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Matata Ponyo porté disparu : entre mystère judiciaire et enjeux politiques

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Le 20 mai 2025, la Cour constitutionnelle a frappé fort en condamnant l’ancien Premier ministre congolais Augustin Matata Ponyo à dix ans de travaux forcés pour détournement de fonds publics. La justice a ordonné la confiscation de ses biens personnels à hauteur des sommes détournées, estimées à environ 240 millions de dollars. Cette peine, prononcée dans le cadre de l’affaire dite « Bukanga-Lonzo » (un ambitieux projet agro-industriel), vise des détournements de plus de 156 millions de dollars versés à ce parc agricole et 89 millions pour le futur marché international de Kinshasa, des projets restés inachevés. Mais le principal acteur – Matata Ponyo – serait introuvable après la sentence. Ira-t-il purger sa peine derrière les barreaux ou restera-t-il l’otage d’un entre-deux politique ?

Ses coaccusés, l’ancien gouverneur de la Banque centrale du Congo Déogratias Mutombo et l’homme d’affaires sud-africain Christophe Grobler, ont quant à eux été condamnés à cinq ans de travaux forcés chacun mais se trouvent en dehors du territoire national, hors de portée de la justice congolaise. Après près de quatre ans de procédures et de multiples reports, le verdict est sans appel et la condamnation irrévocable, selon la Constitution congolaise. « Le procès n’a pas eu lieu, c’est un mécanisme de condamnation », dénonçait déjà un de ses avocats à la sortie de l’audience, comme le rapporte Actualité.cd dans son article du 20 mai 2025.

Réactions politiques et accusations d’acharnement

L’annonce du verdict et surtout l’absence de Matata Ponyo à partir du 21 mai ont immédiatement déclenché des interrogations. Le parti de Matata Ponyo, le Leadership et Gouvernance pour le Développement (LGD), a dénoncé ce qu’il qualifie de « disparition » inquiétante de son président. Dans un communiqué publié le 31 mai, et relayé par le site d’informations 7sur7.cd, le LGD affirme qu’Augustin Matata Ponyo est « introuvable depuis le 21 mai » (le lendemain du prononcé de la sentence) et tient « le pouvoir en place pour responsable de cette disparition ». Le texte dénonce la décision de la Cour constitutionnelle comme étant « inique, arbitraire et inconstitutionnelle ». Du côté des avocats de la défense, les critiques fusent aussi : « Cette condamnation est politiquement motivée », insiste Me Jean-Claude Kavuvwe, soulignant que son client avait publiquement refusé de rejoindre la majorité présidentielle et avait même préparé une candidature à la présidentielle de 2023 avant de s’en retirer.

Dans l’opposition, on crie à l’acharnement. Jean Kabati, membre du parti LGD, se dit « choqué » et craint un engrenage : « Si la loi n’est pas appliquée de manière transparente, cela va creuser le fossé de défiance envers nos institutions ». Plus modérée, la majorité présidentielle appelle officiellement au respect de la justice mais reste prudente sur le sort de Matata Ponyo. Un conseiller du ministère de la Justice, souhaitant rester anonyme, glisse : « Il faut laisser la procédure suivre son cours ». Une députée membre de l’union sacrée de la nation, souligne pour sa part que « quel que soit le verdict, aucun citoyen ne peut être au-dessus de la loi, même un ancien Premier ministre ». Ces réactions mitigées illustrent l’enjeu politique : la condamnation d’une figure de premier plan du régime Kabila fait resurgir les tensions entre l’ancien et le nouveau camp au pouvoir.

Le mutisme des autorités judiciaires

Officiellement, ni le gouvernement ni les autorités judiciaires n’ont détaillé la suite de l’affaire. Aucune confirmation n’a été donnée sur un éventuel mandat d’arrêt ou une procédure d’exécution de la peine. Certains spécialistes du droit évoquent le rôle déterminant de l’immunité parlementaire. Augustin Matata Ponyo est en effet député national, et « tant qu’il jouit de cette immunité, son arrestation reste théorique », rappelle un professeur de droit constitutionnel. La Constitution congolaise protège les parlementaires en exercice, ce qui oblige l’Assemblée nationale à voter sa levée pour qu’il soit effectivement arrêté. Un avocat pénaliste à Kinshasa, souligne: « En principe, un jugement pénal définitif doit s’exécuter d’office, mais le code pénal congolais subordonne l’incarcération d’un député à la levée de son immunité. En attendant ce vote, la peine de Matata Ponyo est suspendue dans les faits. » Ce verrou juridique alimente les doutes. Selon plusieurs sources judiciaires citées par Radio Okapi, des échanges discrets auraient lieu entre l’exécutif et le législatif pour débloquer la situation, mais l’Agence nationale des renseignements (ANR) comme la Cour constitutionnelle elles-mêmes restent silencieuses. Pour l’instant, aucune décision publique ne précise si la loi sera appliquée immédiatement ou si le dossier connaîtra une autre « issue ».

