Interview

La patrouille financière de l’IGF est une action salvatrice pour la République. Elle témoigne de la ferme volonté du chef de l’Etat de mettre fin à l’anarchie dans les finances publiques»

En marge des 35 ans d’existence de l’Inspection générale des finances (IGF), son patron, Jules Alingete Key est revenu sur l’histoire de cette institution de contrôle des finances publiques. Face aux prouesses réalisées par son service, l’Inspecteur général-chef de service souligne la volonté politique du Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi dans l’atteinte des résultats. Son arrivée à la tête du pays, avoue-t-il, a changé le cours de l’histoire de l’IGF en choisissant ce service comme son point d’appui dans le cadre de la lutte contre le détournement des deniers publics. Interview !

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 Heshima Magazine : Cela fait 35 ans depuis la création de l’Inspection générale des finances (IGF). Pourriez-vous nous dire à travers ces deux questions, quelles ont été les raisons de sa création et où en sommes-nous avec son parcours ? 

Jules Alingete : L’IGF, en tant que service public doté d’une autonomie administrative et financière, chargé de contrôle supérieur au niveau de l’exécutif, a été créé le 15 Septembre 1987. La base de cette création est consécutive aux réformes proposées par le FMI lors de son arrivée au Congo vers les années 1986, après avoir constaté le dysfonctionnement au niveau des finances publiques congolaises, notamment dans la mobilisation des recettes et de contrôle des finances publiques. La proposition du FMI consistait à ce que quatre services ou directions du Ministère des Finances de l’époque relevant du Secrétariat général aux Finances dudit ministère soient érigées en direction générale avec autonomie administrative et financière.

Il s’agissait de l’Inspection générale des Finances, de la Direction générale des Impôts, de la Direction générale des Douanes et Accises et de la Direction générale de la Dette publique. C’est donc depuis cette date que l’IGF évolue comme tel.

 Comment l’évolution administrative de l’IGF s’est faite au point d’être rattachée aujourd’hui au Président de la République ? 

De 1987 à 2003, l’IGF est restée rattachée à l’autorité directe du Ministre ayant les Finances et le Budget dans ses attributions. Pendant cette période, il avait été constaté que l’IGF était limitée dans l’exercice de ses missions de contrôle. En 2003, le législateur a estimé qu’il était bon de doter l’IGF d’une plus grande autonomie pour mener à bien ses missions en la rattachant directement au Président de la République. Fort malheureusement, seulement onze mois après, l’IGF a été replacée sous la tutelle du Ministère des Finances comme service au mois de février 2004.

Cette situation s’est maintenue jusqu’au 9 décembre 2019 lorsque le législateur a de nouveau décidé de ramener l’IGF sous l’autorité directe du Chef de l’Etat. Depuis trois ans, c’est ce statut qui prévaut jusqu’à ce jour. 

Au regard de la préséance en termes protocolaires, quelle position hiérarchique occupe l’IGF au sein de l’administration en rapport avec ses attributions ? 

Il y a lieu de noter qu’à la création de l’IGF, l’Inspecteur général-chef de service avait rang de secrétaire général. En 2003, lorsque l’IGF a été rattachée à l’autorité directe du Chef de l’Etat, l’Inspecteur général-chef de service et son adjoint ont eu rang de ministre dans l’exercice de leur fonction. Cette situation perdure jusqu’aujourd’hui. S’agissant des attributions de l’IGF, il faut dire que celles en vigueur depuis 1987 sont d’application jusqu’à présent avec peut-être quelques améliorations intervenues le 24 septembre 2020 par la nouvelle ordonnance modifiant celle créant l’IGF.

 Comment se présentent ces améliorations ? 

Parmi les modifications intervenues en septembre 2020, il faut noter que l’IGF est consacrée comme un service d’audit supérieur placé auprès de l’exécutif. Au niveau de l’exécutif, l’IGF comme depuis toujours a exercé la primauté de l’audit de toutes les opérations financières en recettes comme en dépenses de l’exécutif et même des provinces, des entités décentralisées ainsi que des établissements publics et entreprises du portefeuille de l’Etat.

