En République démocratique du Congo (RDC), le contrôle parlementaire, pourtant crucial pour la démocratie, continue d’être relégué au second plan par les deux chambres du parlement. Depuis l’ouverture de la session de mars, l’Assemblée nationale a convoqué des séances plénières à compter sur les doigts de la main, sans exercer avec efficacité son pouvoir de contrôle sur les mandataires publics. Pourtant, ce ne sont pas des problèmes de gouvernance qui manquent au pays. Cette léthargie, observée également au Sénat, notamment sur la question de la crise sécuritaire dans l’Est du pays, irrite certains Congolais.
Véritable rempart contre la gabegie ou la mauvaise gouvernance de l’exécutif national et des mandataires publics, le contrôle parlementaire se fait de moins en moins sentir sous la quatrième législature dirigée par Vital Kamerhe pour l’Assemblée nationale et Jean-Michel Sama Lukonde pour le Sénat. Ces deux chambres du Parlement congolais contrôlent de moins en moins le gouvernement et les entreprises publiques. La loi du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques et le décret n°13/050 du 06 novembre 2013 portant règlement général sur la comptabilité publique, qui renforcent le système de gestion des finances publiques au pays, recommandent le contrôle parlementaire comme l’un des modes de contrôle du budget affecté aux actions du gouvernement et des entreprises publiques. Mais les pratiques politiques courantes ne respectent pas toujours cette orthodoxie dans la gestion de la chose publique.
Le 16 septembre 2024, Vital Kamerhe avait promis un renforcement du contrôle parlementaire en marge de l’ouverture de la session essentiellement consacrée à l’examen du budget 2025. Une promesse qui était pourtant bien accueillie par les députés nationaux dont les initiatives de contrôle étaient souvent gelées par l’ancien bureau dirigé par Christophe Mboso. Plus de 7 mois après, les interpellations des mandataires ou des ministres sont à compter sur les doigts. Lors de la session de septembre, le ministre d’État, ministre des Infrastructures et Travaux publics, Alexis Gizaro, avait été interpellé sur sa gestion des projets d’infrastructures à travers une question orale signée par des députés, notamment Rubens Mikindo, Elie Kambale et Patrick Munyomo. À la fin de cet exercice, certains élus s’étaient estimés non convaincus par les réponses du ministre. En novembre 2024, cette question a été transformée en motion de défiance contre ce membre du gouvernement. Une motion qui n’a jamais été examinée jusqu’au moment où ces informations sont mises sous presse. Dans son discours de clôture de la session de septembre, Vital Kamerhe avait promis d’examiner cette motion à la session de mars, actuellement en cours. Une pratique qui lui a valu des critiques, notamment de la part de la société civile œuvrant dans le secteur des finances publiques.
Selon le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, une motion doit être programmée pour examen 48 heures après son dépôt. Mais celle dirigée contre le ministre Gisaro totalise 6 mois dans le tiroir du bureau de Vital Kamerhe. Dans un communiqué rendu public le 16 décembre 2024, le Centre de Recherche en Finances Publiques et Développement Local (CREFDL) a accusé l’Assemblée nationale d’avoir violé l’article 235, alinéas 3 et 6, de son règlement intérieur dans ce dossier de la motion de défiance contre le ministre Gisaro.
Un contrôle sacrifié sur l’autel de la solidarité politique
Dans une Assemblée nationale dominée par la majorité des députés issus de la plateforme politique Union sacrée de la Nation, il est difficile de mener une action parlementaire contre un mandataire sans s’attirer les foudres de son camp politique au sein même de l’Union sacrée. C’est le cas de la motion contre Alexis Gisaro, perçue comme un élément conçu par des députés pour déstabiliser le gouvernement. Dans l’entendement de certains alliés, une telle démarche ne devrait être menée en plénière. Une attitude qui sacrifie le contrôle parlementaire sur l’autel de la solidarité politique.
