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RDC : Comment les accords de paix récompensent les bourreaux et enterrent les victimes

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Depuis plus de trois décennies, la République démocratique du Congo (RDC) est le théâtre d’une guerre aux conséquences dévastatrices. De l’Ituri au Sud-Kivu, en passant par le Nord-Kivu, les massacres de civils, les viols de masse, les pillages, les déplacements forcés et les recrutements d’enfants sont devenus le lot quotidien de millions de Congolais. Pourtant, les auteurs de ces crimes, qu’ils soient chefs de guerre notoires ou simples miliciens, échappent presque toujours à la justice.

Les protagonistes de ces conflits armés, ayant causé des millions de morts, n’ont jamais été inquiétés. Pire, certains jouissent aujourd’hui d’une totale liberté, circulent en toute impunité dans les grandes villes du pays, se recyclent dans la politique ou occupent des postes administratifs. Dans les prétoires congolais, les affaires liées aux crimes de guerre sont rares, tant les moyens manquent et la volonté politique fait défaut. Il ne s’agit pas d’un simple dysfonctionnement, mais d’un véritable système d’impunité intégré aux logiques de gouvernance.

Cette impunité systémique est renforcée par des accords de paix qui, au lieu de sanctionner les criminels, les récompensent. Les négociations politiques ont souvent abouti à des amnisties pour les seigneurs de guerre, en échange de leur participation à des gouvernements de transition ou à des postes militaires. Cette stratégie de pacification par la réintégration s’est transformée en prime à la violence, envoyant un message clair : prendre les armes contre la République peut ouvrir les portes du pouvoir.

Les victimes, quant à elles, attendent toujours que justice leur soit rendue. Elles espèrent des procès équitables, des condamnations des responsables et des réparations justes. Elles attendent qu’enfin, les droits de l’homme ne soient plus sacrifiés au nom de la paix, mais deviennent la condition même de sa construction. La RDC ne pourra espérer une paix véritable et durable que lorsque plus aucun criminel ne pourra se cacher derrière un uniforme, un siège politique ou une signature au bas d’un accord. La paix, la vraie, commence là où s’arrête l’impunité.

Il est impératif que la justice ne soit plus sacrifiée au nom de la stabilité politique, mais qu’elle devienne la pierre angulaire de la reconstruction nationale. La RDC a l’opportunité historique de démontrer que les droits de l’homme ne sont pas négociables et que chaque citoyen, quelle que soit sa condition, mérite justice et dignité.

Accords de paix : une justice sacrifiée sur l’autel de la « stabilité »

Depuis plus de deux décennies, les tentatives de pacification en RDC ont souvent privilégié des compromis politiques au détriment de la justice. Les accords de Sun City en 2002 et de Goma en 2008 illustrent cette tendance, où des amnisties ont été accordées à des seigneurs de guerre en échange de leur intégration dans le processus politique. Ces décisions ont permis à certains responsables de graves violations des droits humains d’échapper à toute forme de reddition de comptes.

L’accord de Sun City, signé en avril 2002, visait à mettre fin à la deuxième guerre du Congo. Il prévoyait la création d’un gouvernement de transition incluant des représentants des groupes armés, sans mécanisme clair pour traiter les crimes commis pendant le conflit. Cette omission a été critiquée pour avoir instauré une culture de l’impunité.

De même, la Conférence de Goma en janvier 2008 a abouti à un acte d’engagement signé par les groupes armés et le gouvernement, incluant une loi d’amnistie pour les faits de guerre commis depuis 2003, à l’exception des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du génocide. Cependant, l’application de cette exception est restée floue, et peu de poursuites ont été engagées contre les auteurs de ces crimes graves.

Cette stratégie de pacification par l’intégration des anciens belligérants dans les structures étatiques a souvent été perçue comme une récompense pour la violence. Elle a envoyé un message selon lequel prendre les armes contre l’État pouvait conduire à des gains politiques, minant ainsi les efforts de consolidation de la paix et de la justice.

