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Un vent de réformes en Afrique : Les anciens dirigeants doivent désormais rendre des comptes

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L’Afrique amorce un tournant décisif : d’anciens présidents, ministres et hauts responsables, de la Mauritanie à la RDC, sont désormais rattrapés par la justice pour corruption, crimes de guerre ou abus de pouvoir. Ces poursuites marquent une rupture avec l’impunité passée et rappellent que nul n’est au-dessus des lois. En RDC, où certains jouent sur le terrain dangereux de la division tribale dans l’intention de discréditer la justice, l’enjeu est particulièrement fort. Une justice impartiale est essentielle pour renforcer la démocratie, restaurer la confiance citoyenne et poser les bases d’un avenir durable.

Mauritanie : un verdict qui brise l’impunité

En Mauritanie, la condamnation de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz à quinze ans de prison, prononcée le 15 mai 2025 par la Cour d’appel de Nouakchott, constitue un jalon historique. Accusé d’abus de pouvoir, d’enrichissement illicite et de blanchiment d’argent, Aziz aurait accumulé une fortune illégale de 70 millions de dollars à travers des sociétés écrans et des comptes offshore, comme l’ont révélé des preuves solides, notamment des transactions via BGFIBank. Cette sentence, alourdissant une peine initiale de cinq ans, s’accompagne d’une amende de 3 millions de dollars et de la confiscation de ses avoirs. Bien que ses avocats dénoncent un procès politique lié à son différend avec son successeur, Mohamed Ould Ghazouani, ce verdict est un signal puissant. Un commerçant de Nouakchott s’exclame : « Enfin, un président doit rendre des comptes ! Cela montre que la justice peut fonctionner, même pour les puissants. » Ce précédent doit inciter tous les anciens dirigeants à agir avec intégrité, sachant que leurs actions seront scrutées et jugées.

RDC : un test décisif pour la justice et l’unité nationale

En République démocratique du Congo (RDC), les poursuites contre l’ancien président Joseph Kabila et l’ex-Premier ministre Augustin Matata Ponyo incarnent à la fois l’espoir d’une justice sans compromis et les défis d’un pays fracturé. Le ministre de la Justice, Constant Mutamba, a requis le 1er mai 2025 la levée de l’immunité de sénateur à vie Joseph Kabila pour des accusations de haute trahison et de soutien au groupe rebelle M23, actif dans l’Est du pays. Ces soupçons sont alimentés par des éléments troublants : Kabila aurait été à Goma, une ville sous contrôle du M23, en provenance de Kigali, la capitale rwandaise, un choix perçu comme une provocation. The Africa Report note que ce passage, dans une zone où le Rwanda est accusé d’ingérence, renforce les allégations de connivence avec Paul Kagame. Des rencontres entre des proches de Kabila et des figures ayant dialogué avec Kagame, ainsi que l’implication de son proche, Corneille Nangaa, un allié dans une coalition incluant le M23, aggravent ces accusations.

Les activités du parti de Kabila, le PPRD, a été suspendu le 20 avril 2025 par le ministre de l’Intérieur, qui a également requis sa dissolution pour « silence complice » face à l’occupation par le M23, selon Al Jazeera. Le gouvernement a ordonné la saisie des biens de Kabila et de ses proches, et des perquisitions ont visé ses propriétés à Kinshasa. Bien que Kabila nie tout lien avec le M23, son silence face à ces accusations et son retour controversé à Goma alimentent les spéculations. Un ouvrier de Goma s’indigne : « Si Kabila soutient les rebelles, il doit être jugé avec des preuves. Tous nous sommes égaux devant la loi. » Ces poursuites, si elles aboutissent, pourraient marquer un tournant dans la lutte contre l’impunité en RDC, à condition qu’elles soient menées avec rigueur et transparence.

Augustin Matata Ponyo, jugé depuis août 2023 pour le détournement de 205 millions de dollars dans le projet agro-industriel de Bukanga Lonzo, incarne un autre exemple de cette dynamique. Selon un rapport de l’Inspection Générale des Finances (IGF), ces fonds publics ont été mal gérés sous sa supervision. Matata, président d’un parti politique d’opposition, dénonce un complot politique le visant parce qu’il serait opposant au régime. Un étudiant de Lubumbashi tempère : « Matata a forcément détourné de l’argent à Bukanga-Lonzo. Qu’il rende des comptes : ce projet, qui a englouti des centaines de millions de dollars, n’a jamais vraiment démarré. S’il est innocent, il ne devrait pas chercher à échapper à la justice. »