Mystère autour de sa localisation

Le plus surprenant demeure l’absence totale d’informations vérifiables sur la localisation de Matata Ponyo depuis la condamnation. Durant le week-end qui a suivi l’annonce du verdict, son téléphone est resté éteint et aucun proche n’a pu le joindre. La chaîne B-One TV, dans son journal du 25 mai, rapporte que « la dernière fois qu’il a communiqué avec son équipe, son portable était déjà injoignable », selon un cadre du LGD. Des membres de son parti sont même allés jusqu’à la prison centrale de Makala, à Kinshasa, pour vérifier s’il s’y trouvait, en vain. Face à ce « silence radio », de nombreuses hypothèses circulent : certains soutiennent qu’il aurait décidé de se cacher ou de quitter le pays pour échapper à une arrestation. Hervé Kaki, opposant et analyste politique, n’exclut pas la possibilité qu’il ait été exfiltré à l’étranger : « On peut imaginer que des alliés lui aient ouvert un passage dans un pays voisin, comme le Rwanda ou la Tanzanie, pour le protéger temporairement ». D’autres, y compris au sein du régime, chuchotent l’éventualité d’une garde rapprochée discrète pour éviter que l’affaire ne dégénère publiquement. Quelle que soit la vérité, ce mystère nourrit les rumeurs. « Dans un État de droit, un condamné doit répondre de sa peine devant la justice. Cette absence prolongée ne peut qu’envenimer la suspicion », prévient un magistrat sous couvert d’anonymat.

Enjeux politiques et suite de la procédure

Le flou actuel a vite dépassé le cas personnel de Matata Ponyo pour se transformer en enjeu national. L’opposition accuse désormais le président Tshisekedi de se servir de la justice comme d’une arme politique contre ses adversaires politiques. Jules Mandiba, membre du Front Commun pour le Congo (ex-majorité de Kabila), prévient : « Si Matata Ponyo disparaît dans l’ombre, c’est toute l’opposition qui en paiera le prix. Le signal envoyé est grave. » Du côté du pouvoir, certains soulignent la nécessité de faire respecter la loi : « L’important est que les coupables soient punis, quel que soit leur rang », affirme un responsable de l’UDPS. Toutefois, beaucoup appellent à la prudence pour ne pas transformer cette affaire en crise politique.

Aujourd’hui, tout est bloqué sur le plan juridique : seul le Parlement peut décider de lever l’immunité de M. Matata Ponyo. L’analyste François Ndaya du Centre Africain d’Études Stratégiques résume la situation dans un entretien accordé au journal Le Phare : « Le gouvernement ne peut pas directement incarcérer un député. Pour contourner l’impasse, il doit faire voter une loi ou saisir l’Assemblée. Tant que cela n’est pas fait, la Cour constitutionnelle reste silencieuse et chacun attend l’autre au tournant. C’est un bras de fer institutionnel qui se joue là. » Pendant ce temps, la communauté internationale suit la situation de près : plusieurs organisations ont rappelé que le respect de l’état de droit et de la présomption d’innocence doit être garanti. Un porte-parole de Human Rights Watch, interrogé par la Deutsche Welle, note : « Cet imbroglio démontre les failles du système judiciaire, mais aussi la nécessité d’une décision claire des institutions démocratiques ».

Au final, l’avenir de Matata Ponyo est incertain. Ira-t-il purger sa peine derrière les barreaux ou restera-t-il l’otage d’un entre-deux politique ? Rien n’est joué. Pour l’instant, c’est tout le paysage politique congolais qui reste suspendu aux prochains développements : le jugement de la Cour constitutionnelle s’est achevé, mais la « sentence » politique, elle, ne fait que commencer.

Heshima Magazine

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