Les conséquences de cette approche sont visibles dans la persistance des conflits armés dans l’est de la RDC, où de nouveaux groupes rebelles émergent régulièrement, souvent composés d’anciens combattants réintégrés puis démobilisés. Cette instabilité chronique souligne la nécessité d’un processus de paix qui inclut des mécanismes de justice transitionnelle, afin de briser le cycle de l’impunité et de prévenir la récurrence des violences.

Pour construire une paix durable, il est essentiel que les futurs accords de paix en RDC intègrent des dispositions claires pour la poursuite des auteurs de crimes graves et la réparation des victimes. Sans une telle approche, les efforts de pacification risquent de continuer à échouer, au détriment de la stabilité et de la réconciliation nationale.

Les bourreaux aux commandes

De nombreux anciens chefs rebelles, responsables de violences graves, ont été intégrés dans les structures étatiques, souvent au nom de la « paix et de la stabilité ». Cette stratégie a permis à certains individus, autrefois à la tête de groupes armés, d’occuper des postes influents au sein de l’appareil étatique.

Pour les populations locales, cette réalité est difficile à accepter. Les victimes de ces conflits se retrouvent contraintes de reconnaître l’autorité de ceux qui furent leurs oppresseurs. Cette situation engendre un profond sentiment d’injustice et d’abandon.

« Mon frère a été tué à Beni en 2014, et aujourd’hui, celui qui dirige notre commune est un ancien chef rebelle. Comment voulez-vous que je croie en l’État ? », se désole Martha Kasereka, enseignante à Oicha.

« Chaque fois qu’un groupe armé signe un accord, on leur donne des uniformes et des galons. Nous, les victimes, on nous demande d’oublier. Mais nous, on n’oublie pas », dénonce Jacques Mumbi, rescapé d’un massacre à Nyabiondo.

Cette politique d’intégration sans justice ni réparation alimente un cycle de violence et d’impunité. Elle envoie un message clair : prendre les armes contre la République peut conduire à des récompenses politiques. Ce cycle pernicieux compromet les efforts de réconciliation nationale et mine la confiance des citoyens envers les institutions.

Pour briser ce cycle, il est impératif que la RDC adopte une approche fondée sur la justice transitionnelle, garantissant que les auteurs de crimes graves répondent de leurs actes, tout en assurant des réparations aux victimes. Sans cela, les cicatrices du passé continueront de saigner, entravant toute perspective de paix durable.

Sans justice, pas de paix durable

Ce n’est pas seulement une exigence morale, c’est une condition de survie pour la RDC. Depuis plus de deux décennies, l’Est du pays est ravagé par des conflits à répétition, où les acteurs changent de nom, d’uniforme ou de drapeau, mais rarement de méthodes. Derrière cette instabilité chronique, une constante : l’impunité.

Les crimes les plus abominables, viols collectifs utilisés comme arme de guerre, enrôlement d’enfants-soldats, massacres des villages entiers, restent, dans leur immense majorité, sans suite judiciaire. Les rares procès, comme celui de 2024 ayant condamné par contumace les dirigeants du M23, dont Corneille Nangaa, Bertrand Bisimwa,… sont l’exception qui confirme la règle. Dans le même temps, d’anciens chefs de milices intégrés dans les FARDC ou placés à des postes d’influence jouissent d’une immunité de fait, parfois même d’un prestige reconstruit.

Ce mécanisme pervers qui transforme les fauteurs de guerre en interlocuteurs politiques, a engendré une logique de prédation durable : prendre les armes, semer la terreur, négocier un poste. Le message envoyé aux communautés est glaçant : la violence paie, la justice est facultative. À travers cette impunité systémique, c’est le contrat social lui-même qui est vidé de son sens, car l’État est perçu non pas comme garant de la sécurité, mais comme complice des bourreaux.

