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Entre foi et pouvoir : l’Église catholique peut-elle encore être la conscience du Congo ?
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La redactionC’est un après-midi étouffant à Kinshasa lorsque le cardinal Fridolin Ambongo monte en chaire. La congrégation de la cathédrale Notre-Dame du Congo est suspendue à ses lèvres alors qu’il livre une critique cinglante de la gestion des récentes élections par le gouvernement. « La voix du peuple est étouffée », déclare-t-il, sa voix résonnant dans les halls sacrés. À l’extérieur, la tension est palpable ; des rumeurs de manifestations et de contre-manifestations emplissent l’air. Cette scène incarne le double rôle de l’Église catholique en République démocratique du Congo (RDC) : guide spirituel et force politique.
Depuis des siècles, l’Église est tissée dans le tissu de la société congolaise. Des écoles missionnaires qui éduquent des générations aux efforts humanitaires dans les régions déchirées par la guerre, son influence est indéniable. Pourtant, son implication dans la politique est une arme à double tranchant, suscitant à la fois louanges et critiques. Des figures comme Joseph Malula, qui défend l’africanisation, et Laurent Monsengwo, qui s’oppose à l’autoritarisme, laissent des marques indélébiles dans l’histoire du pays. Aujourd’hui, alors que l’Église navigue dans les eaux tumultueuses de la politique congolaise, elle fait face à de nouveaux défis et à d’anciens adversaires.
En 2024, l’appel de l’Église à une enquête sur les irrégularités électorales suscite l’indignation des jeunes de l’UDPS, qui menacent de s’en prendre aux symboles catholiques en représailles. Cet incident n’est que le dernier d’une série de confrontations qui mettent en lumière la relation tendue entre foi et pouvoir en RDC. Alors que la nation lutte avec des questions de justice et de gouvernance, une question demeure : l’Église catholique peut-elle encore être la conscience morale du Congo ?
Un pilier historique dans un État fragile
L’histoire de l’Église catholique en RDC remonte à la fin du XVe siècle, lorsque les missionnaires portugais convertissent le roi Nzinga Nkuvu du Royaume du Kongo. Cependant, c’est sous la colonisation belge, au XIXe siècle, que l’Église s’implante solidement, développant un réseau d’écoles, d’hôpitaux et de paroisses qui deviennent des relais essentiels du pouvoir colonial. Selon certains observateurs, 70 % des élites congolaises avant l’indépendance en 1960 sont formées dans des écoles catholiques. Ce rôle éducatif renforce son influence, mais inscrit également l’Église dans une dynamique paternaliste, souvent au détriment des traditions locales.
Après l’indépendance, l’Église se repositionne comme un contre-pouvoir face aux régimes autoritaires. Dans les années 1970, elle résiste à la politique d’« authenticité » de Mobutu Sese Seko, qui cherche à nationaliser les écoles catholiques et à interdire les prénoms chrétiens. Dans les années 1990, elle joue un rôle clé dans la Conférence Nationale Souveraine (CNS), visant à démocratiser le pays. Aujourd’hui, elle gère plus de 10 000 écoles et de nombreux centres de santé, selon la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO). Dans les zones de conflit comme le Nord-Kivu, elle soutient des millions de déplacés via des organisations comme Caritas Congo.
Un rôle politique ambivalent
Le rôle politique de l’Église est à double tranchant. Elle dénonce souvent les abus, mais ses liens avec les élites politiques suscitent des inquiétudes. En 2016, la CENCO négocie l’Accord de la Saint-Sylvestre pour apaiser les tensions électorales, mais seulement 60 % de ses clauses sont appliquées, selon Transparency International. En 2023, ses 25 000 observateurs électoraux sont salués, mais critiqués par le pouvoir pour partialité. Cette ambivalence alimente les tensions, marquées par des manifestations contre l’Église, organisées par des militants proches du pouvoir.
En 2024, la demande de la CENCO pour une enquête indépendante sur les irrégularités des élections de décembre 2023 exacerbe les tensions avec l’UDPS, le parti au pouvoir. Des jeunes de l’UDPS menacent de s’en prendre aux symboles catholiques, un écho des attaques de 2021 contre la résidence du cardinal Ambongo. Ces incidents reflètent un schéma de confrontation où l’Église est perçue comme un défi à l’autorité de l’État.
