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Avec 2,3 milliards USD, la police congolaise au cœur d’une réforme ambitieuse

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La République démocratique du Congo (RDC) a entamé depuis quelques années un processus de réforme profonde du secteur de la sécurité. Après la loi de Programmation militaire des Forces armées de la RDC (FARDC), le gouvernement a présenté un projet de loi ambitieux au Parlement pour refonder une institution souvent critiquée pour des dérapages et divers abus. Passant de la Garde civile zaïroise à la Police nationale congolaise (PNC), cette institution peine encore à réussir sa mutation doctrinale vers une police de proximité plutôt qu’une force militarisée de répression. Heshima Magazine relève certaines faiblesses décelées dans ce service et décrypte ce projet de réformes.

Pour réformer cette grosse machine de sécurité, le gouvernement met des grands moyens : de 2,3 milliards de dollars sont prévus sur cinq ans, soit de 2025 à 2029. Le 16 mai 2025, le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur et Sécurité Jacquemain Shabani a défendu ce projet de loi à l’Assemblée nationale. Le texte prévoit un programme de réformes qui va nécessiter la mobilisation de moyens considérables.

Former 90 000 policiers pour renforcer l’effectif

En sous-effectif quasi permanent, la police a toujours du mal à accomplir efficacement sa mission régalienne. Il se constate une répartition inégale des effectifs sur le territoire national. Au Sud-Kivu, par exemple, après le départ des casques bleus pakistanais, la Police nationale congolaise n’a pas pu réoccuper pleinement la province. Fin avril 2024, plus de la moitié des 115 policiers censés occuper la base de Kamanyola l’avaient désertée, selon le constat d’un journaliste de l’Agence France-Presse (AFP). Le peu de policiers qui restaient se plaignaient de leurs conditions de vie et de l’absence de rémunération. « Un policier qui passe deux jours sans manger alors qu’il a une arme, ça devient facile pour lui d’attaquer de paisibles citoyens » pour se ravitailler, dénonçait Joe Wendo, un acteur de la société civile locale. La plaine de la Ruzizi, située aux confins du Rwanda et du Burundi, est parfois présentée comme un haut lieu de braquages et de kidnappings. Le sous-effectif de la police et le déficit de sa logistique dans ces zones ne favorisent pas une bonne présence de l’autorité de l’Etat dans cette partie du pays.

La ville de Kinshasa, loin d’être à l’abri, est aussi frappée par le problème d’effectif. Dans les quartiers reculés comme Lutendele, à l’ouest de la capitale, il existe très peu de postes de police, faute de logistique et du personnel policier. Il en est de même pour d’autres quartiers de l’est. « C’est ainsi qu’il y a des civils qui portent des uniformes de la police sans formation au préalable. Il y a une vraie crise d’effectif dans l’institution », a réagi le commandant d’un Sous-commissariat à Mikondo, un quartier du district de la Tshangu. Un procès en flagrance à Kinshasa a mis à nu cette réalité : aucun policier parmi les prévenus n’a été formé et porte un matricule reconnu par l’Etat congolais. La plupart de ces éléments sont des proches des commandants de Sous-commissariat qui, à force de se côtoyer, finissent par leur octroyer des uniformes et parfois des armes. En 2024, l’ancien ministre de l’Intérieur Peter Kazadi avait avoué l’existence de ce problème : « Je connais les effectifs de la Police, mais je ne peux pas le dire à la place publique. Mais, dans ces effectifs, il y a aussi beaucoup de fictifs. Nous allons châtier tous ceux qui sont à la base de ces fictifs. »

Dans le nouveau programme de la police, le gouvernement veut mettre un terme à ces pratiques. Pour combler le déficit, le projet de réformes prévoit la professionnalisation de la police. Cela comprend le recrutement et la formation de 90 000 policiers. Parmi ces éléments figureront des unités d’intervention, mais aussi des policiers de proximité. Cela est un besoin urgent, dans un pays confronté à la montée des gangs urbains communément appelés « Kuluna ». Sur le plan du coût, ce volet du projet absorbera plus de 72 % du budget prévu dans la loi de programmation de la police en examen.