Cette culture de l’amnistie automatique et des accords sans justice explique en grande partie la multiplication des groupes armés dans le Nord-Kivu, l’Ituri ou le Sud-Kivu. Elle alimente une défiance généralisée envers les institutions nationales et internationales, accusées de sacrifier la vérité sur l’autel d’une paix de façade. Chaque cessez-le-feu négocié sans vérité ni réparation devient une bombe à retardement.

« Tant qu’on continuera à traiter les criminels comme des partenaires politiques, il n’y aura jamais de paix véritable dans ce pays. La justice ne peut pas être à géométrie variable », souligne Me Cédric Lualoba, avocat au barreau de Goma, engagé dans la défense des victimes de guerre.

Des initiatives judiciaires locales, parfois soutenues par des juridictions militaires ou des ONG, ont tenté de rétablir un semblant d’ordre. Mais elles manquent de moyens, d’indépendance, et surtout, de volonté politique. Car dans de nombreux cas, les criminels sont protégés par ceux-là mêmes qui détiennent le pouvoir au nom d’une paix éphémère.

La RDC ne pourra jamais tourner la page de ses conflits tant qu’elle ne décidera pas d’en écrire les lignes de vérité. Ce tournant exige du courage politique. Il suppose de rompre avec la culture de l’impunité, de reconnaître les souffrances des victimes, et de refuser les compromis qui sacrifient la justice au profit d’une stabilité illusoire. La paix ne se décrète pas. Elle se construit, patiemment, sur des fondations solides. Et la première d’entre elles, c’est la justice.

Les victimes attendent : entre espoir et désillusion

Les familles endeuillées, les femmes survivantes de violences sexuelles, les enfants enrôlés de force ou mutilés attendent toujours que la République les reconnaisse autrement que comme simples chiffres dans les rapports des ONG. Elles espèrent des procès équitables, des condamnations des responsables et des réparations justes.

Des initiatives ont vu le jour pour répondre à ces attentes. En mai 2025, le gouvernement congolais a adopté une politique nationale de justice transitionnelle, accompagnée de textes visant à reconnaître les droits des victimes, à lutter contre l’impunité et à garantir la non-répétition des crimes. Parmi ces mesures figurent la création d’un Fonds national de réparation des victimes de violences sexuelles liées aux conflits et la mise en place d’une liste consolidée des victimes pour faciliter leur accès à la justice et aux réparations.

Parallèlement, la Cour pénale internationale a réactivé ses enquêtes sur les crimes commis dans le Nord-Kivu depuis janvier 2022, en coopération avec les autorités congolaises. Cette démarche vise à cibler tous les auteurs présumés de crimes liés à des schémas récurrents de violence et d’hostilités, notamment ceux perpétrés par le M23 et les Forces rwandaises.

Cependant, malgré ces avancées, de nombreuses victimes restent sceptiques quant à la volonté politique réelle de traduire les criminels en justice. Elles redoutent que ces initiatives ne soient que des promesses sans lendemain, comme cela a souvent été le cas par le passé. La lenteur des procédures, le manque de moyens et les interférences politiques freinent l’établissement d’une justice véritablement indépendante et efficace.

« Ce n’est pas un luxe, ni une lubie. C’est une exigence de civilisation. La justice ne doit plus être un slogan vide dans les discours officiels, mais une réalité concrète, visible, universelle », commente Alicia Bilalo, étudiante en droit à l’Université de Kinshasa. Des mots résonnent comme un appel à l’action pour que la RDC rompe enfin avec la culture de l’impunité.

La paix durable ne pourra être atteinte que lorsque les victimes seront pleinement reconnues et que les responsables des atrocités rendront compte de leurs actes. Il est impératif que la justice ne soit plus sacrifiée au nom de la stabilité politique, mais qu’elle devienne la pierre angulaire de la reconstruction nationale. La RDC a l’opportunité historique de démontrer que les droits de l’homme ne sont pas négociables et que chaque citoyen, quelle que soit sa condition, mérite justice et dignité.

Heshima Magazine

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