D’ailleurs, Vital Kamerhe l’avait rappelé en décembre dernier. Pour lui, le contrôle parlementaire ne doit pas être perçu comme un « acharnement » ou une opération visant à déstabiliser le gouvernement de la République. Il avait appelé les uns et les autres à saisir la quintessence de cette démarche parlementaire, qui n’est nullement une chasse aux sorcières.
Contrôle régulier du gouvernement : Kamerhe n’a pas tenu promesse
Face à l’absence du contrôle parlementaire, l’opposition parlementaire n’a pas retenu sa colère. Fin mars 2025, certains députés d’Ensemble pour la République ont dénoncé l’inaction du bureau de l’Assemblée nationale au sujet de cet exercice légal. Christian Mwando Nsimba, président du groupe parlementaire du parti de Moïse Katumbi, a dénoncé une absence « avérée » de contrôle parlementaire vis-à-vis du gouvernement, principalement dans l’exécution du budget en cours. « Le Parlement ne fonctionne pas. Le gouvernement est protégé. Nous n’avons ni le contrôle des salaires, ni celui des militaires au front. Il y a une incapacité générale à gérer l’armée. On a réduit tout le monde au silence », a fulminé Christian Mwando. Pourtant, lors de sa prise de fonction à la tête du bureau de cette chambre, Vital Kamerhe avait promis un contrôle parlementaire rigoureux. Il avait même programmé cet exercice parlementaire pour chaque mercredi. Mais à ce jour, le bilan de « VK » sur ce sujet est trop faible. Certains estiment même que lui et son collègue président du Sénat, Jean Michel Sama, sont quasiment aux abonnés absents quand il s’agit de faire exécuter un tel exercice de redevabilité de l’exécutif national vis-à-vis de l’autorité budgétaire qui est le Parlement.
Député et sénateur, le rôle du gendarme remis en cause
Dans cette législature, les députés et sénateurs ont tendance à exercer le travail de contrôle parlementaire dans les différentes commissions. Ce qui limite le champ de contrôle, alors qu’en plénière, tous les 500 députés ou 107 sénateurs pouvaient avoir la latitude d’enrichir le débat. Lors de l’émission « Le débout » diffusée le 28 avril sur les ondes de la radio Top Congo, le journaliste Thierry Kambundi a interpellé Vital Kamerhe au sujet de cette léthargie. « Pensez-vous qu’il n’y a pas de problèmes au Congo qui méritent des interpellations des ministres à l’Assemblée nationale ? », a-t-il déclaré. Pour lui, ce ne sont pas les matières qui manquent aux députés pour exercer leur responsabilité. « Un député, ça s’assume », a ajouté Christian Lusakueno. Depuis l’ouverture de la session le 15 mars, le bureau de l’Assemblée nationale a convoqué moins de 5 plénières. Pourtant, la RDC traverse actuellement l’une des crises sécuritaires majeures de son histoire. Dans cette période charnière entre les conflits et la recherche de la paix, le gouvernement est en train de signer des accords et des déclarations de principes avec des pays tiers, notamment le Rwanda. C’est justement pendant une telle période que l’Assemblée nationale et le Sénat devraient rester vigilants pour éviter au pays la signature de mauvais traités et arrangements qui pourraient être sources de nouveaux conflits dans les jours à venir. Si la Constitution du pays accorde au chef de l’État la latitude de signer des traités et accords internationaux, la soumission de ces projets d’accord à l’aval du Parlement pourrait renforcer la vigilance du gouvernement dans un contexte où le Rwanda a toujours usé d’une forme de ruse pour torpiller des engagements souscrits à l’échelle régionale et internationale dans le cadre de cette crise, vieille de près de 30 ans.
Au niveau de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe avait souligné que la question de la crise sécuritaire est gérée au niveau du gouvernement. La chambre basse allait, à travers son bureau, recueillir les informations auprès de l’exécutif national sans toutefois en débattre devant la plénière, au regard de la sensibilité de certaines questions de sécurité.
