La décentralisation, inscrite dans la Constitution de 2006, visait à accorder plus d’autonomie aux provinces pour rapprocher l’administration des citoyens, favoriser le développement local et améliorer la gestion des ressources, en particulier celles des provinces. Plus de 17 ans après le début de la mise en œuvre de cette réforme, l’autonomie des entités locales reste encore un mirage. Pourtant, cette forme « hybride » de l’État est un précieux compromis trouvé entre les partisans de l’unitarisme et ceux du fédéralisme. Heshima Magazine explore les principaux enjeux et défis rencontrés dans le cadre de cette réforme.
Après avoir traversé plusieurs crises institutionnelles, la RDC s’est dotée en février 2006 d’une Constitution qui a théoriquement réorganisé l’exercice du pouvoir. Elle institue deux échelons de son exercice : le pouvoir central et la province, à l’intérieur de laquelle se trouvent des entités territoriales décentralisées. Selon l’article 3 de la loi fondamentale, le pays compte la ville de Kinshasa, capitale des institutions nationales, et 25 provinces. Kinshasa a également le statut de province. Depuis 2015, la RDC compte 26 provinces. Il s’agit du Bas-Uele, de l’Equateur, du Haut-Lomami, du Haut-Katanga, du Haut-Uele, de l’Ituri, du Kasaï, du Kasaï Central, du Kasaï Oriental, du Kongo Central, du Kwango, du Kwilu, de Lomami, du Lualaba, de Mai-Ndombe, du Maniema, de Mongala, du Nord-Kivu, du Nord-Ubangi, du Sankuru, du Sud-Kivu, du Sud-Ubangi, du Tanganyika, de la Tshopo et du Tshuapa.
Ces provinces et les entités territoriales décentralisées sont dotées de la personnalité juridique et sont gérées par les organes locaux. Toujours selon la Constitution, ces entités territoriales décentralisées sont la ville, la commune, le secteur et la chefferie. Elles jouissent de la libre administration et de l’autonomie de gestion de leurs ressources économiques, humaines, financières et techniques. Ces réformes ont démarré en 2008 avec la Loi n° 08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces. Elles se sont poursuivies avec le découpage territorial de certaines provinces en 2015.
Le transfert de compétences vers les provinces reste incomplet
Après le passage de 11 à 26 provinces, la Constitution prévoit que ces entités bénéficient d’une autonomie, d’une libre administration, ainsi que du transfert de compétences et de ressources. En 2025, force est de constater que le pouvoir central continue d’exercer une influence sur les provinces et les autres entités. En 2018, le gouvernement avait initié un forum pour faire l’état des lieux de la décentralisation. Lors de la deuxième édition, en 2019, le gouvernement avait constaté une mise en œuvre mitigée de cette réforme. En instituant ce forum, le gouvernement cherche à identifier les acquis, les échecs et les éventuelles corrections. Parmi les recommandations pour renforcer la mise en œuvre de la décentralisation, le gouvernement du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a prévu la création d’un projet d’appui. Ce projet vise à assurer une coordination plus efficace de la décentralisation, à favoriser la construction et la réhabilitation des bâtiments à usage administratif et résidentiel en province et dans les entités territoriales décentralisées, et à appuyer l’opérationnalisation de la Caisse nationale de péréquation.
Caisse nationale de péréquation presque abandonnée
Véritable outil d’équilibre entre les provinces nanties et les moins nanties, la Caisse nationale de péréquation (CNP) n’est toujours pas fonctionnelle à 100 %. Bien que prévue depuis 2006 (article 181), la Caisse n’a été légalement créée qu’en 2018 (Ordonnance n°18/037 du 24 novembre 2018). Sa mise en œuvre souffre de retards, de blocages politiques et d’un manque de volonté effective du pouvoir central. Cette caisse est un mécanisme clé prévu par la Constitution pour accompagner la décentralisation et réduire les inégalités de développement entre les provinces. Les provinces comme celles de Mai-Ndombe, Kwilu, Mongala, Haut-Lomami, Sankuru et tant d’autres restent très pauvres. Aucun projet de développement majeur n’est envisagé dans ces provinces. En juillet 2023, le Centre des recherches en finances publiques et développement local (CREFDL) a dénoncé les « intérêts obscurs » qui entravent le fonctionnement de cette caisse. Cette structure note qu’après analyse technique de plus d’une centaine de documents relatifs à l’opérationnalisation de cette caisse, le bilan reste catastrophique, y compris sous le président Félix Tshisekedi. « Le bilan reste catastrophique. La CNP n’a jamais été redynamisée malgré la nomination de nouveaux animateurs. Sur les 4,1 milliards USD alloués dans la loi des Finances (2019-2023) pour financer les investissements des provinces et des ETD, le Trésor public n’a décaissé que 76 millions USD, soit seulement 2,7 % », dénonçait CREFDL en 2023. Cette insuffisance de financement des provinces moins nanties, combinée avec les difficultés de rétrocession de 40 % des recettes nationales aux provinces, constitue des obstacles majeurs pour l’autonomie financière de ces entités.
