La République démocratique du Congo (RDC) possède un potentiel économique qui donne le vertige : ses réserves de minerais critiques sont estimées à 24 000 milliards de dollars selon un récent rapport de la Banque mondiale. Premier producteur mondial de cobalt, regorgeant de cuivre, d’or, de diamants et de terres rares essentielles à la transition énergétique, le pays dispose d’atouts considérables pour devenir une puissance économique africaine. Pourtant, cette richesse extraordinaire contraste cruellement avec la réalité quotidienne des Congolais, dont plus de 70% vivent avec moins de 2 dollars par jour.
« Nous marchons littéralement sur des trésors, mais nos enfants n’ont pas d’écoles décentes et nos hôpitaux manquent de tout », confie Jeanne Mabika, commerçante à Kinshasa. « Comment expliquer ce paradoxe sinon par la corruption qui gangrène notre pays à tous les niveaux ? »
Ce paradoxe s’explique en grande partie par un climat des affaires défavorable qui dissuade les investisseurs privés. Selon l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) 2023 de Transparency International, la RDC se maintient à un score de 20/100, la classant 162ᵉ sur 180 pays. Bien qu’il s’agisse d’une légère amélioration par rapport à 2022 (166ᵉ), cette stagnation confirme que la corruption reste endémique et structurelle, freinant le développement économique et décourageant les investissements.
Une bureaucratie paralysante
Le système judiciaire inefficace, la bureaucratie excessive, le faible accès au crédit et l’instabilité politique constituent les principales entraves au développement du secteur privé en RDC. La Banque africaine de développement (BAD) a identifié ces contraintes lors d’un atelier organisé à Kinshasa, soulignant également le déficit en infrastructures et une fiscalité complexe et peu transparente.
« Pour obtenir un simple permis d’exploitation, j’ai dû verser des pots-de-vin à sept fonctionnaires différents et attendre huit mois », témoigne Pascal Kilapi, entrepreneur dans le secteur agricole à Lubumbashi. « Comment voulez-vous développer une activité rentable dans ces conditions ? Les tracasseries administratives découragent même les plus motivés d’entre nous. »
Les affaires de corruption touchent régulièrement les plus hautes sphères de l’État. En juin 2025, le ministre de la Justice, Constant Mutamba, a été contraint de démissionner suite à des accusations de tentative de détournement d’argent public dans un projet de construction d’une prison à Kisangani, pour un montant d’environ 19 millions de dollars. Cette affaire n’est que la partie émergée de l’iceberg. En 2020, Vital Kamerhe, alors directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi, avait été condamné pour avoir détourné près de 50 millions de dollars destinés à un projet de logement social, avant d’être acquitté deux ans plus tard et de réintégrer le gouvernement.
L’impact dévastateur sur l’économie et la population
La corruption systémique a des conséquences directes sur le développement économique du pays. Elle détourne les ressources qui devraient servir à construire des infrastructures essentielles, à améliorer les services publics et à créer des emplois. Elle renforce également les inégalités sociales et nourrit les conflits, notamment dans l’Est du pays.
L’économiste congolais Emmanuel Patela, analyse : « La corruption en RDC n’est pas un simple dysfonctionnement, c’est un système parallèle de gouvernance qui capte les ressources au profit d’une minorité. Les investisseurs étrangers hésitent à s’engager dans un environnement où les règles du jeu sont constamment faussées et où la sécurité juridique est inexistante. »
Cette situation explique pourquoi, malgré son potentiel extraordinaire, la RDC ne figure pas parmi les dix pays africains attirant le plus d’investissements privés. L’Afrique du Sud (5,07 milliards de dollars), le Nigeria (3,96 milliards) et l’Égypte (3,37 milliards) occupent le podium, tandis que des pays aux ressources bien moindres comme la Côte d’Ivoire (2,18 milliards) ou le Kenya (1,7 milliard) surpassent largement la RDC en termes d’attractivité pour les capitaux privés.
