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Mutamba-Mvonde : Un bras de fer judiciaire sur fond de règlement de comptes ?

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L’Assemblée nationale de la République démocratique du Congo (RDC) a autorisé, le 29 mai 2025, l’ouverture d’une information judiciaire à l’encontre du ministre de la Justice et garde des sceaux, Constant Mutamba. Il est accusé par le procureur général près la Cour de cassation de détournement présumé des fonds liés à la construction d’une prison dans la ville de Kisangani. Une partie de l’opinion perçoit cette action en justice comme un règlement de comptes contre un homme qui aurait mis mal à l’aise d’autres acteurs politico-judiciaires.

Le ministre de la Justice, Constant Mutamba – 37 ans – est au cœur d’un dossier judiciaire qui pourrait entacher sa jeune carrière politique. Dans un réquisitoire adressé à l’Assemblée nationale, le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, a demandé et obtenu la levée de l’immunité du ministre de la Justice pour lui permettre de répondre à une information judiciaire concernant un présumé détournement de 19 millions de dollars, dans le cadre d’un contrat de gré-à-gré pour la construction de la prison de Kisangani, dans la province de la Tshopo.

Constant Mutamba est soupçonné d’avoir violé les règles d’attribution des marchés publics en confiant les travaux à une entreprise congolaise, Zion Construction SARL, sans attendre l’avis de non-objection de la part de la Direction générale du contrôle des marchés publics (DGCMP). Lors du débat en plénière qui a suivi la présentation du rapport de la commission spéciale sur ce dossier, le député Eliezer Ntambwe a contesté la procédure ayant conduit à la levée d’immunité de Constant Mutamba. « Le dossier n’aurait pas dû aller au pénal. Il suffisait juste d’annuler le marché », estime Eliezer Ntambwe. Une approche contestée par Me Willy Wenga, avocat au barreau de Kinshasa-Gombe. Ce juriste estime que des politiciens ont parfois des intérêts entre eux mais le dossier est bien plus sérieux qu’une simple procédure administrative dans la passation des marchés.

Mutamba-Mvonde : une rancœur personnelle ?

Choisi par le président de la République Félix Tshisekedi après les élections de 2023 alors qu’il était dans l’opposition, Constant Mutamba faisait fière allure au sein du gouvernement dirigé par la Première ministre Judith Suminwa. Au Palais de justice, ce garde des sceaux a multiplié des initiatives tendant à réformer une justice qualifiée de « malade » par le chef de l’Etat lui-même. Une tâche louable mais hautement risquée au regard des réseaux jugés « mafieux » enracinés dans ce secteur. Dès le départ de son mandat en juin 2024, les méthodes du nouveau ministre ont vite créé des frustrations au sein de l’appareil judiciaire. Lors des états généraux de la justice – organisés en novembre par le ministère de tutelle et réunissant plus de 3 500 participants, dont des magistrats, des avocats, des universitaires, des activistes des droits de l’homme et des experts nationaux et internationaux – des tensions étaient palpables entre les hommes en toge et leur ministre. Dans la sphère politique, Constant Mutamba n’est pas aussi apprécié de tous, certains l’accusent de « populisme ».

Toujours en novembre, Constant Mutamba annonce l’ouverture d’une enquête pour faire la lumière sur l’acquisition d’un bien immobilier à Bruxelles par Firmin Mvonde, procureur général près la Cour de cassation. L’immeuble, d’une valeur de 900 000 euros, a été révélé par le média Africa Intelligence. « À ma demande, des enquêtes seront menées par l’Inspection Générale des Finances (IGF), la Cellule Nationale des Renseignements Financiers (CENAREF) et l’Agence Nationale de Renseignements (ANR) pour éclairer l’opinion sur ces faits », annonçait-il dans un communiqué. Quelques mois plus tard, comme une réponse du berger à la bergère, Firmin Mvonde poursuit à son tour son ministre de tutelle, accusé de détournement présumé dans un dossier de 39 millions de dollars dont le premier acompte de 19 millions aurait été virés dans un compte créé 24 heures seulement avant la transaction. Ces fonds ont été puisés dans la caisse de frivao, un fonds de réparation et d’indemnisation des victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC. Pour le procureur, il y a présomption de détournement dans le chef du ministre d’Etat à la Justice.