Mise à la retraite de 10 000 policiers

La Police nationale congolaise rencontre des difficultés notamment administratives pour la mise à la retraite de ses agents. Plusieurs policiers déjà âgés continuent de travailler, dépassant largement l’âge de la retraite. « Si je reste à la maison, l’Etat va m’oublier. Rien n’est prévu pour notre retraite », déclare Séraphin Mutombo, un policier sexagénaire travaillant dans la commune de Mont-Ngafula, à l’ouest de Kinshasa. Dans la réforme initiée par le gouvernement appuyé par les Nations Unies, le plan prévoit la mise à la retraite de 10 000 policiers d’ici à 2028. La construction ou la réhabilitation d’infrastructures pour les policiers et un investissement massif dans les équipements de ce service figurent aussi en bonne place. Rien que pour cela, le programme dispose de près d’un milliard de dollars.

Renforcer le cadre institutionnel

Une autre priorité dans la loi de programmation de la police, c’est le renforcement du cadre institutionnel. La police est confrontée à de nombreux défis, notamment en raison de problèmes financiers, de formation et de corruption. Les officiers gagnent des salaires faibles, manquent de ressources pour leurs activités et sont parfois accusés de dérapages et d’abus de pouvoir. « Notre commandant nous dit souvent : ‘‘vous êtes là assis en train de me regarder, sachez que je n’ai pas d’argent pour vous offrir le pain, allez le chercher auprès des civils dans la rue’’ », témoigne un policier à Binza Delvaux. Après ce genre d’instruction, ces éléments vont se disperser en groupe à travers les rues de la capitale pour tracasser les vendeurs, motocyclistes, taximen et autres usagers de la route. Une pratique constamment décriée par les Congolais dans leur majorité. En janvier dernier, une opération de l’Inspection Provinciale de la Police de Kinshasa a ainsi conduit à l’arrestation de dix-huit policiers et militaires. Le général Blaise Kilimbalimba, commandant de la Police de Kinshasa à l’époque, a expliqué que ces agents avaient abusé de leur statut pour commettre des crimes. Ces éléments extorquaient les biens des civils. « Il y en a qui sont dans les visites domiciliaires indésirables, d’autres dans des déviations des missions. Donc ce sont des bandits se retrouvant dans les différents services [de police]. Nous sommes en train de les découvrir, et les arrêter jusqu’à leur dernier retranchement pour la tranquillité publique », avait décrié Blaise Kilimbalimba.

Face à ces dérives, le gouvernement veut poser les bases d’une police mieux organisée, avec des structures solides et cohérentes. Dans la logique de renforcer l’efficacité, depuis quelques années, la Police d’intervention rapide (PIR) a été rebaptisée Légion nationale d’intervention (LENI). La LENI est une unité d’élite de la police, formée dans le cadre du programme européen EUPOL-RDC. Elle est chargée de missions d’intervention rapide et d’antiterrorisme. Actuellement, ce service est dirigé par le commissaire général Jean-Félix Safari. La réforme dans cet aspect institutionnel va coûter plus d’un quart du budget, soit environ 600 millions de dollars.

Réputés aussi pour leur communication difficile avec les civils, les éléments de la police vont aussi bénéficier d’une mise à niveau. Au-delà de cet aspect de formation, il y a un axe de la réforme qui porte sur le dialogue entre la police et la population. Moins de budget est réservé à ce volet : presque 3 % de l’enveloppe globale, soit un peu plus de 51 millions de dollars.