Joseph Malula : Pionnier de l’africanisation
Joseph-Albert Malula, né le 12 décembre 1917 à Léopoldville (Kinshasa), grandit dans une famille modeste sous le régime colonial belge. Formé au petit séminaire de Bolongo et au grand séminaire de Kabwe, il est ordonné prêtre en 1946, devenant le premier curé noir de la paroisse Christ-Roi à Kinshasa, un symbole d’émancipation dans une Église dominée par les Européens. En 1964, il est nommé archevêque de Kinshasa, et en 1969, le pape Paul VI le fait cardinal, une première pour un Congolais, marquant l’émergence d’une voix africaine au Vatican. Malula se distingue par son charisme et sa vision d’une Église enracinée dans la culture congolaise, rejetant l’idée d’une foi importée.
Dès les années 1960, il plaide pour une liturgie adaptée aux réalités africaines, intégrant des éléments culturels comme les tambours, les danses et les langues locales, notamment le lingala. Ce projet culmine avec le rite zaïrois, approuvé par le Vatican en 1988 après des décennies de débats. « L’Évangile doit parler notre langue », déclare-t-il lors d’une homélie en 1970, citée dans le Dictionary of African Christian Biography. Il promeut l’utilisation de noms africains, en phase avec la politique d’« authenticité » de Mobutu, mais insiste sur l’autonomie de l’Église face à l’État. Il crée des centres de formation pour les catéchistes, renforçant l’évangélisation dans les zones rurales, et soutient l’éducation des laïcs, voyant dans l’instruction un levier d’émancipation. Son approche, bien que révolutionnaire, suscite des résistances : certains missionnaires européens y voient une déviation, tandis que des fidèles conservateurs craignent une perte des traditions catholiques universelles. Malula parvient néanmoins à imposer sa vision, faisant du rite zaïrois un modèle pour d’autres Églises africaines.
Au début du régime de Mobutu, Malula soutient l’idée d’une identité nationale forte, voyant dans l’« authenticité » une opportunité d’africaniser l’Église. Cependant, les tensions éclatent rapidement. En 1971, Mobutu exige que le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), son parti unique, contrôle les institutions religieuses, y compris les écoles catholiques. Malula s’y oppose, dénonçant une « politisation de la foi ». En 1972, après une homélie critiquant la répression des libertés, il est accusé de « schisme » et de « subversion ». Le régime lance une campagne de diffamation, le surnommant « cardinal diabolique » dans les médias d’État. Forcé à l’exil à Rome en avril 1972, Malula y reste près d’un an. Pendant son absence, le gouvernement saisit les biens de l’Église, ferme des écoles catholiques et interdit les réunions religieuses indépendantes. À Rome, Malula plaide la cause congolaise auprès du Vatican, publiant des lettres pastorales pour encourager les fidèles à résister pacifiquement. Son exil galvanise les catholiques, qui continuent de fréquenter les messes malgré les intimidations. En 1973, une médiation du Vatican permet son retour, mais il reste sous surveillance. Malula reprend son ministère, promouvant l’éducation et l’autonomie de l’Église, mais évite les confrontations directes avec Mobutu pour protéger les fidèles.
Dans les paroisses de Kinshasa, comme Christ-Roi, il est perçu comme un héros de la résistance culturelle. « Il défendait notre foi contre Mobutu », témoigne Marie Nzuzi, fidèle de 70 ans. Le rite zaïrois, avec ses messes animées, renforce sa popularité dans les zones rurales, où l’Église est souvent la seule institution présente. À Kisangani, des fidèles se souviennent des écoles qu’il fonde, offrant une éducation gratuite aux plus démunis. Cependant, dans les milieux proches du MPR, la propagande du régime le dépeint comme un traître. À Matadi, des rumeurs l’accusent d’être « vendu à Rome » et de freiner la modernisation du pays. En avril 1972, des militants du MPR organisent des marches à Kinshasa et Lubumbashi, dénonçant l’« ingérence cléricale » de Malula. Ces manifestations, rapportées par le New York Times, mobilisent des jeunes des quartiers populaires, mais sont largement orchestrées par le pouvoir. Les slogans comme « À bas l’Église coloniale ! » visent à discréditer Malula, mais ne reflètent pas un rejet populaire massif. Cette polarisation montre la tension entre l’Église et un régime cherchant à contrôler la société. À son retour en 1973, des foules l’accueillent à Kinshasa, signe d’un soutien populaire persistant, bien que certains critiquent son exil comme une « fuite ».