Les ETD font figure de parent pauvre
Les Entités territoriales décentralisées (ETD), comprenant les communes, secteurs et chefferies, sont censées jouer un rôle clé dans le processus de décentralisation et dans la fourniture des services de base de proximité. Cependant, leur viabilité reste gravement compromise par une série de contraintes structurelles, financières, administratives et politiques. Ces entités souffrent de problèmes de financement. « Les frais de fonctionnement arrivent parfois à compte-goutte », révèle un administrateur du territoire au Kongo Central. « Tout en fragilisant la Caisse Nationale de Péréquation, des structures ad hoc sont utilisées pour mettre en œuvre des projets d’investissements dans les provinces et ETD, en violation de la loi sur la libre administration des provinces et de la Constitution », dénonçait CREFDL. Des projets censés être menés par des administrateurs des territoires sont parfois pilotés par d’autres structures. Ce qui éloigne davantage les administrés de leur administration de proximité.
Les ETD sont pourtant dotées de la personnalité juridique, de la libre administration, et sont supposées disposer de compétences propres en matière de développement local, gestion des ressources naturelles, voirie, éducation primaire, santé de base, etc. Mais à ce jour, elles dépendent encore en majorité du pouvoir central. Certaines ETD bénéficient d’un potentiel local important, comme les taxes locales, les ressources naturelles ou une population active. Mais la dynamique de développement devrait venir de l’autonomie légale leur conférée par la Constitution.
Risque d’un faible intérêt des citoyens des ETD
Le fait pour le gouvernement central de conduire la plupart des projets de développement local crée une faible implication des citoyens dans la gestion des affaires locales. Autre fait qui suscite le manque d’intérêt pour le pouvoir local, c’est l’absence d’élections locales depuis des décennies. Selon la Constitution, les chefs de secteur, bourgmestres et leurs adjoints devraient être élus par la population locale. Mais à ce jour, ils sont encore nommés par le président de la République. « L’arrivée de ces autorités locales nommées est perçue comme un cheveu dans la soupe. Elles ne créent pas une proximité avec les administrés locaux. Il faut respecter la loi en organisant des élections locales », explique un ancien chef de secteur à Masimanimba, dans la province du Kwilu. Pour lui, un tel processus permettra de résoudre aussi le problème de redevabilité et de transparence dans la gestion locale. D’après lui, s’il y a élections, les actions de ces élus locaux seront ainsi surveillées par leurs électeurs.
Une occasion de taire les divergences sur le fédéralisme
La décentralisation en RDC a permis des avancées législatives notables, mais des défis structurels, politiques et financiers persistent. Pour l’écrivain Michel Liégeois, le choix du constituant congolais en faveur d’un État fortement décentralisé constitue une évolution décisive de l’organisation politique et administrative de la RDC. « Cette orientation institutionnelle rapproche la RDC d’un État fédéral, sans pour autant adopter officiellement cette forme », affirme-t-il dans son ouvrage intitulé « La décentralisation en RD Congo : enjeux et défis ». Cela permet de surmonter les divergences entre les partisans du fédéralisme et ceux de l’État unitaire, tout en réduisant le risque de balkanisation du pays.
En avril, l’ancien ministre du Plan, Olivier Kamitatu, proche de l’opposant Moise Katumbi, avait relancé le débat sur le fédéralisme, suscitant une levée de boucliers de la part de ceux qui voient dans ce débat un séparatisme rampant. « Je m’y oppose », avait rétorqué Marie-Ange Mushobekwa, ancienne ministre des Droits humains. Ce cadre du Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila avait souligné que la Constitution en vigueur, bien que théoriquement unitaire, présente des « éléments hybrides » proches du fédéralisme. « Le juste milieu pour tout le monde », avait-elle tranché, soulignant l’importance de mettre en œuvre ce compromis trouvé à Sun City en 2003 entre les belligérants.
Dans cette décentralisation, les assemblées provinciales devraient remplir correctement leur rôle de contrôle des exécutifs provinciaux pour une meilleure application de cette réforme majeure.
Heshima