Le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et celui du Rwanda négocient depuis quelques mois un accord de paix à Washington, aux États-Unis. Parallèlement, des négociations se font avec le Mouvement du 23 mars (M23) à Doha, au Qatar. La seule question qui reste en suspens, c’est celle de l’avenir des Wazalendo (patriotes en swahili) après la fin du conflit. Une question qui soulève de nombreux enjeux sécuritaires, politiques et sociaux.
Depuis 2022, les « Wazalendo » – des groupes d’autodéfense populaires – combattent aux côtés des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) dans la lutte contre le M23 et l’armée rwandaise dans l’est de la RDC. En 2023, le gouvernement a formalisé cette collaboration en instituant une Réserve armée de la défense (RAD) dans laquelle sont insérés certains groupes de ces Wazalendo. Depuis le début des discussions de paix à Doha, sous l’égide de l’émir du Qatar, la rébellion de l’AFC/M23 a cessé sa progression fulgurante vers d’autres villes congolaises. Certains de ses responsables politiques et militaires discutent avec la délégation du gouvernement dans cette monarchie du Golfe Persique. Pourtant, sur le théâtre du conflit, les armes n’ont jamais cessé de crépiter. Mi-avril 2025, une action de guérilla livrée en solo sans l’appui des FARDC a semé la panique à Goma, Walikale, Nyiragongo, Kavumu, Walungu et Mwenga. Ces miliciens Wazalendo ont affronté les rebelles du M23 pendant trois jours d’affilée.
Dans un communiqué de l’AFC/M23, cette rébellion accuse la coalition des forces de la SADC (SAMIDRC), les FARDC, les Wazalendo et les FDLR (un groupe armé composé de hutus rwandais formé par d’anciens génocidaires) d’avoir attaqué leurs positions notamment à Goma. Une accusation démentie par l’armée congolaise. Ce scénario a esquissé les défis sécuritaires majeurs qui attendent le pays après les accords de paix qui pourraient être signés avec le Rwanda et le M23.
Maï Maï hier, Wazalendo aujourd’hui…
Les Maï-Maï d’hier, les Wazalendo d’aujourd’hui… Ces groupes d’autodéfense ne sont pas tous nés pendant la guerre du M23 appuyé par l’armée rwandaise. Si certains ont vu le jour suite à un besoin de défendre leur terre, d’autres existaient avant l’aggravation de ce conflit. Ils s’appelaient des groupes Maï-Maï, remontant parfois depuis la première et la deuxième guerre du Congo (1996-2003). Ces Maï-Maï d’hier ont pris le nom de Wazalendo aujourd’hui. Ce phénomène Wazalendo, comme le décrit William Amuri Yakutumba, commandant des forces Wazalendo de la Coalition nationale du peuple pour la souveraineté du Congo (CNPSC), est né en 1996 à la suite des guerres à répétition que connaît la RDC.
« Lorsque la population de l’est, se retrouvait abandonnée à elle-même, sans aucune sécurité et lorsque l’est du pays avait été envahi par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, c’est ainsi que la population a pris l’initiative de prendre les armes pour combattre cette agression étrangère », a-t-il expliqué à la BBC. William Amuri Yakutumba fait référence à des groupes armés tels que le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD-Goma) d’Azarias Ruberwa soutenu par le Rwanda, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda et soutenu toujours par Kigali, le M23 et ses factions (M23-1 et M23-2), coalisé avec l’Alliance Fleuve Congo (AFC) de Corneille Nangaa bénéficiant également du total soutien du régime de Paul Kagame.
Devenus proches de l’armée nationale, ces miliciens sont organisés aujourd’hui en équipes, sections, pelotons, compagnies, bataillons, brigades et autres pour tenir tête face à des groupes armés soutenus par le Rwanda. Leur objectif principal, selon Yakutumba, c’est la protection du sol, du sous-sol, de l’environnement, de la faune et la flore, bref, la protection de l’intégrité territoriale contre toute sorte d’agression étrangère.