Malula meurt le 14 juin 1989 à Louvain, en Belgique. Son héritage perdure à travers le rite congolais, toujours pratiqué, et les institutions éducatives qu’il a développées. En 2010, le président Joseph Kabila le déclare « héros national », un geste perçu comme une tentative de réconciliation avec l’Église. Dans les campagnes, il reste une icône, mais à Kinshasa, certains jeunes urbains lui reprochent d’avoir cédé face à Mobutu après son retour. « Malula est un visionnaire, mais il n’a pas assez défié le pouvoir », commente Pierre Moke, chauffeur de taxi, dans un entretien avec Jeune Afrique. Son legs illustre le défi d’une Église cherchant à concilier foi et politique.
Cardinal Frédéric Etsou : Une conscience morale face à la tourmente politique
Frédéric Etsou Nzabi Bamungwabi, né le 3 décembre 1930 à Mazalaga, dans la province de l’Équateur, grandit dans une région rurale marquée par l’influence des missions catholiques. Issu d’une famille modeste, il est formé dès son enfance dans des écoles missionnaires, où il se distingue par son intelligence et sa piété. Il fréquente l’école primaire à la mission catholique de Boyange, puis le petit séminaire Notre-Dame-de-Grâces de Bolongo, avant de poursuivre ses études théologiques au grand séminaire de Kabwe. Ordonné prêtre en 1958 au sein de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie (CICM), il se consacre à l’évangélisation dans les zones rurales de l’Équateur. En 1977, il est nommé archevêque de Mbandaka-Bikoro, un diocèse vaste et difficile d’accès, où il développe des initiatives éducatives et sociales, gagnant le respect des communautés locales. En 1990, il devient archevêque de Kinshasa, une position stratégique dans la capitale politique et économique du pays. En 1991, le pape Jean-Paul II le crée cardinal, faisant de lui l’un des principaux représentants de l’Église congolaise sur la scène internationale. Etsou est reconnu pour son érudition, son charisme discret, et son engagement envers les pauvres, mais aussi pour son franc-parler face aux abus politiques, qui le place rapidement au cœur des tensions entre l’Église et l’État.
Le cardinal Etsou s’impose comme une voix morale dans un pays en proie à l’instabilité politique. Son ministère coïncide avec des périodes critiques : la fin du régime de Mobutu, la deuxième guerre du Congo (1998-2003), et la transition sous Joseph Kabila. Dès son arrivée à Kinshasa, il critique les dérives autoritaires et la corruption, s’inscrivant dans la tradition de l’Église comme contre-pouvoir. En 1999, lors d’une messe solennelle au stade des Martyrs, devant des milliers de fidèles, il appelle à « bannir le tribalisme et le régionalisme » pour reconstruire une nation unie, un message perçu comme une critique implicite du régime de Laurent-Désiré Kabila. Cette homélie, prononcée en présence de 300 prêtres et d’une dizaine d’évêques, renforce son image de leader spirituel engagé dans les questions sociales.
Son implication politique atteint un pic en 2006, lors des premières élections pluralistes depuis l’indépendance. Etsou, en tant qu’archevêque de Kinshasa, dénonce des irrégularités dans le processus électoral organisé par la Commission Électorale Indépendante (CEI), dirigée par l’abbé Apollinaire Malumalu. Il accuse la CEI de partialité en faveur de Joseph Kabila, suggérant que des « forces internationales » manipulent les résultats pour assurer sa victoire. Ses déclarations, relayées par Le Monde, sont interprétées comme un soutien implicite à l’opposant Jean-Pierre Bemba, ce qui divise l’opinion et l’Église elle-même. Etsou organise des messes pour appeler à la transparence, attirant des milliers de fidèles dans les paroisses de Kinshasa.
Les critiques d’Etsou en 2006 provoquent une vive réaction du gouvernement de Kabila. Les médias proches du pouvoir l’accusent de « s’immiscer dans les affaires politiques » et de « semer la discorde ». Malumalu, en tant que président de la CEI, qualifie les propos de « dangereux » et « irresponsables », arguant qu’ils risquent de déstabiliser un pays encore fragile après la guerre. Cette confrontation publique entre deux figures catholiques met en lumière les divisions au sein de l’Église. Le gouvernement exploite cette fracture pour discréditer l’Église, accusant Etsou de soutenir l’opposition et de favoriser Bemba, originaire de l’Équateur comme lui.
Sous Laurent-Désiré Kabila, Etsou a déjà des frictions avec le pouvoir. En 1998, il critique la répression des opposants et l’exploitation des ressources minières par des puissances étrangères, lui valant des menaces implicites. En 2006, ses accusations de fraude électorale amplifient ces tensions. Bien que le pouvoir n’ose pas l’attaquer directement, des campagnes médiatiques le dépeignent comme un « cardinal politicien ».