Un programme conçu avec les Nations Unies

Le programme de réformes de la police a été conçu entre le gouvernement et le système des Nations Unies. En octobre 2024, Jacquemain Shabani avait présenté ce projet aux partenaires techniques et financiers du gouvernement. « C’est un programme conjoint conçu avec les Nations Unies pour développer la Police nationale congolaise », affirme un diplomate de l’ONU en RDC. Ce programme a été conçu sous le lead du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) avec la participation de plusieurs autres agences comme l’Organisation Internationale de Migration (OIM), ONU-HABITAT, l’Office du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH), et la MONUSCO.

De la Garde civile à la PNC, un long chemin de réforme

Entamée après la chute du régime du président Mobutu en 1997, la réforme de la Police nationale congolaise connaît un long chemin. Sous Mobutu, ce service s’appelait Gendarmerie nationale, mais une grande unité célèbre sortait la tête du lot : la Garde civile zaïroise. Cette Garde civile a été créée en 1984 par le président Mobutu, alors dirigeant du Zaïre (nom de la RDC entre 1971 et 1997). Elle avait pour mission principale de maintenir l’ordre public et de lutter contre la criminalité, en complément des forces régulières (notamment la police et l’armée).

Elle s’inscrivait aussi dans la volonté de Mobutu de diversifier les forces de sécurité afin d’éviter qu’une seule force devienne trop puissante et menace son pouvoir. Certaines sources indiquent que cette unité a été créée après des combats dans le Shaba (actuel grand Katanga) entre soldats zaïrois et zambiens. Elle était notamment chargée de la sécurité aux frontières, de la lutte contre les trafics illégaux et le terrorisme, et de la restauration de l’ordre public. Dirigée par le célèbre général Kpama Baramoto Kata, la Garde civile était perçue par une partie de l’opinion comme un instrument de répression pour mater l’opposition et d’autres voix dissidentes dans la société civile. Entre les années 90-95, la Garde civile et la Division spéciale présidentielle (DSP) faisaient partie des unités les plus équipées et respectées du pays. Elle regroupait officiellement 26 000 hommes avec un budget qui n’avait rien à envier aux Forces armées zaïroises (FAZ), pourtant quatre fois plus nombreuses que les éléments de la Garde civile.

À la chute du régime de Mobutu en 1997, avec l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir, la Garde civile a été dissoute ou intégrée dans d’autres forces armées. Beaucoup de ses éléments ont été intégrés dans les nouvelles Forces armées congolaises (FAC) de l’époque, créées par Laurent-Désiré Kabila. Avec le recul, cette Garde civile est perçue comme un symbole de la militarisation de l’ordre public sous Mobutu. Elle incarne également l’une des multiples forces parallèles créées dans le but de consolider un régime autoritaire, souvent au détriment des droits humains et de la démocratie.

1997 : D’une force de police hybride à la PNC

Après sa prise de pouvoir, le président Laurent-Désiré Kabila dissout plusieurs structures de l’ancien régime, y compris la gendarmerie nationale et la Garde civile, qui étaient les principales forces de sécurité intérieure sous Mobutu. Il crée alors une force de sécurité hybride appelée Police nationale congolaise (PNC). Mais dans un contexte de guerre civile (Première et deuxième guerre du Congo), la ligne de démarcation entre militaires et policiers est restée floue. Ce service peu organisé et encore brouillon n’avait pas connu de succès. Laurent-Désiré Kabila tentait de l’organiser avec des moyens de bord.

