Exclues totalement des sphères de pouvoir sous la période coloniale, les femmes congolaises ont accédé timidement aux droits politiques au lendemain de l’indépendance de la République démocratique du Congo (RDC) en 1960. Leur histoire est marquée par des luttes constantes pour la reconnaissance, la représentation et la participation dans un contexte de patriarcat dominant, d’instabilité politique et de conflits prolongés. Heshima Magazine présente un aperçu historique et thématique de leur engagement politique.
Depuis la création de l’État Indépendant du Congo (EIC) en 1885, les femmes tout comme une large majorité des hommes, étaient marginalisées sur le plan politique. Sous la colonisation belge, les Congolaises n’avaient pratiquement aucun droit politique. Le système colonial, raciste et patriarcal, les excluait totalement des sphères de pouvoir. Cependant, pendant cette période, des formes de résistance informelles ont vu le jour parmi les femmes. Certaines ont joué des rôles notables dans les résistances locales, même si cela demeure rarement documenté officiellement.
Il a fallu attendre six ans après l’indépendance du pays pour voir une femme accéder à un poste ministériel : Sophie Kanza, nommée ministre des Affaires sociales. De cette pionnière à Judith Suminwa, actuelle Première ministre, en passant par Jeanine Mabunda, ancienne présidente de l’Assemblée nationale, la RDC a enregistré des avancées notables. Mais dans une société où le patriarcat reste enraciné, la marche vers une véritable parité demeure un combat de longue haleine.
Sophie Kanza, pionnière des femmes politiques (1940-1999)
Sophie Kanza, également connue sous le nom de Sophie Lihau-N’kanza, est une figure emblématique de l’histoire politique et sociale de la RDC. Née le 8 février 1940 à Léopoldville (actuelle Kinshasa), elle est la première femme congolaise à avoir occupé un poste ministériel et à avoir intégré une école secondaire, marquant ainsi des jalons importants dans la lutte pour l’égalité des genres au pays de Lumumba.
Fille de Daniel Kanza, l’un des pères de l’indépendance et premier gouverneur noir de Kinshasa, et d’Élisabeth Mansangaza, Sophie fut la sixième d’une fratrie de sept enfants. Elle effectua ses études primaires et secondaires à Brazzaville, alors au Congo français. En 1961, elle devient la première femme congolaise diplômée de l’enseignement secondaire. Trois ans plus tard, elle obtient une licence en sociologie à l’Université de Genève, devenant ainsi la première universitaire congolaise. Elle poursuit ensuite ses études à l’Université Harvard, où elle décroche un doctorat en sociologie entre 1973 et 1976.
En 1998, elle est victime d’un grave accident de voiture à Paris qui la rend paraplégique. Elle quitte alors son poste à l’UNESCO pour se consacrer à la défense des droits des personnes handicapées. Elle décède le 2 avril 1999 à Kinshasa, des suites d’un arrêt cardiaque, et repose aujourd’hui à Luozi, au Kongo Central. En 2004, elle est admise au Panthéon de l’histoire congolaise. En Belgique, son nom est proposé parmi ceux appelés à remplacer celui du tunnel Léopold II. En RDC, une association de femmes universitaires rend hommage à son engagement à travers le « Cercle Sophie Kanza ».
Philomène Omatuku, première femme à diriger une institution parlementaire
Madame Philomène Omatuku Atshakawo Akatshi est également une figure incontournable de la politique congolaise. En février 2003, elle est nommée présidente par intérim de l’Assemblée nationale constituante et législative – Parlement de Transition (ACL-PT), devenant ainsi la première femme à diriger une institution parlementaire en RDC. Elle y reste jusqu’en août 2003.
Nommée en 2007 ministre de la Condition féminine dans le gouvernement Gizenga I, puis reconduite dans le gouvernement Gizenga II, elle lance en 2008 la ligne verte « 677 », destinée à informer les victimes de violences sexuelles sur les structures de prise en charge disponibles, dans le cadre d’une campagne nationale de sensibilisation.