Le budget exécuté sans contrôle parlementaire
Si les questions sécuritaires requièrent une certaine forme de secret, celles liées à la gestion des finances publiques devraient être traitées en toute transparence. Le législateur a toujours prévu un contrôle à trois dimensions au sujet de la loi de finances publiques. Concernant le contrôle parlementaire réalisé par des députés et sénateurs, cette même loi a renforcé les pouvoirs du Parlement dans le vote et le contrôle du budget. Désormais, pour mieux apprécier les choix budgétaires du gouvernement, l’action du Parlement s’inscrit dans une démarche d’évaluation des politiques et de l’action publiques. D’après le Comité d’orientation de la réforme des finances publiques (COREF), le contrôle parlementaire sur l’exécution de la loi de finances se concentre sur l’examen des programmes budgétaires dans le but d’apprécier, à terme, les résultats atteints par les gestionnaires et de contrôler la performance des politiques publiques mises en œuvre par l’État. Mais ce pouvoir dévolu aux parlementaires n’est pas totalement assumé.
Au Sénat, le contrôleur n’est pas contrôlé
Comme à l’Assemblée nationale, le Sénat est quasiment aux abonnés absents lorsqu’il s’agit du contrôle parlementaire, encore moins du contrôle des dépenses internes. En 2024, le CREFDL dénonçait des dépenses internes souvent incontrôlées. « Le circuit de la dépense publique dans notre pays ne fonctionne pas. Vous avez des décaissements d’un milliard et des institutions qui se partagent les excédents budgétaires », dénonce Valery Madianga, coordonnateur de cette structure de la société civile. Dans un rapport intitulé « Le biface du Parlement congolais : un contrôleur à contrôler », cette organisation a mis à nu l’incapacité de l’autorité budgétaire à surveiller les dépenses dans ses propres lignes budgétaires. En mai 2024, Valery Madianga a épinglé des dépassements budgétaires estimés à près de 300 millions de dollars dans la gestion du Parlement. « Au niveau du Sénat, par exemple, le dépôt d’archives devrait être construit. Le bâtiment n’a jamais été livré, mais l’État a dépensé près de 81 000 dollars américains », a-t-il avancé. Pour lui, quand le contrôleur n’arrive pas à se contrôler, personne ne serait en mesure de surveiller la dépense publique. Ce qui occasionne des dépassements budgétaires aussi bien du côté du Parlement que dans d’autres institutions comme le gouvernement ou la Présidence de la République.
Assemblée nationale : un faible contrôle parlementaire sous l’ère Mboso
Cette léthargie décriée au sujet du contrôle parlementaire était également observée sous la présidence de Christophe Mboso à l’Assemblée nationale. D’après le baromètre de l’activité parlementaire et de l’action du gouvernement en RDC, présenté par Talatala, les députés nationaux avaient introduit, entre septembre 2020 et décembre 2023, au moins 177 moyens de contrôle et d’information, 88 questions orales avec débat, 50 questions écrites, 16 questions d’actualité, 18 interpellations, une motion de censure et quatre motions de défiance. Un ratio faible par rapport aux trois années passées à la tête de la chambre, mais aussi vis-à-vis des défis de gouvernance observés dans tous les secteurs de la vie nationale. Sous son ère, le président Christophe Mboso était accusé plusieurs fois de bloquer le contrôle parlementaire qui visait des membres du gouvernement Sama Lukonde. Sous sa présidence, seules 11 de ces initiatives parlementaires avaient abouti à un examen en plénière, soit à peine 6 % des moyens de contrôle et d’information déposés.