 Toujours parmi les innovations de 2020, les structures administratives de l’IGF qui sont des structures opérationnelles réparties en départements d’interventions sur le terrain étaient au départ en 1987 au nombre de cinq, puis portées au nombre de dix. Le doublement de ces structures est une adaptation en rapport avec l’évolution des finances publiques du pays qui ont subi beaucoup de réformes entre 1987 et 2020. Il était urgent d’adapter les structures de l’IGF à cette évolution, ce qui fait qu’elle compte désormais dix brigades, dénommées aussi départements ou encore structures opérationnelles intervenant sur le terrain. 

Elles sont rattachées aux missions dévolues à l’IGF. Une autre innovation a trait à un éclaircissement obtenu dans la lecture des textes de 2020 en matière de l’étendue du contrôle des impôts. Jusque-là, l’IGF était en désaccord avec les opérateurs économiques privés en ce qui concerne le contrôle des impôts payés par ces derniers à l’Etat. Certains voulaient circonscrire l’IGF au seul contrôle du secteur public. Pour eux, il ne fallait que prendre en compte uniquement les impôts payés par des entreprises de l’Etat alors que l’esprit du texte était de contrôler tout assujetti qui devait acquitter les impôts à l’Etat. En 2020, le législateur a donné des précisions dans la compréhension de ces textes en disant clairement que les contrôles des assujettis aux impôts de l’Etat s’adressent aussi bien au secteur public qu’au secteur privé. Les textes de 2020 ont eu le mérite de mettre fin à ce débat auquel l’IGF a du faire face pendant plus de 32 ans.

 Nous sommes là, à la disposition de la République. Notre plus grande responsabilité républicaine, c’est d’accomplir le travail, traquer les criminels financiers afin de libérer les finances publiques congolaises. C’est notre plus grand défi.

Voilà quelques innovations que le législateur a voulues pour l’IGF en 2020. Il y a un dernier élément que j’ai failli oublier : quand l’IGF intervient auprès des opérateurs qui payent les impôts, publics ou privés, la mission de l’IGF ne cible pas seulement à aller récupérer les droits fraudés, mais vise prioritairement à établir la responsabilité des agents de l’administration chargés au préalable de traiter le dossier et qui ont laissé échapper les droits de l’Etat. Donc, l’IGF devait établir la responsabilité des agents de l’administration qui sont intervenu au premier degré dans ce travail pour préserver les droits de l’Etat et qui ne l’ont  pas fait, établir leur responsabilité ensuite récupérer les droits fraudés. Voici les innovations intervenues en 2020 et brièvement décrite l’histoire de l’IGF, de sa création à nos jours.

A côté de ces adaptations, vous avez, au dernier recrutement, embauché des inspecteurs qui, pour la première fois, ne viennent pas de la sphère économique ou financière, qu’est-ce qui a motivé cette ouverture ? 

Effectivement, l’IGF s’est trouvée dans une phase d’ouverture à l’égard d’autres profils d’études pour ce qui concerne la fonction d’inspecteur des finances. Avant 2020, ne pouvait être inspecteur des finances que des personnes détenant le titre de licence, spécialement en droit ou en économie ou encore d’une discipline assimilée. A partir de 2020, à cause de tout ce qui a été observé comme limite dans l’exercice de la fonction d’inspecteur, notamment le développement de l’informatique ou encore la difficulté de contrôler les travaux de construction, la fonction d’inspecteur a été ouverte aux candidats titulaires des titres d’ingénieur en construction et ingénieur en informatique. A ce jour, nous avons des inspecteurs des finances qui viennent de ces deux filières.

De mon point de vue, si les choses se déroulent très bien, nous méritons un budget minimum de 20 milliards. Il faut y arriver pour dire qu’on commence à sortir du tunnel.


Autre question, c’est celle du rajeunissement du personnel de l’IGF. Comment avez-vous fait pour palier la longue absence de recrutement ?

