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RDC : l’opulence des parlementaires face à la détresse populaire

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Alors que la majorité des Congolais survit avec moins de 2,15 dollars par jour, les dotations financières du Parlement congolais explosent d’année en année. En 2024, selon la Banque mondiale, 73,5 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, mais les élus s’octroient des avantages toujours plus faramineux dans une opacité quasi totale. Entre dépenses somptuaires, absence de contrôle et silence des institutions, cette flambée des budgets parlementaires incarne un affront flagrant au quotidien des citoyens. À l’heure où le pays peine à financer ses écoles et ses hôpitaux, l’indignation monte dans la société civile : jusqu’où ira ce mépris des priorités nationales ?

Les budgets de l’Assemblée nationale et du Sénat congolais suivent une trajectoire ascendante, contrastant avec la stagnation ou la régression économique qui frappe la population. Selon un rapport du Centre de recherche en finances publiques et développement local (CREFDL) publié en mai 2024, intitulé Le biface du Parlement congolais : un contrôleur à contrôler, le Parlement a dépensé 1,1 milliard de dollars entre 2021 et 2023, dont 60 % (660 millions USD) pour l’Assemblée nationale et 40 % (440 millions USD) pour le Sénat. Cela représente une moyenne annuelle d’environ 220 millions de dollars pour l’Assemblée et 146,67 millions USD pour le Sénat.

En 2024, le budget de l’Assemblée nationale de la RDC a été arrêté à 1 296,3 milliards de francs congolais (FC), soit environ 272 millions de dollars américains, selon le rapport de gestion financière présenté par la Questeure de la chambre basse, Chimène PoliPoli. Cette enveloppe budgétaire a été répartie entre les rémunérations, le fonctionnement, les investissements et les interventions économiques, sociales, culturelles et scientifiques, selon un article de Grands Lacs News publié en avril 2025.

En novembre 2024, la radio Top Congo a publié un message sur X (anciennement Twitter) révélant que l’Assemblée nationale reçoit chaque mois une dotation de 47 milliards de francs congolais. Cela représente environ 16,45 millions de dollars américains, selon un taux de change de 2 855 FC pour un dollar. En comparaison, cette dotation était de 4,7 milliards de FC en 2018, ce qui représente une multiplication par 10 en FC. Cependant, cette augmentation en dollars est atténuée par la dépréciation de la monnaie nationale.

Le Centre de Recherche en Finances Publiques et Développement Local, le CREFDL, révèle que, entre 2021 et 2023, le Sénat congolais a dépensé environ 440 millions de dollars américains, soit 40 % des 1,1 milliard de francs alloué aux deux chambres parlementaires, comme l’a rapporté le média Interview.cd. Cette somme reflète une tendance à la hausse et sa gestion reste entourée d’opacité.

En 2022, le Sénat a dépensé 422 893 dollars pour l’achat de véhicules, dépassant de 11 % le budget prévu de 3,5 millions de dollars, selon le site d’information actualite.cd. Par ailleurs, ce média révèle également qu’un projet de construction d’un dépôt d’archives, attribué à l’entreprise ETISAC SPRL pour 63 518 dollars, a finalement coûté 82 242 dollars, soit un écart non justifié de 18 723 dollars.

Ces chiffres illustrent une croissance significative des allocations budgétaires au Parlement, suscitant des interrogations sur la gestion des fonds publics dans un contexte où une grande partie de la population congolaise vit dans des conditions économiques précaires.

Des salaires qui font scandale

Au cœur des controverses se trouvent les rémunérations des parlementaires. Avec 500 députés et 108 sénateurs, les salaires représentent une part significative des budgets. En 2022, Martin Fayulu, leader de l’opposition, a affirmé que les députés gagnaient 21 000 USD par mois, une allégation démentie par le bureau de l’Assemblée nationale de l’époque. En 2024, Vital Kamerhe, président de l’Assemblée, a déclaré que les députés percevaient environ 14 millions FC (4 952 USD) par mois, auxquels s’ajoutent des primes, selon un article de Jeune Afrique. Le CREFDL estime que les rémunérations totales des parlementaires congolais s’élèvent à 74 millions USD par an, un chiffre astronomique comparé aux 50 USD mensuels moyens des fonctionnaires congolais, soit un ratio de 100 à 1.