Afrique du Sud : la persévérance d’une justice indépendante

En Afrique du Sud, les poursuites contre Jacob Zuma, président de 2009 à 2018, témoignent de la force d’une justice déterminée à faire respecter la loi. Accusé de corruption dans une affaire de contrat d’armement datant de 1999, Zuma a été jugé pour fraude, racket et blanchiment d’argent. Sa condamnation en 2021 pour outrage à la cour, qui l’a vu purger une peine de 15 mois, prouve que même les anciens chefs d’État ne sont pas intouchables. Une commerçante de Johannesburg s’enthousiasme : « Voir Zuma face à la justice montre que personne n’est au-dessus de la loi. C’est un exemple pour l’Afrique. »

Burkina Faso et Soudan : solder les comptes du passé

Au Burkina Faso, la condamnation à vie par contumace de Blaise Compaoré pour l’assassinat de Thomas Sankara en 1987 montre que la justice peut panser les blessures historiques. Bien qu’en exil en Côte d’Ivoire, ce verdict symbolique rappelle aux anciens dirigeants que leurs crimes ne resteront pas impunis. Au Soudan, Omar El-Beshir, déchu en 2019, a été condamné pour corruption après la découverte de 130 millions de dollars à son domicile, et il reste visé par des mandats de la Cour Pénale Internationale pour crimes de guerre au Darfour. Un intellectuel de Khartoum affirme : « Juger El-Beshir, même tardivement, est un message aux dirigeants : tôt ou tard vous répondrez de vos actes. »

La justice : un levier pour la démocratie et le progrès

Les poursuites contre Aziz, Kabila, Matata, Zuma, Compaoré et El-Beshir marquent une rupture avec l’impunité qui a trop longtemps freiné l’Afrique. En Mauritanie, la condamnation d’Aziz établit un précédent ; en RDC, les enquêtes contre Kabila et Matata visent à démanteler des réseaux de corruption, de destabilisation et de trahison ; en Afrique du Sud, au Burkina Faso et au Soudan, les procès de Zuma, Compaoré et El-Beshir montrent que la justice peut s’appliquer à tous. Une justice transparente et équitable est le cœur de la démocratie : elle garantit que les ressources publiques servent le bien commun, renforce la confiance des citoyens et attire les investissements nécessaires au développement. Un entrepreneur de Kinshasa résume : « Sans justice, pas de progrès. Les dirigeants doivent savoir qu’ils seront jugés pour leurs actes. »

Surmonter le tribalisme en RDC : un impératif pour l’unité

En RDC particulièrement, mais également dans d’autres pays du continent, une constante s’observe lorsque d’anciens dirigeants sont mis en cause : le réflexe identitaire. Dès qu’un responsable politique est appelé à répondre de sa gestion, ses partisans brandissent systématiquement l’argument de la persécution ethnique ou régionale.

« C’est un mécanisme de défense qui empoisonne notre vie politique », déplore le professeur Emmanuel Kasongo de l’Université de Kinshasa. « En transformant toute procédure judiciaire en conflit communautaire, on paralyse l’action de la justice et on entretient un climat d’impunité qui favorise la corruption à tous les niveaux. »

À Kinshasa, Marie Bompengo, commerçante au marché central, ne cache pas sa frustration : « Chaque fois qu’un politique est accusé de corruption, ses partisans descendent dans la rue en criant à la discrimination. Mais l’argent volé appartient à tous les Congolais, pas seulement à une tribu ou à une province ! Comment peut-on construire un pays uni si certains se croient au-dessus des lois ? »

À Goma, dans l’Est du pays, David Mutombo, enseignant, partage ce sentiment par téléphone : « Notre pays ne pourra jamais se développer tant que certains s’estimeront intouchables en raison de leur appartenance ethnique. La justice doit s’appliquer à tous, sinon nous resterons dans le sous-développement et les conflits permanents. »

Au-delà des clivages : la justice comme socle de la démocratie et moteur du développement

L’Afrique se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. D’un côté, la persistance des réflexes identitaires et la tentation d’instrumentaliser la justice à des fins politiques ; de l’autre, l’aspiration croissante des populations à une véritable redevabilité des élites dirigeantes.

La justice n’est pas un luxe institutionnel ou une simple option politique. Elle constitue le socle fondamental sur lequel repose toute démocratie viable et le moteur essentiel de tout développement durable. L’équation est simple mais implacable : sans justice indépendante et impartiale, pas de confiance dans les institutions ; sans cette confiance, pas d’investissements sécurisés ni d’initiatives économiques pérennes ; et sans ces derniers, pas de développement véritable.