À Kinshasa, des recrutements et formations des civils se faisaient dans des terrains de football, notamment au stade Vélodrome de Kintambo. Peu professionnelle et mal formée, la PNC sera souvent accusée d’abus. Après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila en janvier 2001, la police va de nouveau connaître une réforme en 2003. Cette fois-là, elle sera sous supervision internationale. Le régime de transition issu de l’accord de Sun City va conduire des réformes avec l’appui de la communauté internationale (MONUC puis MONUSCO). La Police nationale congolaise (PNC) est véritablement créée en 2002 par la loi comme une force apolitique, professionnelle et civile, distincte des forces armées. La PNC devient l’unique force de police nationale au pays, avec pour mission : le maintien de l’ordre public, la sécurité des personnes et des biens, la prévention et la répression de la criminalité. Elle est dirigée par le général John Numbi. En 2010, à la suite de l’assassinat du militant des droits de l’homme Floribert Chebeya et de son chauffeur Fidèle Bazana, le général John Numbi, alors chef de la PNC, est suspendu. Charles Bisengimana assure l’intérim à la tête de la police congolaise. Né le 21 août 1964 à Bibangwa, dans le Haut-Plateau d’Uvira, dans la province du Sud-Kivu, ce spécialiste en droit, criminologie et sciences policières de l’Académie de police d’Égypte va être confirmé à son poste par le président Joseph Kabila. Sous sa direction, la PNC met en place des unités spécialisées dans la protection de l’enfance et la lutte contre les violences faites aux femmes. Charles Bisengimana n’hésite pas à se féliciter de la transformation de la RDC, autrefois qualifiée de « capitale mondiale du viol », en un modèle de lutte contre ces violences. Même si sa direction de la police a été émaillée des critiques suite à la répression sanglante des manifestations populaires en 2015, 2016 et 2017. Il sera remplacé 7 ans plus tard par le général Dieudonné Amuli, un transfuge des FARDC.

2025 : Tshisekedi fait le ménage au sein de la Police 

Tout au long de son existence, la PNC a été soumise à plusieurs réformes. Ce processus s’est souvent heurté à de nombreux défis, même si des avancées notables ont également été enregistrées. En 2025, dans une série d’ordonnances signées le 28 mars et rendues publiques le 2 avril, le président de la République, Félix Tshisekedi, a procédé à la nomination des commissaires provinciaux de la police, ainsi que d’autres responsables de ce service. Une décision qui intervient après des changements opérés fin 2024 au sein des FARDC.

« Le président est dans une quête permanente de l’efficacité de nos forces de défense et de sécurité », résume un analyste des questions sécuritaires. En 2023, le patron de la Police, Dieudonné Amuli, a été admis à la retraite. Félix Tshisekedi a alors nommé Benjamin Alongaboni à la tête de l’institution. D’autres nominations et permutations ont été effectuées au sein des commissariats provinciaux, mais aussi dans différentes directions de la police.

À Kinshasa, le commissaire divisionnaire Israël Kantu Bankulu a été nommé commandant de ville, en remplacement du commissaire divisionnaire adjoint Blaise Kilimbalimba, désormais affecté comme commandant de la police dans la province du Haut-Katanga. L’ancien chef de la police de Kinshasa, Sylvano Kasongo, précédemment affecté au Kasaï, prend désormais la direction de la province du Bas-Uélé.

D’autres services de la police ont également connu des changements d’animateurs. Le commissaire Ngoy Sengolakio a été nommé commandant de l’Unité de protection des hautes personnalités (UPHP). Le commissaire divisionnaire Elias Tshibangu Tumbila a été désigné inspecteur général adjoint de la PNC, chargé de l’appui et de la gestion au sein du Commandement de l’Inspection générale. Quant au commissaire divisionnaire Isaac Bertin Balekukayi Mwakadi, il a été nommé commissaire général adjoint chargé de la Police judiciaire, au sein du Commandement du commissariat général de la PNC.

La hiérarchie de la police est demeurée stable. Depuis 2023, elle est dirigée par le commissaire divisionnaire principal Benjamin Alongaboni.

Comme dans les rangs de l’armée, Félix Tshisekedi souhaite une montée en puissance du service de police. Avec ce programme de réforme ambitieux, Kinshasa entend redorer l’image d’une police longtemps critiquée pour son inefficacité dans la protection des civils. Les cinq prochaines années seront déterminantes pour tester la mise en œuvre de ces réformes.

Heshima Magazine

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