Ce fossé est d’autant plus choquant que les parlementaires bénéficient d’avantages supplémentaires, comme des véhicules de luxe et des primes diverses, souvent financés par des lignes budgétaires opaques, telles que le « Fonds spécial d’intervention » de 309 millions USD mentionné par le CREFDL. Ces pratiques contrastent avec les conditions de vie de la majorité des Congolais, où l’accès à l’éducation, à la santé et à une alimentation de base reste un défi quotidien.

Une population asphyxiée par la crise économique

Pendant que les budgets parlementaires s’envolent, le pouvoir d’achat des Congolais s’effondre. La Banque mondiale rapporte qu’en 2024, 73,5 % de la population vit sous le seuil de pauvreté soit 2,15 USD par jour. L’inflation, estimée à 11,69  pour l’année 2024 selon les données de la Banque centrale du Congo. Les fonctionnaires, qui constituent une part importante de la classe moyenne, touchent un montant insuffisant pour couvrir les besoins de base dans un contexte de hausse des prix. Par exemple, le coût d’un sac de maïs, aliment de base, a doublé dans certaines régions entre 2022 et 2024, selon des rapports locaux.

Les dépenses sociales, telles que l’éducation et la santé, restent sous-financées, avec seulement 30 % du budget national alloué à ces secteurs en 2023, selon des analyses budgétaires. Cette priorisation des institutions sur les besoins sociaux exacerbe le sentiment d’injustice. Comme le souligne un activiste des droits humains : « Pendant que les députés s’achètent des jeeps à 80 000 USD, les écoles manquent de bancs et les hôpitaux de médicaments. »

Une gestion opaque et des appels à la réforme

Entre 2021 et 2023, les deux chambres du Parlement congolais ont dépensé un total de 1,1 milliard de dollars américains, dont 60 % par l’Assemblée nationale et 40 % par le Sénat. Cette enveloppe dépasse de 298,9 millions de dollars les prévisions initiales, selon Radio Okapi.

Parmi les postes de dépense les plus controversés figure l’achat de 26 véhicules pour un montant de 90,2 millions USD, alors que seulement 4,5 millions étaient initialement budgétisés. Cette transaction a été réalisée dans l’opacité la plus totale, en dehors des procédures légales imposées par la loi sur les marchés publics, révèle le site d’informations Desk Eco, citant un rapport du Centre de recherche en finances publiques et développement local (CREFDL).

Toujours selon le CREFDL, un autre abus concerne le recrutement massif de personnel au sein de l’Assemblée nationale. Alors que les textes en vigueur n’autorisent que 87 collaborateurs pour l’ensemble du cabinet politique, ce dernier emploie aujourd’hui plus de 2 700 agents. L’administration parlementaire, quant à elle, recense 612 agents permanents, précise Radio Okapi.

Face à ces dérives, le CREFDL appelle l’Inspection générale des finances et la Cour des comptes à diligenter une mission mixte de contrôle et plaide pour une réforme structurelle afin de rétablir une gestion responsable et transparente des fonds publics.

De son côté, la Première ministre Judith Suminwa Tuluka, investie en juin 2024, a présenté un programme quinquennal ambitieux de 92,9 milliards de dollars, mettant en avant la transparence et la lutte contre les détournements. Elle propose une collaboration étroite avec le Parlement pour assurer une gouvernance rigoureuse. Mais pour de nombreux acteurs de la société civile, ces promesses restent insuffisantes tant que des mesures concrètes et des audits publics ne sont pas engagés. La confiance reste ébranlée.

Un fossé à combler

La hausse continue des budgets de l’Assemblée nationale et du Sénat, estimés respectivement à 280 millions USD et environ 150-200 millions USD en 2024, contraste cruellement avec la détérioration du pouvoir d’achat des Congolais. Cette disparité alimente un sentiment de frustration, voire de trahison, dans un pays où les richesses minières devraient théoriquement bénéficier à tous. Les appels à des audits indépendants et à une meilleure allocation des ressources publiques se multiplient, mais leur mise en œuvre reste incertaine.

Pour que la RDC rompe avec ce cycle d’inégalités, il est impératif que les institutions publiques, y compris le Parlement, adoptent une gestion transparente et priorisent les besoins de la population. Sans cela, les hausses budgétaires continueront de résonner comme une moquerie pour des millions de Congolais luttant pour leur survie.

Heshima Magazine

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