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RDC : l’agriculture, seule arme pour vaincre l’insécurité alimentaire

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La République démocratique du Congo (RDC) traverse une crise alimentaire importante. Des millions de citoyens peinent à se nourrir convenablement, alors même que le pays regorge de terres fertiles et de ressources naturelles à faire rêver tout investisseur agricole. Cette contradiction, criante, laisse entrevoir un paradoxe : comment un pays aussi riche en potentialités agricoles peut-il laisser une grande partie de sa population souffrir de la faim ? Plus qu’une interrogation, c’est un appel à repenser l’agriculture comme levier central de transformation sociale et économique.

En 2025, la situation reste préoccupante. D’après les chiffres publiés en janvier par l’Integrated Food Security Phase Classification, près de 27,7 millions de Congolais, soit environ un quart de la population évaluée, vivent en insécurité alimentaire aiguë. Parmi eux, 3,9 millions sont classés en situation d’urgence. Ces chiffres, derrière leur froideur statistique, traduisent une réalité implacable : des familles entières luttent pour survivre dans un pays qui pourrait, selon la Banque africaine de développement, nourrir jusqu’à deux milliards d’individus grâce à ses quelque 80 millions d’hectares de terres arables, dont à peine 10 % sont exploités.

La RDC, pourtant, ne manque pas de productions agricoles phares. Le manioc, avec 29,9 millions de tonnes récoltées en 2018, et les bananes plantains, avec 4,7 millions de tonnes, placent le pays parmi les tout premiers producteurs mondiaux, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Mais ces chiffres ne suffisent pas à masquer les carences du système. « Nous avons les terres, l’eau, le climat. Il ne manque que la volonté de transformer ce potentiel en réalité durable », estime Jacques Malila, spécialiste du développement agricole.

Des freins structurels persistants

Le premier défi tient aux infrastructures. Trop de routes, impraticables pendant la saison des pluies, coupent les producteurs des circuits de distribution. Marie Nzola, agricultrice dans le Sud-Ubangi, confiait à un média local en mars 2024 : « Nous travaillons dur, nous récoltons, mais l’absence de routes fait pourrir nos produits. » Ce constat, malheureusement répandu, est appuyé par un rapport du Programme alimentaire mondial datant de 2022, qui identifie l’effondrement des infrastructures comme l’un des déclencheurs majeurs de la crise alimentaire actuelle. Le manque d’électricité, d’installations de conservation ou encore de systèmes d’irrigation freine lourdement la productivité, en particulier dans les zones reculées.

Autre obstacle : l’accès au financement. Une large majorité des exploitants, plus de 60 % de la main-d’œuvre agricole, évolue dans un contexte informel, sans filet de sécurité ni accès au crédit. Les possibilités d’investir dans de meilleures semences, des outils ou de l’engrais sont donc minces. En 2022, la Banque mondiale évoquait, dans l’un de ses blogs, un programme agricole doté de 500 millions de dollars censé bénéficier à 1,7 million de producteurs du pays. Mais sur le terrain, les retombées restent inégales. « Sans prêts adaptés à notre réalité, nous restons enfermés dans un cycle de faibles rendements », soupire Daniel Mbuyi, cultivateur de maïs dans le Kasaï.

Enfin, les politiques agricoles peinent à s’ancrer dans une vision cohérente. Un rapport des Nations unies paru en mars 2025 relève que les conflits persistants dans l’Est perturbent les cycles agricoles et déplacent des familles entières, rendant toute stratégie difficile à stabiliser. Une gouvernance éclatée, des priorités souvent brouillonnes et une absence de suivi concret paralysent les réformes structurelles pourtant urgentes.

Des initiatives porteuses d’espoir

Malgré ce tableau sombre, des projets ambitieux voient le jour. Le Programme de transformation agricole, lancé en 2023, prévoit de mobiliser 6,6 milliards de dollars sur dix ans. Il vise à moderniser l’agriculture congolaise tout en recentrant les efforts sur les petits producteurs, pierre angulaire de l’économie rurale. « L’objectif, c’est de faire de l’agriculture un moteur de croissance inclusive », a souligné un intervenant lors du Forum sur l’agribusiness organisé la même année par la Banque africaine de développement.

L’agroécologie, portée par plusieurs ONG, s’impose peu à peu comme un modèle viable et durable. L’ONG internationale SAILD, par exemple, a mené en 2024 une série d’ateliers promouvant des méthodes plus respectueuses de l’environnement, comme la rotation des cultures ou l’usage du compost naturel. Une étude publiée en 2023 dans la plateforme de publications scientifiques ScienceDirect démontre que dans la province du Maniema, ces pratiques ont non seulement amélioré la fertilité des sols, mais aussi accru les rendements agricoles. « Avec l’agroécologie, nous respectons la terre tout en assurant notre subsistance », témoigne Esther Baraka, cultivatrice dans le Kivu.

L’essor de l’agro-industrie constitue une autre piste prometteuse. Selon l’agence du département du Commerce des États-Unis Trade.gov, des partenariats public-privé sont en cours d’examen pour implanter des parcs agro-industriels capables de transformer sur place le manioc, le maïs ou les fruits, générant ainsi des emplois et réduisant la dépendance aux importations. Cette dynamique vise à créer de véritables pôles économiques régionaux, tout en valorisant les produits locaux.

L’innovation numérique n’est pas en reste. La plateforme NYUKI TECH, développée par l’entreprise spécialisée dans la production et la vente des produits apicoles et agricoles  GRECOM-RDC, connecte les agriculteurs aux marchés, limite les pertes post-récolte et facilite la transparence des prix. Présentée dans un article de l’Index Insurance Forum publié en 2024, cette solution illustre le potentiel des technologies pour combler les failles logistiques.

Dans cette même logique, le Programme de promotion de l’entrepreneuriat agricole et de la sécurité alimentaire, financé par le Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire à hauteur de 1,65 million de dollars, cible cinq bassins de production pour renforcer les filières du manioc et du maïs. Il met l’accent sur la résilience locale et le renforcement des chaînes de valeur agricoles.

Un cap à maintenir

L’avenir alimentaire de la RDC ne dépend pas uniquement de sa fertilité naturelle, mais de sa capacité à aligner les efforts politiques, économiques et communautaires autour d’un objectif commun. La lutte contre la faim ne se gagnera pas uniquement dans les champs, mais aussi dans les institutions stables, sur les routes, dans les banques et jusque dans les écoles agricoles.

Comme le résume le docteur Rajabu, spécialiste des politiques agricoles : « Le moment est venu pour la RDC de se lever et d’exploiter pleinement ses richesses naturelles. L’agriculture, si elle est bien pensée, peut transformer ce pays. »

La tâche est immense, mais l’élan est enclenché. L’État, les partenaires techniques, les ONG et les paysans eux-mêmes commencent à bâtir des ponts là où il n’y avait que des fossés. Investir dans les infrastructures, faciliter le crédit rural, promouvoir l’agro-industrie locale et respecter les savoirs paysans : autant de pistes concrètes pour avancer.

Dans un pays où l’espérance se cultive aussi bien dans les esprits que dans les sillons, chaque semence devient un pari sur demain. Il ne reste plus qu’à irriguer cet espoir. Et à ne plus jamais laisser la faim dicter la loi d’un sol aussi généreux.

Heshima Magazine

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