Etsou jouit d’un immense respect parmi les fidèles, particulièrement à Kinshasa, où il est vu comme une boussole morale. Ses critiques des élections de 2006 résonnent auprès des Congolais frustrés par les irrégularités. « Etsou dit la vérité : Kabila n’a pas gagné honnêtement », témoigne Esther Mbuyi, commerçante à Kinshasa. Ses messes attirent des foules, et dans l’Équateur, il est célébré pour ses écoles.
Etsou meurt le 6 janvier 2007 à Louvain, laissant un héritage complexe. Son courage en 2006 renforce l’image de l’Église comme gardienne de la justice. « Etsou est la voix des sans-voix », écrit Vatican News. « Etsou est un grand homme, mais il a créé des divisions », commente Grace Ntumba à Heshima Magazine.
Laurent Monsengwo Pasinya : Une voix contre l’autoritarisme
Né le 7 octobre 1939 à Mongobele, dans la province de Mai-Ndombe, Laurent Monsengwo Pasinya est issu d’une famille influente de l’ethnie Sakata. Éduqué dans des écoles missionnaires, il excelle académiquement. Il entre au séminaire de Kabwe, puis obtient un doctorat en théologie biblique à l’Institut Biblique Pontifical de Rome en 1971, devenant le premier Africain à recevoir cette distinction. Ordonné prêtre en 1963, il est nommé évêque auxiliaire d’Inongo en 1980, archevêque de Kisangani en 1988, archevêque de Kinshasa en 2007, et cardinal en 2010. Sa réputation de théologien et de médiateur le propulse sur la scène internationale.
Monsengwo se distingue sous Mobutu par son opposition aux dérives autoritaires. En 1991, il préside la Conférence Nationale Souveraine (CNS), une assemblée visant à démocratiser le pays. La CNS propose des réformes, mais Mobutu suspend ses travaux. En février 1992, l’Église organise une « marche des chrétiens » à Kinshasa pour exiger la réouverture de la CNS. Cette manifestation, réunissant des milliers de fidèles, est réprimée dans le sang : les forces de sécurité tuent entre 13 et 32 personnes, selon les estimations rapportées par plusieurs médias. Monsengwo condamne ce « massacre » dans une lettre pastorale, qualifiant le régime de « tyrannique ». Mobutu l’accuse de « propos injurieux », mais n’ose pas l’arrêter, craignant une révolte populaire. Cet épisode renforce l’image de l’Église comme rempart contre l’oppression, mais expose les fidèles à des représailles.
Sous Laurent-Désiré Kabila, Monsengwo dénonce la concentration du pouvoir. Pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003), il critique l’occupation de Kisangani par les troupes rwandaises, appelant à une juridiction internationale. Avec Joseph Kabila, il rejette les résultats des élections de 2011, entachées de fraudes, et en 2017, appelle à chasser « les médiocres » du pouvoir, un slogan repris par les mouvements citoyens. En 2016, il contribue à l’Accord de la Saint-Sylvestre, sous la supervision de la CENCO.
Monsengwo est largement admiré, surtout dans les zones rurales. À Kisangani, Esther Mbuyi, commerçante, le décrit comme un « prophète » pour avoir dénoncé l’occupation rwandaise. À Kinshasa, ses appels galvanisent les jeunes, qui participent aux marches du Comité Laïc de Coordination (CLC) en 2017-2018. Cependant, dans les milieux pro-PPRD, il est vu comme un agitateur à la solde de l’opposition politique. En 2018, des jeunes du PPRD, surnommés les « bérets rouges », envahissent la cathédrale Notre-Dame du Congo, accusant les prêtres de « semer le chaos ». Ces actions, orchestrées par le régime de Kabila, visent à intimider l’Église. Les « bérets rouges » s’en prennent aux paroisses pour faire taire les appels à la démocratie, perçus comme une menace directe au pouvoir de Kabila, qui lutte pour prolonger son mandat face à une opposition croissante.
