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L’an un de Judith Suminwa : un bilan économique occulté par des revers sécuritaires

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En République démocratique du Congo (RDC), un an après l’investiture du gouvernement de la Première ministre Judith Suminwa Tuluku, l’heure du bilan a sonné. Si les chiffres réalisés dans le secteur économique sont encourageants, le domaine de la sécurité particulièrement dans l’Est du pays semble apporter une part d’ombre à ces efforts. Son bilan est donc marqué par des avancées notables dans certains secteurs et des défis persistants dans d’autres. Heshima Magazine fait un focus sur les points marquant cette gouvernance.

Première femme à occuper la fonction de première ministre depuis l’indépendance du pays, Judith Suminwa a totalisé une année à la tête de l’exécutif national. Le 11 juin 2024, lors de la présentation de son ambitieux programme du gouvernement à l’Assemblée nationale, elle avait promis d’agir sur 6 piliers : création d’emplois, sécurisation du pays, pouvoir d’achat, diversification de l’économie, amélioration des services de base ainsi qu’une plus grande efficacité des services publics. Prévues à 92 milliards de dollars en cinq ans, ce programme prévoit aussi de moderniser la Police nationale congolaise (PNC). Une année après, certains paramètres économiques sont encourageants, notamment la stabilité du taux de change, une inflation maîtrisée, les recettes de l’Etat de plus en plus en hausse et un budget national en constante augmentation malgré une loi de finances rectificative due aux réalités de la guerre dans l’Est du pays.

La Première ministre, elle-même, a reconnu depuis Kolwezi où elle séjournait que cette année passée au gouvernement est « marquée malheureusement par la guerre et les urgences humanitaires diverses » dans l’Est et une partie de l’Ouest du pays. Toutefois, elle souligne que pendant cette année, le franc congolais est resté stable, maintenu autour de 2 856 CDF/USD depuis août 2024. La solde des militaires et des policiers a été doublée, le pouvoir d’achat des Congolais est protégé et la RDC retrouve son influence sur la scène diplomatique mondiale. « Les Congolais tiennent debout, unis », a-t-elle ajouté dans un post sur son compte X. Lors du 47e conseil des ministres tenu à Kolwezi, dans la province du Lualaba, elle a vanté son bilan économique, le qualifiant de « positif ».

Un cadre macro-économique stabilisé !

Au sein de l’équipe Suminwa qui comprend 54 membres figure le ministre des Finances, Doudou Fwamba. Dès sa prise de fonction, le nouveau ministre avait déclaré la guerre à la dépréciation du franc congolais face aux devises étrangères. Cette monnaie nationale, en dépit de diverses mesures prises par les autorités, continuait de s’effondrer, entraînant une hausse des prix sur les marchés, notamment des produits de première nécessité. À son arrivée, Doudou Fwamba a promis d’inverser cette tendance par la « maîtrise du cadre macro-économique » ainsi que par la « stabilité du taux de change ». Une année après, le franc congolais est bien resté stable. Avant l’équipe Suminwa, le taux d’inflation en République démocratique du Congo connaissait des fluctuations importantes, mais depuis près d’une année, il semble y avoir une tendance à la baisse. En 2023, l’inflation était de 23,8 %. D’après le gouvernement, elle a été réduite de façon significative à moins de 10 %, avec une prévision à 7,8 % d’ici décembre 2025, grâce à une gestion rigoureuse des politiques monétaires et budgétaires.

Dans le lot des points positifs, Judith Suminwa a cité aussi la fixation du SMIG à 14 500 CDF à partir de mai 2025, avec un réajustement prévu à 21 500 CDF dès janvier 2026 et l’augmentation significative des réserves de change culminant à plus de 6 milliards de dollars.

Réformes des finances publiques

Sous le gouvernement Suminwa, l’administration des finances connaît des réformes. Le ministre des Finances a simplifié le système fiscal, il s’est concentré sur la réduction du train de vie des institutions bien que toujours budgétivores. Doudou Fwamba a aussi réduit les paiements en procédure d’urgence qui sont passés de 22% à 7%, en août 2024. Comme point positif, le gouvernement a également cité l’augmentation des crédits alloués à l’investissement, notamment pour les secteurs industriels, la mise en œuvre du processus de rationalisation de la parafiscalité, la diminution du prix du carburant à la pompe, la poursuite du programme de développement à la base des 145 territoires, la mise en œuvre du programme de gratuité de la maternité et de prise en charge des nouveau-nés dans le cadre de la couverture santé universelle, la consolidation de la gratuité de l’enseignement primaire, la réforme et la modernisation de la fonction publique.
Secteur de l’emploi bouge mais sans incidence majeure

Dans le secteur de l’emploi et entrepreneuriat, le gouvernement a lancé le projet Transforme pour autonomiser les femmes et les jeunes entrepreneurs. Ce projet a un financement de 300 millions USD avec pour objectif : formaliser, renforcer et financer 25 000 entrepreneurs, avec à terme 75 000 emplois directs attendus. À côté de ce projet Transforme, le gouvernement, à travers l’ARSP, a favorisé la signature de 1 385 contrats de sous-traitance pour un montant global de 2,045 milliards de dollars au profit de 786 Petites et moyennes entreprises (PME) congolaises. Cela a généré des milliers d’emplois directs et indirects dans les secteurs productifs.