Des réformes prometteuses mais insuffisantes
Face à ce constat alarmant, le gouvernement congolais a entrepris plusieurs réformes pour améliorer le climat des affaires. Le 15 novembre 2024, sous l’égide de l’Agence nationale pour la promotion des investissements (ANAPI), une feuille de route des mesures et réformes gouvernementales a été validée lors d’une réunion du comité de pilotage présidée par le Vice-Premier ministre, ministre du Plan, Guylain Nyembo.
Cette feuille de route comprend notamment la digitalisation des procédures administratives et fiscales, la réduction des délais de traitement des actes administratifs et la simplification du cadre réglementaire. Des ateliers de formation ont également été organisés dans plusieurs provinces, comme au Kongo-Central en février 2025, pour outiller les cellules provinciales du climat des affaires.
« Ces initiatives sont encourageantes. Nous félicitons le gouvernement pour les progrès réalisés. La Feuille de route est un atout que nous pourrons promouvoir auprès de nos entrepreneurs et gouvernements », a déclaré Jennifer Imperator, Chargée d’Affaires de l’Ambassade des Pays-Bas.
Cependant, ces réformes se heurtent à la résistance d’une administration habituée aux pratiques de corruption. « Malgré le volontarisme dont il fait preuve, le président Tshisekedi aura difficile à réaliser son engagement d’assainir l’environnement des affaires en RDC, avec une administration publique et un système judiciaire remplis de fonctionnaires et de magistrats qui baignent dans la corruption jusqu’à la moelle », analyse le politologue Isidore Kwandja Ngembo.
Les modèles inspirants : quand l’absence de ressources devient un atout
Pour sortir de cette impasse, la RDC pourrait s’inspirer de pays qui ont réussi à transformer leur économie malgré des ressources naturelles limitées, voire inexistantes. Ces exemples démontrent que la gouvernance, l’innovation et la vision stratégique peuvent largement compenser l’absence de richesses minières.
LeSingapour constitue l’exemple le plus frappant de réussite économique sans ressources naturelles. Totalement dépourvu de ressources naturelles et agricoles, ce petit pays est devenu l’une des économies les plus prospères au monde avec un PIB par habitant d’environ 73 000 dollars, se classant au 2ème rang mondial derrière le Luxembourg.
« Singapour est sans doute la plus grande réussite économique d’après-guerre, dans un contexte au départ hostile », souligne le magazine d’actualité L’Express. Quand Lee Kuan Yew est devenu président en 1965, l’île accueillait une population hétérogène sans accès aux ressources naturelles. Le modèle économique singapourien repose sur une forte ouverture au commerce international et aux investissements étrangers, avec un environnement des affaires et une fiscalité très attractive.
La stratégie économique proactive du gouvernement a organisé la montée en gamme de l’industrie et des services en attirant le commerce (égal à environ trois fois le PIB), les investissements étrangers (quatre fois le PIB en stock d’IDE) et la main d’œuvre étrangère (un tiers de la population active). Près de la moitié (46%) des sièges régionaux asiatiques se trouvent aujourd’hui à Singapour.
La Corée du Sud offre un autre exemple remarquable de transformation économique. Selon les statistiques, le PNB par habitant est resté presque stagnant entre 1953 et 1960 (de 56 à 60 dollars), alors que la Corée du Nord avait quasiment quadruplé le sien sur la même période.
Le modèle de développement sud-coréen s’est basé sur des liens étroits entre le gouvernement et les milieux d’affaires, incluant le crédit dirigé, les restrictions aux importations, le financement de certaines industries, et un gros effort de travail. Le gouvernement a favorisé l’importation des matières premières et de la technologie aux dépens des biens de consommation et a encouragé l’épargne et l’investissement au détriment de la consommation.
Aujourd’hui, la Corée du Sud tient sa force économique de son industrie manufacturière, qui représente 25% du PIB coréen, soit l’une des parts les plus importantes parmi les pays développés. Le pays est devenu le 4ème marché mondial de la robotique, avec des ventes qui devraient atteindre 4,5 milliards d’euros en 2024.
Le Vietnam est aussi un autre exemple qui illustre parfaitement comment un pays peut fonder son développement sur l’ouverture économique. Avec une croissance moyenne supérieure à 6% sur les vingt dernières années, et un PIB par tête qui dépasse maintenant celui des Philippines et de l’Indonésie, le Vietnam se place parmi les économies les plus dynamiques d’Asie du Sud-Est.