Pour Mutamba, Mvonde est un « Kabiliste »

Deux jours avant d’être auditionné par la commission mise en place à l’Assemblée nationale, Constant Mutamba improvise un meeting, le 26 mai, dans l’enceinte du Palais de justice pour récuser le procureur en dehors du circuit judiciaire. Devant son administration, le garde des sceaux affirme que « celui qui fait l’objet d’enquête ne peut pas enclencher [lui-même] une action contre le ministre de la Justice », faisant allusion à cette procédure sur l’achat, par Firmin Mvonde, d’un immeuble à Bruxelles. Ce qui paraît, à ses yeux, comme une « faute disciplinaire grave » et un dépassement des prérogatives. « Ce n’est pas Firmin Mvonde qui va l’entendre au parquet. C’est un autre magistrat qui sera choisi », précise Me Willy Wenga.

Dans son offensive contre le procureur, Mutamba agite aussi la fibre politique. Pour lui, Firmin Mvonde voudrait bloquer son enquête contre l’ancien président de la République, Joseph Kabila, rappelant que son adversaire « était dans le même groupe que les Kabilistes », lesquels sont à ses yeux des « mafieux ». En clair, Constant Mutamba accuse Firmin Mvonde d’être un partisan de Kabila. Pourtant, le ministre lui-même avec son regroupement politique – DYPRO – fut un proche du Front commun pour le Congo (FCC), plateforme politique de l’ancien chef de l’Etat congolais.

Le ministre de la Justice a aussi évoqué un « détournement » au sein même de son ministère, évoquant un « circuit » qu’il aurait découvert et remonté jusqu’au fonds FRIVAO. Il se dit « serein » face à la procédure de levée de son immunité et affirme « n’avoir pas peur de la prison. », dénonçant une manœuvre pour l’humilier et porter atteinte à sa réputation.

Des frictions avec certains membres du gouvernement

Le ministre de la Justice, à travers ses méthodes, se retrouve parfois en contradiction avec ses collègues au sein du gouvernement. Début mars, lors du lancement de la campagne nationale de sensibilisation de la jeunesse congolaise à la lutte contre la corruption, il a tenu des propos qui ont semblé heurter la Première ministre, Judith Suminwa, présente à cette cérémonie. « Est-ce que vous sentez l’odeur de détournement dans cette salle comme moi je la sens ? On a détourné l’argent des FARDC », avait-il lancé dans une salle remplie d’élèves. Ce à quoi la Première ministre avait immédiatement rétorqué : « Le ministre de la Justice vient de dire qu’il sent l’odeur… Êtes-vous d’accord que, tels que nous sommes ici, parmi vous (le public), il y ait l’odeur de la corruption ? Vous trouvez ça normal ? […] Alors, il faut qu’on rejette ces propos. » Une scène qui avait fait polémique, questionnant notamment sur les méthodes jugées « sans tacts » de Constant Mutamba. Mais l’intéressé avait réagi en estimant que c’était une campagne médiatique « mensongère » basée sur un montage frauduleux de ses propos lors de cette cérémonie qui avait connu notamment la présence de la ministre de la Jeunesse, de l’Éducation ainsi que du patron de l’IGF.

Mutamba reconnait des « erreurs administratives »

Lors de la séance d’audition à la commission spéciale, Constant Mutamba a reconnu ses excuses et présenté ses excuses, d’après le récit du député André Lite, citant le rapport de cette commission. Après un débat général et le vote, la plénière a adopté « la résolution portant autorisation de l’instruction à charge » du ministre d’Etat, Constant Mutamba, d’après la conclusion de Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale. Dans ce dossier, Constant Mutamba est aussi soupçonné d’avoir versé à cette société la moitié du montant des travaux, soit 19 millions de dollars, sans l’approbation de la Première ministre, Judith Suminwa.

Pour la défense du ministre, la commission spéciale a proposé que Constant Mutamba ne démissionne pas de ses fonctions. Mais Papy Niango, ancien ministre des Sports et avocat au barreau de Kinshasa-Matete, conseille au ministre d’Etat à la Justice de démissionner pour mieux pouvoir affronter la justice.

Heshima

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