avec le même degré de force et de surveillance, vous pouvez être sûr que le pays va avancer beaucoup plus vite.

Vous savez, les gens se contentent de regarder la gouvernance au niveau central. Nous avons la gouvernance au niveau des provinces. Personne ne regarde ça ! Nous avons la gouvernance au niveau des communes. Le service public au citoyen, ce n’est pas le chef de l’Etat ni le ministre qui le donne. Il est donné par les fonctionnaires qui sont en face du citoyen. C’est tout ça qu’il faut transformer. Et ça, un seul homme ne peut pas le faire. Et, c’est pour ça que les différents organes pourront être en mesure de donner un service public de qualité aux citoyens.

L’issue du procès des 100 jours et d’autres cas où des mandataires véreux condamnés et libérés à la vas-vite poussent d’aucuns à être pessimistes. Serait-ce également votre point de vue ?

Par définition, je ne suis jamais pessimiste. Qu’on ait arrêté des gens, qu’on les ait jugé, qu’à un moment donné, qu’on les ait libéré, je me dis, c’est déjà quelque chose. Ça montre que plus personne n’est au-dessus de la loi et à n’importe quel moment on peut t’inquiéter. Maintenant, si on estime que la justice n’a pas été rendue, les ONG ont les moyens de pouvoir porter plainte. Vous avez vu, aux Etats-Unis, une société qui s’appelle Glencore qui doit payer 1,2 milliard de dollars à la justice américaine pour de la fraude et de la corruption en Afrique.

La plainte n’a pas été portée par le gouvernement américain. Elle a été portée par des ONG. Au lieu de se plaindre, s’il y a des évidences, les Congolais organisés devraient être en mesure de porter plainte contre ces gens qu’on a libérés si on estime en passant qu’ils doivent encore de l’argent à des gens.

J’ai suivi encore un reportage sur les réseaux sociaux qui démontraient de manière assez claire qu’en plein meeting, un des leaders politiques s’est fait réclamer les 57 millions de dollars qu’il aurait détourné. Ça veut dire qu’en fait, la po- pulation commence à pouvoir s’assumer et être en mesure de pouvoir réclamer ce qui lui est dû. Ceci dit, mais je pense que si nous sommes exigeants, nous auront les chefs et les leaders politiques exemplaires. Figurez-vous, ces hommes politiques qui sont en haut, ils viennent de nos familles. Ils reproduisent là-haut le comportement de nos communautés ici-bas. Si nous demeurons des citoyens intègres, les leaders seront sérieux et intègres.

Un activiste de la lutte contre la corruption affirme que le contrôle parlementaire est impossible aujourd’hui. Par- tagez-vous également cette opinion ?

Je ne sais même pas ce qu’il veut dire, contrôle parlementaire. Il n’est pas impossible. Il est même obligatoire. Les faiblesses de notre parlement c’est au niveau d’efficacité. Et, 92 % des lois de 20 dernières années ne sont jamais mises en application complètement. Ça veut dire, il y a une véritable faiblesse entre le travail parlementaire et l’exécution du travail ou du fruit du parlement. Ceci montre la faiblesse technique du parlement. Entre autres choses, le parlement a connu un certain nombre de contrôle parlementaire depuis les 20 dernières années, mais l’exécutif n’a pas été aligné dans la capacité à pouvoir convertir ces contrôles parlementaires en véritables actions sur le terrain. En fait, je dis simplement que pendant très longtemps, il n’y avait aucun alignement entre le parlement et l’exécutif. Ça, c’est une faiblesse. Je voudrais dire autrement, c’est qu’un pays, il est géré pour être en mesure de mener des réformes pour être en mesure d’améliorer les conditions de vie des citoyens. C’est ce qu’on appelle l’efficacité opérationnelle. Je crois simplement que, je ne sais pas de quoi parle le citoyen qui a évoqué la question, la faiblesse au niveau opérationnel du parlement est au niveau de l’alignement entre ce que l’on pense et ce que l’on fait. C’est une question de management.

Certains responsables de l’Assemblée nationale sou- tiennent que le salaire d’un député est sacré et qu’il ne doit pas être connu. Est-ce normal ?