Le Vietnam a fondé son développement sur l’ouverture de sa balance des paiements, par le biais du commerce extérieur et des investissements directs étrangers (IDE). Les investisseurs étrangers plébiscitent surtout la stabilité politique du pays, son degré d’ouverture aux IDE, son appartenance à un réseau dense d’accords de libre-échange et le coût réduit de sa main d’œuvre assez bien formée.
Le cas le plus fascinant de transformation est sans doute économique est sans doute l’Irlande. Jusqu’aux années 1980, l’Irlande était l’un des pays les moins développés d’Europe occidentale, avec une économie largement basée sur l’agriculture, avec une majorité d’exploitation familiale, un taux de chômage élevé et une émigration massive.
Le « Programme de redressement national » lancé en 1987 visait à réduire le déficit budgétaire par des coupes dans les dépenses publiques, une modération salariale et des réformes fiscales. L’un des principaux moteurs de la croissance économique irlandaise a été l’attraction d’investissements étrangers, notamment des entreprises américaines, grâce à des taux d’imposition sur les sociétés très bas, une main-d’œuvre anglophone et bien éduquée, ainsi qu’un accès privilégié au marché européen.
Aujourd’hui, la croissance du PIB réel devrait s’établir à 3,7% en 2025, et l’Irlande a accompli des progrès impressionnants en matière de résultats économiques et de qualité de niveau de vie parmi les meilleurs.
L’exemple de la République d’Estonie montre comment la transformation numérique peut servir de catalyseur au développement économique. Ce petit pays d’environ 1,3 million d’habitants a fait des progrès incroyables dans sa transformation numérique, cultivant un environnement favorable à l’innovation qui a abouti à la création de dix entreprises technologiques d’un milliard de dollars au point d’être qualifiée par le Forum économique mondial de « pays le plus entrepreneurial d’Europe ». La première version des principes de la politique estonienne de l’information a été établie en 1994, autorisant l’allocation d’un pourcentage du PIB spécifiquement aux technologies de l’information. Elle a été la première nation à offrir la citoyenneté numérique, permettant aux entrepreneurs du monde entier de créer et de gérer des entreprises en ligne. En 2023, plus de 80% des services gouvernementaux sont accessibles en ligne, et le payement des impôts se fait en quelques minutes grâce à une interface simplifiée.
Le cas particulier du Botswana : la bonne gouvernance des ressources
Bien que le Botswana dispose de ressources naturelles (principalement des diamants), son modèle de développement offre des leçons précieuses sur la bonne gouvernance. C’est l’un des rares pays africains à avoir connu une transformation économique impressionnante depuis son indépendance en 1966.
Contrairement à d’autres nations riches en matières premières mais freinées par la mauvaise gouvernance comme la RDC, le Botswana a su éviter « la malédiction des ressources naturelles ». Toutes les mines de diamants du Botswana sont exploitées dans le cadre d’un accord de licence avec le gouvernement, en vertu duquel 80% des recettes liées aux diamants sont réinjectées dans l’économie du pays.
Le pays affiche une croissance soutenue depuis son indépendance, atteignant parfois plus de 10% par an grâce à une politique budgétaire rigoureuse qui limite le gaspillage des ressources publiques, des investissements dans les infrastructures et une gestion transparente des revenus miniers évitant la fuite des capitaux.
Les réformes indispensables pour transformer l’économie congolaise
Pour renforcer la confiance des investisseurs et libérer le potentiel économique de la RDC, plusieurs réformes structurelles s’imposent. Lors du Annual Investment Meeting Congress 2025 à Abu Dhabi, la délégation gouvernementale congolaise, conduite par la Première ministre Judith Suminwa Tuluka, a présenté une stratégie de diversification économique articulée autour de trois secteurs prioritaires : les infrastructures et BTP, l’énergie et l’industrialisation, et le numérique.
Parmi les mesures déjà mises en œuvre figurent la réduction des délais d’enregistrement des entreprises à 72 heures et l’adoption d’un nouveau code des investissements. Ces réformes s’accompagnent d’incitations fiscales pour les secteurs prioritaires et d’un programme ambitieux de développement des infrastructures.