Apollinaire Malumalu : L’architecte électoral controversé
Né le 22 juillet 1961 à Muhangi, dans le Nord-Kivu, Apollinaire Malumalu Muholongu grandit dans une région marquée par l’instabilité ethnique. Issu d’une famille catholique, il entre au petit séminaire de Musienene, puis étudie la théologie à Kinshasa et les sciences politiques à l’Université Pontificale Grégorienne de Rome. Ordonné prêtre en 1988, il dirige l’Université Catholique du Graben à Butembo, où il promeut l’éducation comme outil de paix. Sa réputation d’intellectuel pragmatique le rend apte à naviguer dans les complexités de la politique congolaise. Malumalu se distingue par sa capacité à dialoguer avec des acteurs divers, des chefs traditionnels aux diplomates, ce qui lui vaut d’être choisi pour des rôles de médiation.
En 2005, Malumalu est nommé président de la Commission Électorale Indépendante (CEI) pour organiser les premières élections pluralistes depuis 1960. Après la deuxième guerre du Congo (1998-2003), qui fait des millions de morts, la RDC est fracturée. Malumalu doit acheminer du matériel électoral dans des zones sans infrastructures, former des agents sous la menace des milices, et apaiser les tensions entre candidats comme Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba. Le scrutin de 2006, financé par la communauté internationale, aboutit à la victoire de Kabila avec 58 % des voix au second tour. Malumalu est salué par l’ONU et l’Union européenne pour avoir tenu un calendrier serré dans un contexte chaotique. « Ces élections sont une victoire pour le peuple congolais », déclare-t-il lors d’une conférence de presse en 2006. Cependant, des irrégularités sont signalées : bourrages d’urnes dans l’est, intimidations dans les bureaux de vote, et retards dans les résultats. Le cardinal Frédéric Etsou, archevêque de Kinshasa, dénonce une « victoire volée ». Malumalu défend le processus, arguant que « les imperfections sont inévitables dans un pays en reconstruction ». Ces accusations marquent une fracture entre Malumalu et une partie de l’Église, qui craint que son rôle ne compromette la neutralité de l’institution.
En 2013, Malumalu est reconduit à la tête de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), malgré les objections de l’opposition et de la CENCO. Cette nomination ravive les soupçons de partialité. L’opposition, menée par Étienne Tshisekedi, l’accuse de travailler pour prolonger le mandat de Kabila, surtout après le report des élections prévues en 2016. Des allégations, non authentifiées, font état de réunions secrètes avec des proches du président. Malumalu nie ces accusations, affirmant son « engagement pour la démocratie ». La CENCO, dans un communiqué de 2013, exprime des réserves sur son retour à la tête de la centrale électorale. Cette désapprobation publique accentue les tensions. En 2015, Malumalu démissionne, officiellement pour raisons de santé, souffrant d’une tumeur au cerveau, et meurt en 2016 aux États-Unis. Son décès suscite des hommages mitigés : l’ONU loue son rôle en 2006, mais l’opposition le qualifie de « serviteur du régime ». Les journaux kinois titrent « Malumalu : le prêtre qui divise la nation », reflétant son héritage controversé.
Malumalu divise les Congolais. Dans le Nord-Kivu, il est vu comme un héros local. « Grâce à lui, nous votons pour la première fois », témoigne Jean-Paul Bahati, agriculteur à Goma. À Kinshasa, il est perçu comme un pion du pouvoir. En 2013, des manifestations éclatent dans la capitale, organisées par des mouvements citoyens comme Filimbi et Lucha. Des jeunes scandent : « Malumalu, valet de Kabila ! », accusant l’Église de ne pas avoir désavoué un prêtre jugé partial. Dans les quartiers comme N’Djili, des graffitis dénoncent « l’Église à deux visages », reflétant une frustration face à son rôle ambigu. Ces actes, bien que limités, illustrent un mécontentement urbain. Dans les zones rurales, son image reste positive, et des messes sont célébrées en son honneur après sa mort. Cette fracture reflète la tension entre l’admiration pour son travail organisationnel et les soupçons de compromission politique.
Malumalu laisse un legs ambivalent. Les élections de 2006 sont une étape clé vers la démocratie, mais son rôle en 2013 ternit son image. Dans le Nord-Kivu, des écoles portent son nom, mais à Kinshasa, il est associé à la consolidation du pouvoir de Kabila. « Malumalu fait avancer la démocratie, mais à quel prix ? », s’interroge Popol Mukeni, activiste des droits de l’homme.
Fridolin Ambongo Besungu : Une voix critique contemporaine
Né le 24 janvier 1960 à Boto, Fridolin Ambongo rejoint les Capucins et est ordonné prêtre en 1988. Évêque de Bokungu-Ikela en 2004, archevêque de Mbandaka-Bikoro en 2016, il devient archevêque de Kinshasa en 2018 et cardinal en 2019. Connu pour son franc-parler, il est une figure influente au Vatican.
