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RDC : Joseph Kabila renoue-t-il le lien avec le Rwanda 28 ans après l’AFDL ?

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Au lendemain de son adresse à la nation, Joseph Kabila a regagné la République démocratique du Congo par une zone sous contrôle des rebelles du Mouvement du 23 mars (M23), branche armée de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), soutenue par l’armée rwandaise.
L’arrivée de l’ancien président à Goma suscite de nombreuses interrogations, notamment sur de liens éventuels avec ces groupes armés. Certains analystes y voient les signes d’une stratégie inspirée de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), coalition rebelle également appuyée par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, qui avait renversé le régime de Mobutu en mai 1997.

Depuis son départ du pouvoir en 2019 après deux mandats, Joseph Kabila – 53 ans – s’était fait très discret. Mais depuis sa tribune publiée dans le journal sud-africain « Sunday Times » suivi de son allocution du 23 mai dernier, l’homme semble révéler petit à petit son schéma. Lors de son adresse aux Congolais diffusée sur les réseaux sociaux, il a formulé 12 recommandations parmi lesquelles il classe en priorité la fin de la dictature ou la tyrannie du président Félix Tshisekedi avant de mettre fin à la guerre. Dans l’entretemps, il s’est installé depuis le 25 mai 2025 dans une ville congolaise occupée par les rebelles et l’armée rwandaise.       

« Mettre fin à la dictature, ou mieux à la tyrannie, puis arrêter la guerre. On met fin à la dictature avant d’arrêter la guerre ?… », s’interroge le journaliste Christian Lusakueno, qui attire l’attention de l’opinion sur la chronologie du plan de Joseph Kabila. Pour lui, ce schéma rappelle celui de l’AFDL.
« …On met fin à l’utilisation des mercenaires, puis seulement après, on ordonne le retrait de toutes les troupes étrangères du territoire national. Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Joseph Kabila est entré à Goma par le Rwanda. Cela signifie que son plan s’appuie sur ceux qui, comme son père Laurent-Désiré Kabila, avaient contribué à la chute de Mobutu. On sait ce qui s’est passé en août 1998, et c’est cela qui me dérange », analyse le directeur de Top Congo FM.

Ce discours de Joseph Kabila continue de susciter des réactions contrastées et des interrogations sur ses vraies intentions. Son arrivée à Goma intervient après une période d’exil de près de deux ans. La veille de son discours, son immunité parlementaire a été levée par le Sénat, l’exposant à des poursuites judiciaires pour trahison et éventuel soutien aux rebelles de l’AFC/M23. Depuis 2024, le président Félix Tshisekedi accuse Joseph Kabila de collusion avec ce groupe rebelle, ce que l’ancien chef de l’État dément, affirmant vouloir contribuer à la résolution du conflit dans l’est du pays. Une résolution qui passerait, selon lui, par la fin de ce qu’il qualifie de « dictature ».

Son séjour à Goma est vécu comme une « trahison » et une « insulte à la République », d’après le député de l’UDPS, Tobie Kayumbi, l’accusant de légitimer l’occupation de cette ville congolaise par les rebelles du M23 appuyés par le Rwanda.

Depuis que cette rébellion a pris le contrôle de Goma et de Bukavu au début de l’année, de nombreux habitants dénoncent les violences perpétrées par des éléments armés de ce mouvement soutenu par le Rwanda. Une enquête d’Amnesty International confirme ces exactions. Selon le dernier rapport de l’ONG, les rebelles « tuent, torturent et détiennent des civils en otage ». Ces crimes, facilités par l’absence d’administration et de justice fonctionnelles, incluent également des éliminations ciblées, des enlèvements contre rançon et diverses formes de racket.

L’AFDL et ses soutiens rwandais, ougandais et burundais   

L’ancien président de la RDC, Laurent-Désiré Kabila – père de Joseph Kabila – avait largement bénéficié d’un soutien décisif du Rwanda ainsi que de l’Ouganda et du Burundi pour renverser le régime de son prédécesseur Mobutu Sese Seko, en 1997. Avec l’AFDL, le régime de Paul Kagame avait fourni tous les équipements militaires nécessaires pour renverser Mobutu.

Tout a commencé en 1994, lorsque le génocide des Tutsis au Rwanda entraîne la victoire du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame, et la fuite de plus d’un million de réfugiés Hutu vers l’est du Zaïre (actuelle RDC). Parmi les populations qui ont fui l’arrivée du FPR au pouvoir à Kigali, figuraient aussi d’anciens génocidaires (ex-FAR et miliciens Interahamwe).