Cette description de Yakutumba a été faite également par cet institut de recherche. Pour Ebuteli, se servir de groupes armés pour en combattre d’autres n’est pas une nouveauté au Congo. Ces chercheurs rappellent qu’en 1998, Kinshasa a soutenu des groupes armés Maï-Maï et FDLR pour lutter contre le RCD soutenu par le Rwanda. La RDC et le Rwanda ont ensuite fait cause commune, entre 2015 et 2020, pour tenter d’éradiquer les FDLR, un groupe d’anciens génocidaires rwandais, en utilisant le groupe armé congolais NDC-Rénové.
Un fardeau pour les années à venir
La gestion des Wazalendo, particulièrement après ce conflit actif avec le M23, soulève de nombreux enjeux sécuritaires, politiques et sociaux. Sur le plan sécuritaire, un rapport de l’Institut de recherche Ebuteli rendu public le 16 mai dernier à Kinshasa, évoque également des risques dans la gestion de ces groupes armés. Ebuteli note que le soutien aux groupes armés locaux constituera une « lourde hypothèque politique pour les années à venir ». Pour cet institut de recherche spécialisé dans les questions des Grands Lacs, ce phénomène militarise davantage la société, aggrave la crise humanitaire et enracine le conflit. Ce rapport conclut en soulignant l’importance à long terme de réformer l’État congolais, ses forces de sécurité et son approche du conflit pour éviter de sous-traiter des groupes qui eux-mêmes pourront constituer demain une autre source de l’insécurité pour la population civile. Le gouvernement, qui compte gérer ces groupes armés comme une réserve de l’armée régulière ne saura intégrer tous ceux qui ont pris les armes dans ce conflit. « Ceux qui ont pris le goût dans le maniement d’armes et qui ne seront pas pris en charge correctement par l’État deviendront un danger pour la population sur le plan de la criminalité », estime Isaac Mayenge, un analyste des dynamiques sécuritaires dans la région touchée.
Les Wazalendo veulent-ils se couvrir de leurs crimes passés ?
Avant de s’appeler Wazalendo, ces groupes armés se battaient déjà entre eux, ou contre l’armée régulière pour le contrôle de leur territoire, rappelle le journaliste français Christophe Rigaud. Ce dernier qualifie de « pari hautement risqué » le fait pour le président Félix Tshisekedi d’avoir fait de ces miliciens des supplétifs des FARDC. Pour Ebuteli, les motivations des Wazalendo sont diverses : un sentiment nationaliste, la possibilité d’accéder à des financements et à des postes au sein de l’armée nationale, et éventuellement de garantir l’impunité pour leurs crimes passés.
Certains parmi les leaders des Wazalendo étaient déjà dans le collimateur de la justice. Mais leur comportement « patriotique » dans cette guerre contre le M23 et le Rwanda a fait taire l’envie des poursuites judiciaires. Ce qui peut être perçu comme une façon pour ces seigneurs de guerre de se couvrir de leurs crimes passés. C’est le cas de Janvier Karairi, chef de l’APCLS (Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain), un groupe armé opérant dans le Nord-Kivu, précisément à Masisi avant sa conquête par le M23. L’APCLS est impliquée dans des crimes et des violations des droits de l’homme, et Janvier Karairi est accusé de contribuer à ces crimes en les planifiant, les dirigeant ou les commettant. Il est même sous sanctions internationales, notamment de l’Union européenne.
Un processus de désarmement souhaité
Après ce conflit, au plan social, le gouvernement devrait sérieusement organiser le processus de désarmement pour tous ces volontaires qui ont pris les armes et qui ne seront pas retenus au sein de la réserve armée. Félix Tshisekedi avait mis en place le Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (P-DDRCS). Il vise à désarmer, démobiliser et réintégrer les ex-combattants dans la vie civile, tout en soutenant le développement communautaire et la stabilisation du pays. Mais ce programme bat encore de l’aile. Plusieurs ex-combattants désarmés retournent encore dans la brousse. « Nous sommes parfois abandonnés dans des camps sans nourriture ni un travail pour survivre », raconte un ex-démobilisé qui a retrouvé son groupe armé en Ituri.
Avec le phénomène Wazalendo, le programme de démobilisation a pratiquement disparu dans plusieurs coins des provinces du Nord et Sud-Kivu. Mais il est clair que c’est une question qui devra être prise en compte dans un processus de paix, quel qu’il soit. Cette question des Wazalendo fait encore partie de l’équation sécuritaire à résoudre après les accords de paix envisagés avec le Rwanda et le M23.
Heshima