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Isolé à Doha et à Washington : Kabila attend la carte de la CENCO-ECC

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L’ancien président de la République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila, ne semble plus avoir les cartes en main. Revenu au pays via Goma, ville congolaise contrôlée par les rebelles du Mouvement du 23 mars (AFC/M23), soutenus par le Rwanda, l’ancien président s’est retrouvé isolé dans cette ville volcanique alors que Kinshasa et Kigali sont en passe de signer un accord de paix à Washington, aux États-Unis. Pendant ce temps, à Doha, capitale du Qatar, où se déroulent les discussions entre le gouvernement congolais et les rebelles, Kabila reste absent. Son entourage espère désormais jouer la carte du dialogue interne initié par les chefs religieux de la CENCO et de l’ECC.

Joseph Kabila est toujours à Goma. Après avoir consulté les rebelles de l’Alliance Fleuve Congo (AFC) plateforme dans laquelle se trouve le M23, puis la société civile locale et des chefs coutumiers de la zone environnante, Joseph Kabila n’a plus entrepris d’actions visibles à Goma. Les négociations officielles qui se déroulent aux États-Unis et au Qatar continuent de se dérouler sans lui. Pendant que Kinshasa se rapproche d’un accord minier avec Washington et d’un accord de paix avec Kigali, l’ancien président a dépêché son émissaire à Washington DC pour tenter de porter sa voix.

Envoyé dans la capitale américaine, son ancien conseiller diplomatique, Barnabé Kikaya Bin Karubi, a déclaré au journaliste Stanis Bujakera que son camp politique était parvenu à susciter des réserves parmi les facilitateurs de ces discussions. « Résoudre la crise congolaise par un simple accord avec le Rwanda serait une erreur. Il faut à tout prix aborder la question congolaise, interne, par un dialogue pacifique. Monsieur Kabila, c’est un homme de paix, un homme de dialogue », a déclaré Barnabé Kikaya.

Pour l’heure, la vision de la crise défendue par Joseph Kabila n’a pas été prise en compte par le gouvernement congolais. Kinshasa l’accuse d’avoir refusé de participer aux dernières élections (en 2023) pour « préparer une insurrection » avec la rébellion de l’AFC coordonnée par l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Corneille Nangaa. D’où son isolation par le gouvernement congolais dans les discussions en cours. Interrogée en mars dernier en Afrique du Sud sur la participation de l’ancien chef de l’État au processus de paix en cours, la ministre d’État aux Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner avait répondu qu’aucun rôle n’avait été prévu pour Joseph Kabila dans les discussions de paix.

La CENCO-ECC reçue par Tshisekedi, Kabila attend ce dialogue

Le samedi 21 juin 2025, le président de la République, Félix Tshisekedi, a reçu la délégation des chefs religieux de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et de l’Église du Christ au Congo (ECC). Après avoir longtemps attendu cette audience, ces hommes d’église lui ont remis le rapport de leur mission relative au Pacte social, qui s’inscrit dans le cadre de la recherche de la paix dans la région de Grands Lacs, en général, et en RDC, en particulier.

Ce projet évoque un dialogue national inclusif entre tous les acteurs de la crise, une initiative qui a suscité la polémique, notamment en raison des soupçons de partialité des évêques dans cette crise. Ce rapport fait état de la mission effectuée tant au pays qu’à l’étranger à l’initiative des évêques de ces deux confessions religieuses. Félix Tshisekedi a mis en place une équipe de travail pour réfléchir autour de ce rapport. Ce dialogue – s’il se tient – pourrait être le dernier rempart pour Joseph Kabila afin d’influencer à nouveau le cours de la politique congolaise.

Kabila supporte mal sa marginalisation sur la scène politique, alors qu’il avait joué un rôle central dans l’alternance pacifique au pouvoir en 2019. « Toute tentative de résolution de cette crise qui ignorerait ses causes profondes – en premier lieu la gouvernance actuelle de la RDC – ne pourra pas apporter une paix durable », avait écrit Joseph Kabila dans une tribune publiée par Sunday Times, un journal sud-africain.

Pour lui, les innombrables violations de la constitution ne prendront pas fin « après une simple négociation entre la RDC et le Rwanda ou une défaite militaire du M23 ». Après avoir été exclu des processus de Doha et de Washington, Joseph Kabila espère se rattraper avec l’initiative de la CENCO-ECC qui pourrait inclure plusieurs acteurs politiques. « Il faut qu’il y ait une structure qui organise ce dialogue. Les évêques ont essayé. Le président Kabila, dans son discours, a applaudi cette initiative », a déclaré Kikaya Bin Karubi, faisant allusion aux consultations menées ces trois derniers mois par les Églises catholique et protestante en RDC et à l’étranger. « Si l’initiative des évêques aboutissait demain, vous verrez M. Kabila autour de la table », a-t-il annoncé.

Kabila a-t-il été l’objet de pression de Kigali ?

Étant passé par le Rwanda avant d’atteindre Goma – quartier général des rebelles – Joseph Kabila avait fait de la fin de la « tyrannie » de Félix Tshisekedi son objectif numéro un lors de son allocution à la nation congolaise le 23 mai 2025. Ayant passé par le Rwanda avant d’atteindre Goma, l’ancien « raïs » semblait peut-être compter sur ce pays agresseur de la RDC pour réaliser son plan à 12 recommandations. Mais la perception du Rwanda de l’action de Joseph Kabila semble tout autre. Selon François Soudan, rédacteur en chef de Jeune Afrique, l’ancien président semble « bien décidé à obtenir un changement de régime à Kinshasa », alors que ses alliés sont dans une « logique de contrôle des deux Kivu comme zone tampon sécuritaire pour le Rwanda, et comme zone d’influence communautaire pour le M23 ». D’après François Soudan, « dans le jeu de Kigali, Joseph Kabila apparaît comme une carte pour faire pression sur Félix Tshisekedi, rien de plus. »

Selon Jeune Afrique, Félix Tshisekedi « est en train de compenser, sur les plans diplomatique et politique, les revers de son armée sur le plan militaire ». Outre l’obtention de la résolution de l’ONU demandant le retrait du M23, le chef de l’État congolais a pu se présenter en rassembleur par le biais d’une « accolade spectaculaire avec Martin Fayulu », pourtant l’un de ses opposants les plus acharnés. Cette ouverture montrée avec Martin Fayulu peut amener à décrisper les rivalités au sein de la classe politique et faire le lit à un dialogue politique interne. Dans ces discussions, Joseph Kabila aurait pu avoir une place de choix compte tenu de son statut d’ancien président de la République et de sénateur à vie. Mais son possible soutien à la rébellion, qui a entraîné la levée de ses immunités au Sénat, lui nuit actuellement. Dans un tel contexte, la carte du dialogue de la CENCO-ECC reste sa seule planche de salut, sauf un coup de théâtre…

Heshima

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