« Les pays qui prospèrent économiquement sont invariablement ceux où la justice fonctionne, où les contrats sont respectés, où la corruption est sanctionnée », affirme le professeur Léonard Matala-Tala, expert en gouvernance à l’Université de Lubumbashi. « Ce n’est pas un hasard si les nations les plus développées sont aussi celles où l’État de droit est le plus solidement ancré. »

En RDC particulièrement, la question de la lutte contre l’impunité se heurte à la fragmentation ethnique et régionale du pays. Pourtant, c’est précisément dans ce contexte que la justice impartiale apparaît comme le seul ciment capable de consolider l’unité nationale et d’ouvrir la voie au développement. Une justice qui s’applique à tous, sans distinction d’origine, de rang ou d’affiliation politique.

L’expérience mondiale est éclairante à cet égard. Des pays comme le Rwanda ou le Botswana ont démontré qu’une gouvernance rigoureuse et une lutte efficace contre la corruption constituaient des facteurs décisifs de développement en Afrique. À l’inverse, les États où règne l’impunité sont généralement ceux qui stagnent économiquement, malgré des ressources parfois considérables.

« Quand un responsable peut détourner des millions sans crainte de sanction, c’est non seulement l’argent public qui disparaît, mais aussi la confiance citoyenne et l’espoir collectif », observe Joseph Kabemba, économiste congolais. « Les investisseurs, tant nationaux qu’étrangers, fuient les environnements où les règles peuvent être bafouées impunément par les puissants. »

À Kisangani, François Lisanga, entrepreneur, témoigne de cette réalité : « Comment développer une entreprise quand vous savez que la concurrence déloyale des entreprises liées au pouvoir ne sera jamais sanctionnée ? Quand les marchés publics sont attribués selon des critères opaques ? La justice n’est pas un concept abstrait, c’est le préalable à toute activité économique saine. »

« La vraie démocratie exige que tout gestionnaire des deniers publics puisse rendre des comptes s’il y a des faits avérés », souligne Maître Claudine Tshibanda, avocate spécialisée en droit constitutionnel. « Ce n’est pas une question d’acharnement ou de vengeance, mais simplement l’application du principe fondamental d’égalité devant la loi, sans lequel aucune société ne peut espérer prospérer. »

Pour que cette évolution se confirme, les institutions judiciaires doivent gagner en indépendance et en crédibilité. Les procédures en cours contre d’anciens dirigeants constituent un test décisif pour la maturité démocratique des États concernés. Leur issue déterminera si l’Afrique s’engage véritablement sur la voie d’une gouvernance plus transparente et plus redevable, préalable indispensable à un développement inclusif et durable.

« La prospérité n’est pas qu’une affaire de ressources naturelles ou d’investissements », observe Michel Kalumba, professeur d’économie du développement. « Si c’était le cas, la RDC serait parmi les pays les plus riches du monde. Ce qui fait défaut, c’est un cadre institutionnel où la règle de droit l’emporte sur les connexions personnelles, où la compétence prime sur l’appartenance. Sans ce cadre, que seule une justice forte peut garantir, les richesses continueront à profiter à une élite prédatrice plutôt qu’à la population. »

Le chemin vers une culture politique fondée sur la responsabilité et la redevabilité reste semé d’embûches. Mais les poursuites engagées contre d’anciens dirigeants, qu’elles aboutissent ou non, témoignent d’une prise de conscience : nul, désormais, ne peut se considérer définitivement à l’abri de la justice. Cette évolution, si elle se confirme, pourrait constituer le tournant historique dont l’Afrique a besoin pour transformer son immense potentiel en développement concret pour ses populations.

Comme le résume avec force Mme Solange Kambidi, juge à Kinshasa : « La justice n’est pas un luxe que l’Afrique pourrait s’offrir une fois développée. C’est au contraire la condition préalable à tout développement authentique et durable. Sans elle, nous bâtissons sur du sable. »

Un appel aux dirigeants : assumez vos responsabilités

L’Afrique est à un tournant. Les poursuites contre les anciens dirigeants ne sont pas seulement des procès ; elles sont un appel à tous les gestionnaires publics à agir avec intégrité. En RDC, surmonter le tribalisme exige une justice indépendante, soutenue par des institutions fortes et des citoyens vigilants. Un avocat de Matadi rêve : « Une justice qui juge les faits, pas les origines, est la seule voie pour un Congo fort et prospère. » Cet idéal doit inspirer le continent entier. Les anciens dirigeants doivent savoir que leurs actions auront des conséquences, et les actuels doivent gouverner avec la conscience qu’ils devront rendre des comptes. C’est ainsi que l’Afrique bâtira des démocraties solides et des sociétés tournées vers le progrès.

Heshima Magazine

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