 Lors de ma prise de fonctions en 2020, après l’état de lieux de l’Inspection générale des finances, mon équipe et moi, avons constaté que le moins âgé des inspecteurs des finances avait 55 ans et qu’il n’y avait pas eu de recrutement à l’IGF depuis 30 ans. Or, cet âge correspond au seuil pour l’atteinte du grade d’inspecteur général. Il était par conséquent impératif de procéder au renouvellement du corps des inspecteurs des finances en passant par leur rajeunissement. Pour ce faire, le recrutement est intervenu en 2020.

 On se trouvait devant une situation inédite : d’un côté on dénombrait des inspecteurs âgés d’au moins 55 ans qui atteindront l’âge de la retraite dans les 10 ans à venir, de l’autre côté, des inspecteurs nouvellement recrutés, lesquels, dans les dix années suivantes, au moment du départ en retraite de leurs prédécesseurs, n’auront pas atteint le grade d’inspecteur général. Qui pourrait alors diriger le service dans ces conditions, étant entendu que cette structure doit être dirigée par un inspecteur ayant totalisé au moins 18 ans de carrière et ayant atteint le grade d’inspecteur général. 

Pour pallier ce vide administratif, nous avons introduit dans les textes de 2020 la possibilité pour un inspecteur ayant 10 ans d’expérience, de devenir d’office inspecteur général-chef de service, quitte à apporter les correctifs nécessaires plus tard. Comment vous expliquez à travers toutes les dates que vous avez citées, que vos prédécesseurs n’aient pas pu faire en 33 ans ce que vous avez fait en à peine 2 ans ? 

Je voudrais tout d’abord vous dire que ce n’est pas totalement vrai. Déjà à la création de l’IGF, ce service a fait parler de lui en 1987, 1988 et 1989. L’IGF avait très bien fonctionné parce qu’à l’époque avec l’appui du FMI et la volonté politique qui semblait se dessiner en ce moment-là, elle avait produit un bon travail. Malheureusement, cet élan fut éphémère et a été vite étouffé et trois ou quatre années plus tard, l’IGF avait presque sombré dans un travail sans éclat.

 Le travail de l’IGF nécessite premièrement une volonté politique manifeste pour que le contrôle se fasse. On n’a pas vu dans le chef du pouvoir politique congolais d’alors la volonté d’obtenir des résultats probants dans le contrôle des finances publiques. Cet élément avait beaucoup manqué les années suivant sa création jusqu’à l’arrivée de l’actuel Président de la République qui a changé le cours de l’histoire de l’IGF en choisissant ce service comme étant son point d’appui dans le cadre de la lutte contre le détournement des deniers publics, décidé de prendre le mal de la corruption comme un fléau, un phénomène à combattre à tout prix. Voilà pourquoi il a personnellement décidé de la redynamisation de l’IGF. 

En nommant la nouvelle direction de l’IGF en 2020, le Chef de l’Etat lui a demandé deux choses : s’investir activement dans la lutte contre le détournement des deniers publics avec fermeté et redorer le blason terni de l’IGF en rajeunissant et en améliorant globalement les conditions de travail. C’est pourquoi, de temps en temps, je dis aux gens qui ne comprennent pas que ce qui se fait à l’IGF, en réalité, c’est la volonté du Chef de l’Etat de mettre fin à des antivaleurs au niveau de la gestion publique. C’est ce que fait l’IGF aujourd’hui. 

A l’époque, Luzolo Bambi avait évalué à 15 milliards de dollars l’argent perdu par an en RDC à cause de la corruption et du détournement. Avec votre expérience, à combien évaluez-vous aujourd’hui cette hémorragie financière ?

Le Professeur Luzolo Bambi Lessa, un grand acteur dans la lutte contre la corruption dans notre pays avait fait un travail dont les estimations se chiffraient autour de 15 milliards. A l’époque, les gens disaient qu’il avait exagéré, y compris moi-même. Mais, aujourd’hui, nous lui donnons complètement raison. Le fait qu’en 2023, le gouvernement projette un budget de 15 milliards, rejoint pratiquement ce que le professeur Luzolo Bambi Lessa avait dit sur le coulage des recettes important autour de 15 milliards. Cependant, même si nous présentons un budget de 15 milliards, nous ne sommes pas encore arrivés à colmater les brèches. Nous avons fait un effort, le gouvernement a fait un effort, le pays a fait un effort, mais on n’est pas encore arrivé là où nous devons vraiment arriver. De mon point de vue, si les choses se déroulent très bien, nous méritons un budget minimum de 20 milliards. Il faut y arriver pour dire qu’on commence à sortir du tunnel.