La peur de l’implosion de l’Union sacrée
Le contrôle parlementaire est redouté à l’Assemblée nationale. L’Union Sacrée de la nation, une majorité parlementaire hétéroclite, risque de s’imposer suite aux actions liées au contrôle parlementaire. On se souvient des échanges houleux entre Vital Kamerhe et le député Daniel Aselo, président du groupe parlementaire UDPS/Tshisekedi, au sujet justement du contrôle parlementaire exercé contre le ministre Alexis Gisaro. Le président de l’Assemblée nationale avait réagi avec fermeté face à cette initiative, en rejetant toute implication personnelle dans un dossier qui devrait faire partie des prérogatives du pouvoir exécutif. Ces tensions entre membres de l’Union sacrée montrent qu’une action de contrôle parlementaire, même légitime, peut être perçue comme une menace contre l’unité fragile de cette coalition.
Dans ce contexte, il devient évident que la logique de « solidarité politique » l’emporte souvent sur les impératifs de gouvernance et de transparence. Cela peut nuire à l’image de l’Union sacrée, qui, bien qu’elle ait été portée par la volonté d’une gestion partagée des institutions, se retrouve de plus en plus fragilisée par des divisions internes et des compromis qui étouffent la responsabilité individuelle. Un contrôle parlementaire inefficace peut ainsi laisser l’opinion publique douter de l’engagement réel des membres du gouvernement et des parlementaires envers les principes de bonne gouvernance et de transparence.
La soumission du contrôle parlementaire à des intérêts politiques
En effet, cette situation met en lumière la relation complexe entre le contrôle parlementaire et les jeux de pouvoir au sein de l’Union sacrée. L’incapacité du bureau de l’Assemblée nationale à tenir ses promesses de renforcer le contrôle parlementaire révèle que, dans la pratique, les intérêts partisans ou personnels prédominent parfois sur l’intérêt général. Pour plusieurs observateurs, il est difficile de dissocier les enjeux de gouvernance de la logique de soutien politique, surtout lorsque des acteurs clés de la coalition au pouvoir ne veulent pas mettre en péril des accords tacites ou des soutiens pour des ambitions électorales futures.
De plus, l’absence de décisions fermes et rapides sur des questions aussi cruciales que les motions de défiance ou les contrôles de dépenses publiques met en exergue une certaine forme de complaisance au sein des institutions. Dans ce contexte, des membres influents de l’Union sacrée, tout comme les responsables gouvernementaux, sont poussés à jouer la carte de la tranquillité plutôt que d’assumer une responsabilité pleine et entière en matière de reddition de comptes.
Vers une réforme du contrôle parlementaire ?
Face à cette inertie, plusieurs experts en gouvernance et société civile appellent à une réforme du système de contrôle parlementaire en RDC. Leurs propositions incluent un renforcement de l’indépendance des institutions parlementaires et un encadrement plus strict des pratiques parlementaires. L’idée serait de rendre plus transparent le processus d’examen des motions, de mieux encadrer les actions de défiance et de garantir une séparation claire entre les engagements politiques et les obligations de contrôle institutionnel.
Certaines de ces réformes préconisent aussi une meilleure formation des parlementaires sur les enjeux de la gestion publique, ainsi que des mécanismes de suivi plus rigoureux concernant les budgets et les projets d’infrastructures publiques. Cela permettrait de réduire l’emprise de l’exécutif sur le législatif et de remettre en place des systèmes de contrôle véritablement efficaces et performants.
L’avenir du contrôle parlementaire en RDC
L’inefficacité actuelle du contrôle parlementaire en RDC n’est pas uniquement un symptôme de dysfonctionnements institutionnels, mais aussi le reflet de l’équilibre de pouvoir fragile au sein de l’Union sacrée. Tant que cette coalition restera à la tête des deux chambres du Parlement, il semble que l’objectif de renforcer le contrôle parlementaire sera continuellement soumis aux intérêts politiques, freinant ainsi les efforts de gouvernance responsable et transparente. Toutefois, des réformes structurelles et une plus grande prise de conscience politique pourraient, à terme, permettre de redonner au Parlement congolais son rôle fondamental de gardien de l’intérêt public et de contre-pouvoir face à l’exécutif.
Heshima