« Le pays doit absolument renforcer son système judiciaire pour garantir la sécurité juridique des investissements que recherche tout investisseur », souligne Me Bernardine Kongolo, avocate spécialisée en droit des affaires. « Sans un État de droit fonctionnel, toutes les autres réformes resteront lettre morte. Les investisseurs ont besoin de savoir que leurs contrats seront respectés et que les différends seront réglés de manière équitable sans interférences politiques. »
La lutte contre la corruption doit également s’accompagner d’une sensibilisation et d’une éducation de la jeunesse. « Il faut sensibiliser et éduquer la jeunesse congolaise aux méfaits de la corruption », plaide Saidi Mugunda, entrepreneur agricole à Goma. « Dans certains secteurs, les entrepreneurs s’approvisionnent auprès de sources peu sûres et corrompent les agents du service public de certification pour obtenir des autorisations malgré la qualité douteuse de leurs produits. »
Les bénéfices potentiels pour l’État et la population
Si la RDC parvenait à améliorer significativement son climat des affaires et à attirer davantage d’investissements privés, les bénéfices seraient considérables tant pour l’État que pour la population. Selon Nicolas Kazadi, ancien ministre des Finances, en termes d’opportunités d’affaires, il y a très peu de pays en Afrique et dans le monde qui ont autant d’opportunités d’investissement que la RDC.
L’afflux de capitaux privés permettrait de développer les infrastructures essentielles, de créer des emplois formels et de diversifier l’économie, actuellement trop dépendante du secteur minier. La Société américaine de financement du développement international (DFC) pourrait plus que doubler ses investissements dans le secteur minier en RDC pour atteindre environ 1,4 milliard de dollars, contre 750 millions de dollars investis en 2023.
« Nous nous appuyons sur nos propres financements, non seulement dans le secteur minier mais aussi dans des pays comme la RDC, dans l’espoir de pouvoir réduire les risques et attirer davantage de capitaux privés », a déclaré Nisha Biswal, directrice générale adjointe de la DFC.
La diversification économique est cruciale pour réduire la vulnérabilité du pays aux fluctuations des cours des matières premières. Comme souligné par l’ancien premier Ministre Jean-Michel Sama Lukonde, l’effort du gouvernement pour améliorer non seulement notre climat des affaires, mais surtout notre potentiel d’investissement va dans le sens de répondre à une question sociale du plus haut niveau, celle de la création des emplois et de la création des richesses.
Un tournant décisif pour l’avenir du Congo
La RDC se trouve à un moment charnière de son histoire. Avec ses ressources naturelles exceptionnelles et une population jeune et dynamique, le pays possède tous les atouts pour devenir une puissance économique africaine. Cependant, la corruption endémique et un climat des affaires défavorable continuent de freiner son développement.
Les réformes engagées par le gouvernement vont dans la bonne direction, mais leur mise en œuvre effective nécessitera une volonté politique très forte et un changement profond des mentalités. Comme l’affirmait Paul Nsapu, alors vice-président de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), « la corruption doit être érigée en crime économique, et crime contre l’humanité. Si le président Tshisekedi ose combattre cette corruption, nous serons là pour le soutenir ».
L’exemple de pays comme Singapour, la Corée du Sud, le Vietnam, l’Irlande ou l’Estonie montre qu’une transformation rapide est possible avec des politiques appropriées et une gouvernance transparente. Ces nations ont prouvé que l’absence de ressources naturelles peut même constituer un avantage, forçant les dirigeants à miser sur l’innovation, l’éducation et la création de valeur ajoutée.
Pour la RDC, l’enjeu est désormais de transformer ses immenses richesses naturelles en prospérité partagée pour l’ensemble de sa population. Le chemin sera long et semé d’embûches, mais l’avenir du Congo en dépend.
« Notre pays est comme un géant endormi », conclut Jean Mutomb, professeur d’économie. « Il est temps de le réveiller en libérant les énergies entrepreneuriales et en mettant fin à la corruption qui nous paralyse. Nos enfants méritent mieux que la pauvreté au milieu de tant de richesses. »
Heshima Magazine