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Dix-sept ans sans porte‑parole en RDC : l’opposition politique amputée de son rôle institutionnel

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En 2007, la République démocratique du Congo (RDC) adoptait la Loi n° 07/008 du 4 décembre, destinée à institutionnaliser le rôle de l’opposition politique, notamment par la désignation d’un porte-parole officiel. Pourtant, dix-sept ans plus tard, ce poste reste vacant, révélant les tensions persistantes au sein du paysage démocratique congolais. Quels obstacles ont empêché la désignation de ce représentant lors des cycles électoraux de 2011, 2018 et 2023 ? Quelles conséquences ce vide institutionnel engendre-t-il pour l’équilibre des pouvoirs en RDC ? Heshima Magazine décrypte les enjeux de cette paralysie, symptôme des défis de la démocratie congolaise.

La Loi n° 07/008 établit un cadre juridique pour l’opposition politique en RDC. Selon l’article 19, le porte-parole de l’opposition, qui n’est pas nécessairement parlementaire, doit être désigné par consensus par les députés et sénateurs de l’opposition. En l’absence de consensus, un vote au scrutin majoritaire à deux tours est organisé dans le mois suivant l’investiture du gouvernement, sous la facilitation des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat. L’article 21 confère à ce porte-parole le rang de ministre d’État, avec des avantages et immunités correspondants, soulignant l’importance de ce rôle pour garantir une opposition structurée et influente.

Ce cadre, inspiré de certains modèles démocratiques internationaux, vise à doter l’opposition d’une voix légitime pour critiquer le gouvernement, proposer des alternatives et participer au dialogue politique. Cependant, malgré cette clarté légale, la mise en œuvre de cette disposition est restée lettre morte, révélant des obstacles structurels et politiques que nous examinons à travers les cycles électoraux successifs.

2011-2012 : les premières divisions post-électorales

Les élections de 2011, marquées par des accusations de fraude généralisée, ont jeté les bases d’une opposition profondément divisée. Selon un rapport de la Fondation Carter, ces élections ont été « calamiteuses », avec des irrégularités qui ont exacerbé les tensions politiques. Dans ce contexte, la désignation du porte-parole, prévue pour le 9 juin 2012, n’a pas eu lieu. Malgré l’expiration du délai prévu, aucun consensus sur le chef de file des opposants ne s’était dégagé. Étienne Tshisekedi, ancien président du parti l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), décédé en 2017, qui revendiquait la victoire à la présidentielle, a rejeté le rôle de porte-parole, se considérant comme le « président élu ». Son parti a soutenu cette position, avec Eugène Diomi, porte-parole de la « Majorité présidentielle populaire », affirmant que Tshisekedi devait être reconnu comme chef de l’État.

Pendant ce temps, Vital Kamerhe, leader du parti l’Union pour la nation congolaise (UNC), a été désigné comme candidat au poste de porte-parole par son parti, illustrant les divergences stratégiques au sein de l’opposition. Certains partis de l’opposition, comme l’UNC, étaient même prêts à participer au processus parlementaire requis à cet effet, tandis que d’autres, comme l’UDPS, boycottaient les institutions, les jugeant illégitimes. Cette fracture a empêché tout consensus, et le délai légal est passé sans résultat.

2018-2019 : une nouvelle impasse après des élections contestées

Les élections de 2018, qui ont historiquement porté un opposant au pouvoir, Félix Tshisekedi, ont ravivé les tensions. Martin Fayulu, également opposant et candidat de la coalition Lamuka, a dénoncé un « putsch électoral », refusant de reconnaître les résultats. Dans ce climat, la désignation du porte-parole a de nouveau échoué. En 2019, le groupe parlementaire MS-G7, affilié à Moïse Katumbi, a tenté de relancer le processus sans y parvenir.

L’inaction des bureaux parlementaires, contrôlés à l’époque par la coalition pro-Kabila, a été un obstacle majeur. De plus, Fayulu et d’autres opposants, comme Lisanga Bonganga, ont dénoncé une « machination » visant à marginaliser l’opposition. Cette période a également vu des propositions alternatives, comme celle de Katumbi et Jean-Pierre Bemba pour un mandat rotatif de deux ans, mais cette idée n’a pas abouti.

2023-2024 : une opposition toujours fracturée

Les élections de 2023, également contestées comme toutes les précédentes, ont amplifié les divisions. Moïse Katumbi, fort de ses 70 élus au Parlement, a cherché à faire avancer la désignation du porte-parole. En juin 2024, son parti, Ensemble pour la République, a même proposé un règlement intérieur pour l’opposition et a sollicité l’avis de Martin Fayulu. Cependant, ce dernier a rejeté cette démarche, la qualifiant d’« inopportune » et refusant de reconnaître les institutions issues des élections de 2023, qu’il considérait comme un « simulacre ».