Jeanine Mabunda, une des figures de premier plan
Jeanine Mabunda Lioko Mudiayi est une actrice politique majeure. Née le 10 avril 1964 à Kinshasa, elle a étudié le droit à l’Université catholique de Louvain, puis obtenu un master en sciences commerciales à l’ICHEC de Bruxelles.
Nommée ministre du Portefeuille en 2007, elle est ensuite conseillère spéciale du président Joseph Kabila pour la lutte contre les violences sexuelles. Élit députée en 2011, elle est réélue en 2018. Le 24 avril 2019, elle devient la première femme élue à la présidence de l’Assemblée nationale. Durant son mandat, elle se démarque par des initiatives sociales, notamment dans l’accès à l’eau potable et l’énergie. Sa destitution en décembre 2020 signe la rupture entre le FCC et le CACH. Elle reçoit le prix de la Femme d’Influence en 2019 et dirige la « Fondation Briser Le Silence ».
Judith Suminwa Tuluka, Première ministre de la République
Judith Suminwa Tuluka incarne une étape historique dans l’évolution de la représentation féminine en RDC. Le 1er avril 2024, elle est nommée Première ministre par le président Félix Tshisekedi, devenant ainsi la toute première femme à occuper ce poste dans l’histoire du pays. Économiste de formation, elle a fait ses études à l’Université catholique de Louvain en Belgique, où elle a obtenu une licence en économie. Avant sa nomination, elle a occupé le poste de ministre du Plan, se distinguant par sa rigueur et sa capacité à piloter les dossiers complexes liés au développement national.
Sa désignation à la tête du gouvernement constitue un symbole fort dans un contexte politique encore dominé par les hommes. Elle hérite d’un pays confronté à de nombreux défis, dont l’insécurité persistante à l’Est, les tensions sociales et les besoins accrus en gouvernance inclusive. Judith Suminwa représente un espoir renouvelé pour une gouvernance plus sensible aux questions de genre. Sa nomination a été saluée tant au niveau national qu’international, perçue comme une avancée significative dans la lutte pour l’égalité politique en RDC. Elle incarne la continuité de l’engagement de pionnières comme Sophie Kanza, tout en ouvrant une nouvelle ère pour les femmes congolaises.
Engagements des femmes en politique
À l’époque de la Conférence nationale souveraine (1990-1992), de nombreuses femmes s’engagent en politique malgré un terrain difficile. Cette période marque un tournant avec l’émergence d’organisations féminines réclamant plus d’égalité. Toutefois, leur représentativité reste marginale.
Conflits armés et transition (1996-2006)
Les guerres du Congo ont profondément affecté les femmes, mais ont aussi contribué à leur mobilisation politique. Des figures telles que Catherine Nzuzi wa Mbombo ou Marie Madeleine Kalala émergent. Julienne Lusenge, militante des droits humains, devient une figure internationale, notamment reconnue par l’ONU en 2019 parmi les vingt femmes les plus influentes au monde.
La parité homme-femme scellée dans la loi
L’article 14 de la Constitution de 2006 établit la parité hommes-femmes, mais sa mise en œuvre reste incomplète. En 2018, les femmes ne représentaient que 8,8 % de l’Assemblée nationale. Des mesures incitatives ont été introduites dans la loi électorale pour encourager les partis à aligner des femmes. Sous le gouvernement Sama Lukonde, la présence féminine a atteint 28 %, signe d’un progrès lent mais tangible.
Initiatives citoyennes et défis actuels
Des militantes comme Espérance Mawanzo mènent des initiatives pour promouvoir la parité, avec la mise en place d’un observatoire dédié. Les femmes jouent également un rôle important dans les ONG, les associations et la gouvernance locale. Toutefois, le patriarcat, les violences politiques et l’absence de soutien institutionnel continuent de freiner leur progression.
Mais le parcours de femmes comme Sophie Kanza, Jeanine Mabunda, Philomène Omatuku, Julienne Lusenge, Alphonsine Kalume ou encore Judith Suminwa montre que malgré les entraves, les femmes congolaises marquent l’histoire politique de leur empreinte, inspirant ainsi les générations futures.
Heshima