En 2018, Ambongo qualifie les élections de « mascarade », dénonçant les fraudes. Sous Félix Tshisekedi, il critique la corruption et la crise à l’est, où le M23 intensifie ses attaques en 2024. En 2025, il s’oppose à une révision constitutionnelle, provoquant des tensions avec l’UDPS. En 2024, la demande de la CENCO pour une enquête sur les irrégularités électorales de décembre 2023 attise la colère des jeunes de l’UDPS, qui menacent de s’en prendre aux églises et aux symboles catholiques, percevant l’Église comme un obstacle à la légitimité de Tshisekedi. Ces tensions s’inscrivent dans un contexte où l’Église critique la gestion de la crise sécuritaire à l’est et les initiatives de paix, comme les discussions avec le M23 en 2025, jugées par l’UDPS comme une ingérence.
Dans l’est, Ambongo est admiré pour son soutien aux déplacés. À Goma, Christine Furaha, déplacée, le voit comme un « défenseur ». À Kinshasa, il divise : certains le soutiennent, d’autres l’accusent de partialité. En 2021, sa résidence est attaquée, un incident condamné par la CENCO. En 2018, des jeunes du PPRD envahissent la paroisse Notre-Dame de Fatima, séquestrant des prêtres, en réaction aux marches du CLC pour la démocratie.
Ambongo siège au Conseil des cardinaux, influençant les débats mondiaux. Sa critique de l’exploitation des ressources congolaises le rend populaire, mais controversé. Ses rencontres avec des figures de l’opposition, comme Moïse Katumbi à Bruxelles en 2017 ou les discussions prévues en 2025 avec des leaders de l’opposition, alimentent les accusations de partialité. De plus, des dons présumés, comme un véhicule offert par le PPRD au début du mandat de Tshisekedi en 2019, et d’autres contributions financières de politiciens, y compris de l’opposition, soulèvent des questions sur l’indépendance de l’Église, bien que ces allégations manquent de preuves concrètes.
Une influence ambivalente
L’Église catholique soutient des millions de déplacés, notamment via Caritas Congo. À Beni, la paroisse Sainte-Thérèse est un refuge pour les déplacés. Pourtant, son rôle politique reste controversé. Les visites de représentants de l’Église à des figures comme Katumbi, perçues comme un soutien à l’opposition, et les dons présumés de politiciens, du PPRD comme de l’opposition, jettent une ombre sur sa neutralité. Ces gestes, qu’ils soient motivés par la realpolitik ou la nécessité de financer ses œuvres sociales, compromettent son image de boussole morale.
Les tensions avec l’UDPS en 2024 et les actions des « bérets rouges » du PPRD en 2018 illustrent la fragilité de la position de l’Église. Les menaces des jeunes de l’UDPS, bien que non documentées précisément en 2024, s’inscrivent dans un climat de méfiance où l’Église est accusée de défier l’autorité de l’État. Les « bérets rouges », en envahissant les églises, cherchent à réprimer une institution perçue comme un catalyseur de dissidence. Ces incidents, combinés aux liens ambigus avec les élites politiques, soulignent les défis auxquels l’Église fait face pour maintenir son autorité morale.
Entre foi et pouvoir : un équilibre fragile
L’Église catholique en RDC reste un pilier, mais son rôle politique divise. Les figures de Malula, Etsou, Monsengwo, Malumalu, et Ambongo incarnent cette tension, entre soutien populaire et critiques urbaines. Malula africanise la foi, mais doit naviguer sous Mobutu. Etsou dénonce les fraudes, mais divise l’Église. Monsengwo résiste à l’autoritarisme, mais est accusé de partialité. Malumalu organise des élections historiques, mais est perçu comme un pion du pouvoir. Ambongo, aujourd’hui, marche sur une corde raide, critiquant la corruption tout en étant accusé de compromission.
L’Église peut-elle encore être la conscience du Congo ? Dans les campagnes, où elle est souvent la seule institution présente, la réponse est un oui retentissant. À Goma, les déplacés trouvent refuge dans ses paroisses. Mais à Kinshasa, les graffitis sur les murs des églises et les menaces des militants racontent une autre histoire. Les dons politiques et les rencontres avec l’opposition brouillent son message, tandis que ses critiques du pouvoir la placent dans la ligne de mire. Dans un pays où la justice est un cri étouffé, l’Église demeure une voix puissante, mais son équilibre entre foi et politique reste précaire.
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