La même période, d’autres figures, comme Constant Mutamba, se sont positionnées pour le poste, tandis qu’Adolphe Muzito a rejoint Katumbi pour soutenir ladite démarche. En revanche, d’autres partis de l’opposition comme l’Engagement citoyen (ECiDé) de Fayulu et l’ Ensemble national des valeureux œuvrant pour la liberté (Envol) de Delly Sesanga se sont opposés à toute désignation, arguant que les conditions d’unité n’étaient pas réunies pour une telle démarche. Cette fragmentation persistante, combinée à l’inaction institutionnelle, maintient le statu quo.

Les raisons profondes de l’échec

La fragmentation de l’opposition est le principal obstacle à la désignation du porte-parole. Comme le note le média Habari RDC, les partis de l’opposition ont du mal à accorder leurs violons. Chaque leader poursuit des objectifs distincts : Fayulu privilégie une opposition « radicale », tandis que Katumbi adopterait une approche plus institutionnelle. Cette divergence est illustrée par les propos de Tshivuadi Mukwalukusa, qui déclare au site d’informations Congo Durable : « Si le porte-parole vient de l’opposition républicaine (Katumbi), l’autre opposition plus dure contestera ».

Une autre raison des échecs répétés tient au rôle des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, toujours contrôlés par les régimes au pouvoir, qui n’ont jamais facilité le processus de désignation. Le site Congo Indépendant va jusqu’à ironiser sur cette situation avec un titre évocateur : « Offre d’emploi : l’opposition cherche son Porte-parole ». Une passivité analysée comme une stratégie délibérée pour maintenir une opposition divisée et affaiblie.

Contestation de la légitimité électorale

Chaque cycle électoral en RDC a été marqué par des contestations, fragilisant la reconnaissance des institutions par l’opposition. En 2006, Jean-Pierre Bemba a rejeté les résultats ayant porté Joseph Kabila au pouvoir, mettant fin à une transition historique marquée par un partage inédit du pouvoir (modèle 1+4 : un président et quatre vice-présidents). En 2011, Étienne Tshisekedi a refusé de reconnaître sa défaite, allant jusqu’à s’autoproclamer « président élu » et à prêter serment dans sa résidence devant ses partisans. En 2018, Martin Fayulu a dénoncé un « putsch électoral », rejetant la légitimité des institutions issues du scrutin et se présentant comme le véritable vainqueur, une position qui l’a empêché de jouer le rôle de porte-parole de l’opposition. En 2023, la contestation d’une partie de l’opposition des résultats des élections bloque toute possibilité d’union autour d’un processus institutionnel, perpétuant ainsi une crise de représentation.

Conséquences pour la démocratie congolaise

L’absence d’un porte-parole officiel affaiblit l’opposition, la privant d’une voix unifiée pour critiquer le gouvernement et proposer des alternatives. Le média spécialisé dans l’actualité de la RDC et de l’Afrique centrale Afrikarabia souligne que l’opposition a besoin de se parler au-delà des divergences. Cette fragmentation profite au pouvoir, qui n’a pas à affronter une opposition structurée, comme le note le site congolais Ouragan.cd : Le porte-parolat crée le schisme à l’opposition.

Sur le plan institutionnel, ce vide nuit à l’équilibre des pouvoirs prévu par la Constitution. En 2024, le président Félix Tshisekedi a appelé les députés à appliquer la loi, mais cette déclaration n’a pas été suivie d’actions concrètes. Dans un pays confronté à des crises électorales et sécuritaires, cette faiblesse institutionnelle est particulièrement préoccupante.

Vers une solution ?

Des efforts récents montrent une volonté de débloquer la situation. En 2014, l’ancien député national Clément Kanku a proposé une modification de ladite loi pour attribuer automatiquement le poste au parti avec le plus d’élus, une idée visant à réduire les querelles internes. Cette réforme n’a pas abouti, mais elle reflète le besoin d’une solution pragmatique.

En 2024, des figures comme Christian Mwando Nsimba, ancien ministre du Plan et député national du parti de Katumbi, se sont positionnées pour le poste de porte-parole de l’opposition, affirmant, en réaction à l’appel du président de la République que « celui-ci n’a aucun rôle dans cette désignation ». Au regard de tous ces blocages, des propositions radicales émergent, comme celle du journal congolais Forum des As de supprimer le poste du budget national, témoignent de la frustration face à ce blocage devenu permanent.

Un défi pour l’avenir

L’absence d’un porte-parole de l’opposition en RDC, malgré un cadre légal clair depuis 2007, est un symptôme des maux qui rongent la politique congolaise : divisions internes, méfiance envers les institutions et répression persistante. La loi sur le statut de l’opposition politique représente une ambition démocratique louable, mais sa mise en œuvre exige un sursaut de volonté collective. Sans une opposition unie et des institutions engagées, la RDC risque de voir son système démocratique stagner, privant ses citoyens d’un contre-pouvoir efficace. La question demeure : qui parviendra à unifier cette opposition disparate pour donner vie à cette loi ? L’avenir politique du pays en dépend.

Heshima Magazine

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