Dans le secteur industriel, l’équipe de Judith Suminwa a injecté un financement spécifique de plus de 50,9 millions de dollars répartis entre plusieurs projets. Au Sud-Kivu, près de 9 millions de dollars ont été réservés pour relancer la production du sucre. À la Tshopo, la société SOTEXKI a bénéficié de 5,6 millions de dollars pour le textile, avec 410 emplois directs et 55 000 indirects. Toujours dans cette province, NEW CIMAIKO a eu 6,7 millions de dollars pour la production de ciment. Quant à TRIOMF RDC, le gouvernement a alloué 14 millions de dollars pour la production locale d’engrais chimiques. Dans le secteur minier, le gouvernement a soutenu la relance de la production du zinc à Likasi, dans le Haut-Katanga avec 1000 emplois directs.

Mais au niveau de la classe politique, les avis restent contrastés sur ce l’an un du Gouvernement Suminwa. Si l’opposition, à travers la coalition LAMUKA, évoque un échec dans plusieurs secteurs, la société civile, quant à elle, nuance ce bilan. « Il y a des avancées sur le plan macroéconomique et diplomatique, notamment dans la stabilisation du taux de change et la lutte pour la paix. Mais, sur l’emploi et la sécurité, les résultats restent modestes », a déclaré Jonas Tshiombela, coordonnateur de la Nouvelle société civile. Selon lui, l’objectif de 6,4 millions d’emplois d’ici 2028 reste ambitieux, mais le fossé entre les chiffres et l’impact réel se fait sentir.

Financement de la Couverture santé universelle

Depuis 2023, plus de 426 000 femmes ont été prises en charge depuis le début du programme de gratuité de la maternité initié dans le cadre de la Couverture santé universelle (CSU). Le gouvernement Suminwa se vante d’avoir assuré la continuité de ce programme bien qu’après son extension dans 14 provinces du pays, le projet a semblé s’essouffler sur le plan financier. Le gouvernement injecte 200 millions de dollars par an dont 42 millions uniquement pour la ville de Kinshasa, d’après les chiffres avancés par le ministre de la Santé Samuel-Roger Kamba. Le gouvernement a continué aussi de financer la construction de certaines infrastructures sanitaires dans ce secteur.

La sécurité, principal talon d’Achille du gouvernement

Si les indicateurs macro-économiques sont bons, ceux du secteur de la sécurité n’ont pas été fameux. Malgré le début depuis novembre 2021 de l’agression de la RDC par le Rwanda en soutien aux rebelles du Mouvement du 23 mars (M23), ce problème sécuritaire s’est gravement dégradé sous le gouvernement Suminwa. En janvier et février 2025, deux capitales des provinces du Nord et Sud-Kivu sont tombées aux mains de l’armée rwandaise et des rebelles de l’AFC/M23. Les villes de Goma et Bukavu continuent d’être occupées en dépit des budgets colossaux alloués aux services de sécurité ces dernières années.

En août 2022, le gouvernement avait doté les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) d’une ordonnance-loi portant programmation militaire. Cette loi, une première dans l’histoire de l’armée congolaise, intervient dans le cadre de la réforme de l’armée. Selon le gouvernement, cette loi constitue « un acte d’engagement de toute la Nation » afin de permettre à l’armée de développer ses capacités opérationnelles. Ce qui devrait permettre à la « grande muette » de faire face à l’insécurité et aux menaces émergentes multiformes. Véritable outil légal de planification des dépenses en matière militaire pour prévoir les investissements importants, cette loi devrait

servir à redynamiser l’armée congolaise. Cette loi prévoit d’ailleurs un budget cumulatif de 1,330 milliard de dollars pour une période de cinq ans, soit 266 millions de dollars par an.
En outre, cette loi intègre la formation et l’entraînement des troupes, les opérations de maintien de la paix, l’acquisition de matériels de guerre ainsi que le recrutement de soldats. Mais près de 3 ans après, les résultats se font toujours attendre. Dans l’intervalle, le budget de l’armée est passé de plus de 350 millions de dollars par an à près de 1 milliard de dollars par an, ce qui n’a malheureusement pas permis d’endiguer les multiples conflits dans l’Est.

L’armée peine encore à déloger des groupes armés tels que la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) en Ituri, et la Convention révolutionnaire populaire (CRP), un nouveau groupe armé allié au M23 créé par l’ancien seigneur de guerre Thomas Lubanga.
À l’international, cette année a également été marquée par une sanction prise par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) contre le Rwanda, accusé de soutenir militairement les rebelles du M23 dans l’Est de la RDC. Cette sanction a provoqué le retrait du Rwanda de cette organisation, le pays accusant Kinshasa de « manipulation politique ».
Du côté de l’économie, le gouvernement Suminwa a également annoncé la mise en place d’un nouveau système de gestion des finances publiques, plus transparent et plus efficace, coûtant moins cher que le précédent.

Heshima Magazine

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