Non, non, non… Je vais être dur et dire que c’est une bêtise. On ne peut pas se permettre de dire des choses. Le salaire public est payé par les citoyens. Il ne peut pas être caché. La transparence totale est gage de la bonne gouvernance. Qu’à cela ne tienne, je n’ai pas envie de clochardiser non plus les députés. J’ai deux choses que j’ai observées là-dedans : ce qu’aujourd’hui, on a aug- menté les revenus des députés mais dans la même enveloppe que ce qui était géré par les prédécesseurs. C’est en son temps, c’est en fait une question d’allocation. Encore une fois là-dedans, il est important qu’on reste sobre et que l’on soit en mesure d’être transparent et clair avec ce qu’on est en train de faire. J’ai discuté dans un autre groupe où les Intègres travaillent en disant, peut-être que le plus gros problème de ce pays c’est qu’on n’a jamais eu les états généraux de la rémunération dans le secteur public. Vous savez qu’il y a des gens qui ont un salaire de 200 dollars par mois dans la fonction publique et qui ont des revenus mensuels de 20 000 dollars. Parce qu’il ont des primes à gauche, des primes à droite, qui ne se fa- briquent que d’une manière ou d’une autre.

En fait, à un moment donné, il faut être sérieux et mettre tout ça à plat, mettre l’enveloppe nécessaire. Et, bravo au vice-premier ministre de la Fonction publique avec le travail d’identification qu’il est en train de faire avec les fonctionnaires de l’Etat et qui nous démontre de manière assez claire là où on pensait qu’on a 100 mille, le fonctionnaire n’en a que 50 et, donc, qu’on a une enveloppe qu’on peut allouer de manière plus efficace pour être en mesure de pouvoir stimuler les gens.

Mais entre autre partie, il va falloir aux députés comme aux fonctionnaires, qu’on soit en mesure de demander de la compétitivité et de l’efficacité. Ceci se mesure par la qualité des décisions et d’actions que l’on mène pour améliorer la situation des citoyens.

La question n’est pas de diminuer les revenus des députés. La question, c’est de dire, comment sommes-nous équitables dans la masse salariale générale. C’est une question qu’on ne s’est pas posée les 60 dernières années. Peut-être qu’il est temps aujourd’hui d’avoir une politique de rémunération dans le secteur public. Il n’y en a pas une. C’est ça le problème.

Vous soutenez beaucoup les entrepreneurs congolais. Que peut faire le gouvernement pour booster les entrepreneurs afin d’avoir des millionnaires congolais voulus par le Président Tshisekedi ?

J’aime beaucoup cette question. Parce que j’y travaille en ce moment. La première des choses qu’il faut faire, je vous l’ai dit tout à l’heure, aujourd’hui, nous recevons des devises du secteur minier et nous les envoyons dans des fosses septiques en important de la nourriture. Il faut avoir un plan de réduction des importations inutiles et les substituer par la production locale. Cela veut dire, prendre des décisions courageuses, d’investir dans les entrepreneurs congolais pour être en mesure de produire.

Un deuxième instrument, c’est ce qu’on appelle Autorité de régulation de la soustraitance dans le secteur privé. Il est important et le chef de l’Etat a tapé du poing sur l’incapacité que le maximum de travail soit donné à des entreprises congolaises en RDC pour que celles-ci soient en mesure de gagner de l’argent et qu’elles n’investissent dans l’économie congolaise. Et, la troisième, elle est tout à fait importante, c’est tous les mécanismes que le dispositif public a mis en place. C’est quelque chose que font les entreprises de l’entreprenariat au Congo. On a mis en place un autre instrument qui s’appelle le PEDIA, qu’est le Programme d’Entreprenariat des Jeunes dans le secteur de l’Agriculture. Or, on a les programmes de financement comme le PAD-PM qui sont financés aujourd’hui dans sa 2ème phase avec 300 millions de dollars. Tous ces instruments, il faut être en mesure de les gérer de manière intelligente et cohérente.

On a en parallèle des secteurs comme le secteur du tourisme avec le Fonds de promotion de tourisme. Personne ne voit ce qu’on fait avec cet argent. On a le FPI dont on s’aperçoit aujourd’hui qu’il triple ses revenus simplement parce qu’il y a eu certaines rigueurs impulsées autrefois par l’IGF. Et, c’est tout ça qu’il faut être en mesure de mettre dans une corrélation intelligente pour être en mesure de pouvoir avoir des résultats. Et je crois encore une fois qu’on ne créera pas de millionnaires en donnant l’argent, on créera des millionnaires en donnant les opportunités de travail.

Propos recueillis par Raymond OKESELEKE

Trending

Quitter la version mobile