Le nouveau ministre d’État à la Justice avait promis une « thérapie de choc » dans son secteur. Trois mois après sa prise de fonction, ses actions ont secoué l’appareil judiciaire congolais. Testé positif au poison en début de semaine, Constant Mutamba a été évacué en urgence à Cuba pour des soins. Ce jeune ministre paie-t-il le prix de son zèle réformateur ?
À La Havane, il reçoit des soins après avoir été testé positif au poison il y a quelques jours seulement. Les résultats ont été révélés samedi dernier. La police scientifique a aussi découvert des substances nocives dans le bureau et l’antichambre du garde des Sceaux. Cet empoisonnement défraie la chronique en République démocratique du Congo, et beaucoup y voient un lien avec l’activisme du ministre pour réformer un secteur gangrené par la corruption.
Réformer la justice, c’est aussi s’attaquer à des réseaux mafieux qui fabriquent des jugements en complicité avec certains magistrats, souvent pour des conflits fonciers ou pour toucher des fonds publics, explique un juriste. Pour Jean-Claude Katende, président de l’ASADHO, cet empoisonnement est la preuve que certains Congolais sont hostiles au développement de leur propre pays. « L’empoisonnement du ministre de la Justice démontre que certains Congolais n’aiment pas le bien de ce pays. La traque des réseaux mafieux doit désormais être une priorité. Au moins, le ministre Constant Mutamba a fait bouger les lignes. Dieu est vivant », a-t-il écrit sur son compte X.
Une mare aux crocodiles
Réformer le secteur de la justice en RDC, c’est naviguer en eaux troubles, note Basin Pembe, avocat. « Une véritable mare aux crocodiles », ajoute un autre juriste. Le 30 mai dernier, le ministre de la Justice avait déjà montré ses intentions. Constant Mutamba, 36 ans, promettait des « réformes courageuses et audacieuses » dans un système gangrené. Parmi ses cibles : des magistrats « véreux » enrôlés dans des réseaux « mafieux ». En juillet, l’homme d’affaires Mboyo Ilombe, surnommé « Pelé Mongo », a été placé en détention provisoire pour avoir tenté de corrompre le ministre. Il est également accusé de détournement des fonds de l’Office national des transports (ONATRA). Selon le média Africanews, Mboyo Ilombe a tenté de corrompre le ministre après avoir obtenu la condamnation de l’ONATRA dans un litige qui, parti de 200 000 dollars, a fini par atteindre 43 millions. Pelé Mongo espérait la collaboration du ministre pour percevoir ces millions.
Constant Mutamba a également instauré la bancarisation des frais de justice afin de lutter contre l’évasion fiscale. En août, il a inauguré une succursale bancaire au sein même du ministère de la Justice, à Kinshasa. Cette mesure renforce la transparence financière et garantit une meilleure traçabilité des transactions liées aux procédures judiciaires.
Ces réformes ont créé des tensions avec le syndicat des magistrats. Depuis sa nomination, souvent qualifiée de « surprenante », le ministre de la Justice est le seul membre du gouvernement à avoir pris des décisions qui suscitent un profond malaise au sein de la magistrature. Les magistrats, par l’intermédiaire de leur syndicat, perçoivent mal ces réformes. Constant Mutamba, de son côté, ne cesse de dénoncer « le réseau mafieux » infiltré au sein du corps des magistrats. Le Syndicat autonome des magistrats (SYNAMAC) qualifie cependant ces déclarations de « populistes et outrageantes ».
Sécuriser Mutamba et consorts…
Pour réussir à réformer la justice, certains observateurs estiment que l’État congolais doit renforcer la sécurité des réformateurs. Nick Elebe, juriste, insiste sur ce point : « Après des années de capture de l’État et de crimes économiques, ceux qui se sont enrichis ne veulent pas que cela change. Quiconque s’attaque à ces crimes devient une cible. » Il souligne également que l’État doit absolument garantir la sécurité des acteurs judiciaires intègres, ceux qui s’engagent pour que ces crimes cessent en République démocratique du Congo.