En 1996, le Rwanda (coordonné par Paul Kagame en tant que vice-président et ministre de la Défense) décide de lancer une opération militaire contre les milices génocidaires au Zaïre, avec l’objectif de sécuriser sa frontière et chasser Mobutu du pouvoir. Pour légitimer cette intervention, le Rwanda cherche un allié zaïrois et trouve Laurent-Désiré Kabila, un ancien rebelle marxiste peu actif depuis des années, originaire du Katanga. Ensemble avec d’autres groupes congolais, ils forment l’AFDL en octobre 1996. Le Rwanda apporte à cette rébellion un soutien total : des troupes rwandaises déguisées en rebelles congolais, des conseillers militaires, des armes, des renseignements, de la logistique et de la formation. L’armée patriotique rwandaise (APR), aux côtés de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), lance alors une offensive fulgurante depuis le Kivu, à l’est du Zaïre. Les forces de Mobutu, démoralisées, mal équipées et souvent abandonnées par leurs officiers, sont rapidement balayées.

L’AFDL progresse vers l’ouest, prenant ville après ville, notamment Kisangani et Mbuji-Mayi. En mai 1997, les troupes de Kabila père et leurs alliés entrent dans Kinshasa sans grande résistance. Mobutu, gravement malade, fuit vers le Maroc où il meurt en septembre de la même année. Laurent-Désiré Kabila se proclame président le 17 mai 1997, rebaptise le pays « République démocratique du Congo », et dissout l’AFDL peu après.

Les liens avec le Rwanda rompus : début d’un cycle de rébellions

Initialement perçu comme une marionnette du Rwanda, Laurent-Désiré Kabila tente de s’émanciper de son influence. En 1998, il expulse les troupes rwandaises et les conseillers étrangers devenues envahissants, ce qui déclenche la euxième Guerre du Congo (1998-2003), impliquant plusieurs pays africains dont l’Angola et le Zimbabwe comme alliés du gouvernement de Kinshasa contre d’abord les troupes rwandaises, ougandaises et burundaises. Après la défaite des Rwandais, ils formeront quelques jours plus tard un autre mouvement rebelle, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Le Rwanda va soutenir cette nouvelle rébellion pour tenter de faire tomber Kabila père. Pendant ce temps, Joseph Kabila, promu général, combat aux côtés de son père les forces soutenues par Kigali. Mais il perdra ensemble avec John Numbi plusieurs batailles au front, notamment celle de Pweto, dans le grand Katanga. Après l’assassinat de son père en janvier 2001, il accède au pouvoir. À la surprise générale, il adopte une ligne plus diplomatique et pragmatique, tendant la main aux anciens ennemis, y compris le Rwanda. Il mène des négociations qui aboutissent aux Accords de paix de Sun City (2002) et à la fin de la Deuxième Guerre du Congo en 2003. Une transition politique avec les belligérants a eu lieu, débouchant sur les premières élections générales et pluralistes du pays en 2006. Malgré les débuts de rapprochement, les relations entre Joseph Kabila et Paul Kagame étaient restées officiellement mitigées. Le Rwanda accuse la RDC de soutenir les FDLR, miliciens hutus rwandais hostiles à Kigali. La RDC accuse le Rwanda de soutenir des rébellions à l’est du Congo (notamment le CNDP puis le M23). Ces relations vont officiellement se dégrader entre 2008 et 2013, avec des accrochages militaires indirects sous le M23. Quand il quitte le pouvoir en 2019, les relations étaient toujours frileuses. Kigali n’avait plus d’ambassadeur à Kinshasa et Kabila avait pris le soin de rappeler Nkulu Kilombo, son diplomate à Kigali.    

Kabila veut-il renouer ses liens avec Kigali ?

Accusé de soutenir la rébellion du M23, appuyée par le Rwanda, Joseph Kabila nie toute implication. Il affirme que, s’il était réellement derrière ce mouvement, « les choses ne se passeraient pas ainsi ».

Son retour à Goma, bastion du M23, a ravivé les interrogations sur ses liens historiques avec Kigali. Lors de la première guerre du Congo (1996-1997), l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), dirigée par Laurent-Désiré Kabila, avait reçu un soutien décisif du Rwanda. Joseph Kabila, alors jeune combattant, avait été formé par des officiers rwandais, notamment James Kabarebe, qui se targuait dans un entretien avec Jeune Afrique d’avoir appris à Kabila à manier une arme.

Aujourd’hui, alors que le Sénat congolais a levé l’immunité de l’ancien président pour permettre des poursuites pour trahison et crimes de guerre liés à son prétendu soutien au M23 , son séjour à Goma est perçu par certains observateurs comme une tentative de réactiver des alliances passées. Cette démarche intervient dans un contexte de tensions accrues entre Kabila et le gouvernement de Félix Tshisekedi, qu’il accuse de dérive autoritaire.

Les prochaines semaines seront cruciales pour déterminer si ce retour marque une simple prise de position politique ou le prélude à une recomposition des forces dans l’est du pays.

Heshima Magazine

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