 A combien évaluez-vous cette hémorragie financière aujourd’hui ? 

Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes presqu’à la moitié de mobilisations des moyens réels. Il y a encore une autre moitié qui se trouve en dehors du circuit officiel et que nous devons aller chercher. Il y a 2ans, je pouvais clairement vous dire que le niveau de mobilisation était à 25%, aujourd’hui, nous estimons avoir atteint un niveau autour de 50 % mais il faut aller au-delà.

Le doublement de ces structures est une adaptation en rapport avec l’évolution des finances publiques du pays qui ont subi beaucoup de réformes entre 1987 et 2020. Il était urgent d’adapter les structures de l’IGF à cette évolution, ce qui fait qu’elle compte désormais dix brigades, dénommées aussi départements ou encore structures opérationnelles intervenant sur terrain. Elles sont rattachées aux missions dévolues à l’IGF.

Le Premier Ministre, Sama Lukonde, a lancé en octobre 2021, les états généraux de la lutte contre la corruption. Quelles en sont les recommandations et où en sommes-nous avec leur applicabilité ?

 Il faut aller demander à ceuxlà qui étaient chargés d’appliquer le plan d’actions qui a été inauguré par Son Excellence Monsieur le Premier ministre. Le plan qui avait été rendu public par son Excellence Monsieur le Premier ministre, était une proposition émanant de l’APLC (Agence de prévention et de lutte contre la corruption, NDLR). Je pense que c’est l’APLC qui est chargée des évolutions et des étapes qui sont atteintes aujourd’hui. Pour notre part, nous avons notre plan d’actions. Il y a aussi une confusion que je dois apporter à l’attention de l’opinion.

L’Inspection générale des finances lutte prioritairement contre les détournements des deniers publics lesquels représentent une mauvaise gouvernance publique dans la gestion des affaires de l’Etat. Certes, parallèlement à ce travail prioritaire, incidentiellement le travail de l’Inspection s’inscrit également dans le cadre de la lutte contre la corruption. Néanmoins, lutter contre la corruption est très différent de lutter contre les détournements des deniers publics et des antivaleurs y associés qu’on constate dans la gestion publique. C’est très différent. La corruption est un phénomène qui se constate dans toute la société aussi bien dans le privé que dans le public. Elle exige des mesures beaucoup plus larges pour qu’elle soit combattue. Je ne dis pas que nous ne sommes pas concernés par ces questions parce que notre travail contribue également à la lutte contre la corruption et nous l’appliquons dans le volet qui est le nôtre dans le cadre du contrôle des finances publiques. Mais globalement, c’est à l’APLC qu’il revient de faire une évaluation du programme qu’elle a proposé et qui a été rendu public. 

Un nouveau président de la Cour des comptes a été nommé. Quels sont vos attentes à l’égard du nouveau Président Jimmy Munganga ? 

Pensez-vous que contrairement à son prédécesseur, il pourrait être un allié de l’IGF ? L’action de l’IGF ne peut être contraire à celle de la Cour des comptes dès lors que cette dernière exerce un contrôle juridictionnel des finances publiques qui conduit les deux institutions à combattre le même phénomène face aux prédateurs. L’engagement de la Cour des comptes ne peut que faire la joie de l’IGF qui trouve en elle un grand allié et n’est plus seule sur le terrain à recevoir les tirs et les attaques des prédateurs. Avec une grande institution comme la Cour des comptes qui va également donner le meilleur d’elle-même et l’Inspection générale des finances, c’est la lutte contre la mauvaise gouvernance qui va suffisamment marquer des points.

Donc, la présence de la Cour des comptes a toujours été vivement saluée depuis longtemps par l’Inspection générale des finances. Aujourd’hui, ça nous réjouit d’avoir un allié aussi extrêmement important dans ce travail de contrôle des finances publique.

Heshima

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